Jean Azémard, peintre sculpteur et artiste

[Christian Besson, Jean Azémard, peintre sculpteur et artiste, Montpellier, Méridianes, 2016]

La cabane de Jean Azémard à Sussargues, vers 1980, photo Anne-Marie Gauzargues

Extrait (début) :

Image

Une image de l’artiste insiste, attachante, décalée : Jean Azémard, debout, tête nue, pilote une barque sur le canal de Lunel, la main gauche sur le gouvernail. Sous un ciel égal, l’embarcation laisse un sillage fuyant vers l’horizon. La scène n’est pas d’occasion, et le front buriné atteste d’un vécu régulier sous le soleil. Elle a été filmée par Michel Tonelli en 1996. Jacques Durand, chroniqueur taurin bien connu des lecteurs de Libération, l’évoque en 1999, en voisin qui fréquente les mêmes lieux, dans le bel hommage post mortem qu’il a écrit pour son ami :

« Sa façon élégante de mener, debout, sa barque à fond plat pourrait passer pour sa propre métaphore. Le corps frêle et sinueux de Jean Azémard glissant en équilibre, sans effort apparent, sur les lentilles d’eau et des contre-courants vaguement hostiles, donnait d’abord l’idée de l’imbrication de son propriétaire dans son environnement : les cabanes, les roseaux, toutes les nuances du gris, du rose, du bleu et du vert, le sel partout, jusque dans les étoiles des miroirs oxydés[1]. »

Notre modernité a multiplié les images de l’artiste, non sans cliché. Dans cette typologie, on ironise facilement sur le peintre de plein air planté devant son chevalet. Mais l’image de Jean Azémard debout dans sa barque n’est pas a contrario celle du peintre dansant autour de sa toile (genre Pollock), ni celle de l’artiste conceptuel assis dans son bureau (genre Kosuth), ni non plus celle de l’entrepreneur postmoderne paradant dans son loft au milieu de ses assistants. C’est une image où il n’est question ni d’atelier, ni de savoir-faire artistique agréé, ni de profession, ni d’institution. Plutôt en l’occurrence l’image d’un artiste libre, dont l’œuvre prendrait des formes inusitées et résiderait tout autant dans sa vie.
Dans cette image, en dépit des apparences, même s’il n’y a ni peinture ni œuvre à vendre, un certain style se manifeste :

« […] l’aisance de cette silhouette ne doit pas tromper. Dans cette navigation, elle fondait son apparente désinvolture sur l’expérience, la précision, l’exigence et la rigueur[2]. »

Le style du marin d’eaux fines, et pourquoi pas celui du pointeur, à la pétanque :

« La boule de Jean Azémard, pointeur, démontrait dans ses faux errements ce qu’on doit à la contingence – saleté de grattons – et ce qu’il lui opposait : la recherche de nouvelles voies, l’imagination, l’exploration subtile des probables, le fondu-enchaîné[3]. »

L’image de l’artiste, son style, sa manière d’être et d’aborder la vie, comme « métaphore » de son œuvre. C’est bien vu !

[…]

[1] . Jacques Durand, « Vision de Jean Azémard », in catalogue Jean Azémard (3 juillet-11 octobre), Collioure, Musée d’art moderne, 1999. Désormais « J.D., 1992 », et « J.D., 1998 ».

[2] . Idem, ibidem.

[3] . Idem, ibidem. Sur J.A. bouliste, voir aussi : Jacques Durand, « Aux boules… », in cat. de l’exposition Jean Azémard, Nîmes, Carré d’art, 1992.