Hubert Duprat Theatrum

Guide imaginaire des collections

[Hubert Duprat Teatrum. Guide imaginaire des collections
Édition critique établie par Christian Besson, Paris, RMN, coll. « Reconnaître », 2002, 72 p., 47 ill. couleur. (Publié à l’occasion de l’exposition Hubert Duprat, galerie du Cairn, musée départemental, Digne, 8 juillet-10 septembre 2002.)
Version italienne : Hubert Duprat Teatrum. Guida imaginaria alle collezioni.
Edizione critica realizzata da Christian Besson, traduction en italien par le Centre culturel français de Turin de l’ouvrage précédent. Paris, RMN, coll. « Reconnaître », 2002, 72 p., 47 ill. couleur. (Publié à l’occasion de l’exposition Hubert Duprat, Il Filatorio, Centro Sperimentale per le Arti Contemporanee, Caraglio, 28 novembre 2002-5 mars 2003. )

Dupratis Theatrum

Christian Besson

Quel plus noble but pour un critique que de faire « reconnaître » l’œuvre d’un artiste dont il aime et chérit les créations ? La commande du musée de Digne, à n’en pas douter, nous honorait. Pour une tâche aussi ardue, notre style universitaire habituel constituait cependant un rude handicap. Le public n’est-il pas en droit d’exiger des explications limpides, lessivées de tout jargon ? Le hasard a voulu que nous entrions, il y a peu, en possession d’un manuscrit inédit, rédigé au siècle dernier par un amateur éclairé. Ce guide de la collection complète de l’œuvre d’Hubert Duprat, précis et bien renseigné, s’avéra être un document de première main qui éclipsait par avance toute tentative que nous eussions pu faire d’en disputer l’éclat.

De Louis Chatel, nous ne savons rien. Son alerte prose périégétique feint la découverte ; mais l’on suspecte en le lisant que sa connaissance de l’œuvre est bien plus grande que ce qu’il fait croire. Il a eu la chance d’en visiter la fabrique à une époque où son contenu n’avait pas encore été dispersé sur les cimaises privées, dans les musées et autres fonds publics. Aujourd’hui que ce théâtre a disparu, son témoignage nous est précieux.

Par ses descriptions minutieuses, Chatel rompt avec les généralités de mise en la matière. Il distille de nombreuses informations sur les procédés artisanaux, comme sur les sources corporatives et iconographiques. Souvent, il sait quitter le rude habit du critique pour s’attacher au contexte, au paysage et aux personnes. Les problèmes théoriques soulevés par une recherche labyrinthique ne sont pas évités ; replacés fort aimablement dans la bouche des protagonistes de la petite société d’amateurs qui entoure l’artiste, ils prennent une vivacité peu commune. On sera sensible à l’atmosphère de la vaste demeure, à l’enthousiasme des visiteurs, à la chaude ambiance des débats, tous aspects qui éclairent d’un jour nouveau les partis pris esthétiques de Duprat et — pourquoi pas ? — sa morale.

Le choix de rapporter sa visite salle après salle, la fidèle mémoire d’un chemin qu’il a sans doute suivi à plusieurs reprises, permettent à Chatel de dépasser le seul commentaire hagiographique. En restituant l’espace de la collection et les multiples voies qui la sillonnent, il veut nous faire accéder à la géographie mentale de l’œuvre, et il y réussit brillamment. Une telle tentative de traduire une topologie conceptuelle en une visite immobilière est unique dans la littérature critique ; le fait mérite d’être signalé.

Le texte de Chatel est reproduit sans modification à l’exception de quelques coquilles orthographiques dont il était apparemment coutumier. Les notes ont été réduites au minimum. Nous avons cru bon d’offrir au lecteur la béquille d’un lexique, où il trouvera la plupart des mots techniques dont le texte n’est, hélas ! pas avare, ainsi que quelques entrées plus générales, propres à l’orienter dans une thématique dont l’originalité peut surprendre. Les sources textuelles qui ont été retrouvées sont données en fin d’ouvrage. Maintes des allégations de notre auteur soulevaient cependant des questions considérables. Les minutieuses vérifications que nous avons pu effectuer nous permettent malgré tout d’affirmer que, de ce qu’avance Chatel, tout est vrai sauf ce qui est faux.

 

Dupratis mirabilis artis thesauri mystagogus

Louis Chatel

Le village d’Aurane s’étageait à l’écart de la route. À ses pieds s’étendaient quelques vignes du Pic de l’Hortus ; à l’arrière, le Causse des Clapas dressait ses falaises. C’était le début de l’été et notre hôte nous avait reçus en bras de chemise. Il n’ignorait rien du but de notre voyage, et nous ne lui cachâmes point notre impatience. La renommée de ses collections d’art et de merveilles parvenue jusqu’à nous, nous n’avions eu de cesse qu’il ne nous en accordât la visite. Les enfants nous accompagnaient et, plusieurs jours de suite, par de multiples manœuvres dilatoires, il repoussa le moment de lever le rideau. Il nous fallut opérer par cercles concentriques et nous soumettre à des promenades initiatiques, qui nous éloignèrent de l’immense demeure dont les ressources nous demeurèrent d’abord prohibées.

Dès l’après-midi du jour de notre arrivée, nous partîmes à pied et grimpâmes un chemin charretier qui faisait communiquer Aurane avec Vetula. Un torrent coulait en contrebas d’un pont et nous y descendîmes. H. D. refit pour nous les gestes qu’il avait faits bien des fois : il s’accroupit, scruta l’eau claire, plongea la main dans le courant froid et en retira une, puis plusieurs Phryganes, qu’il distribua pour observation. Nous revînmes à travers champ pour ramasser de grosses ammonites qu’un labour frais avait découvertes ; l’après-midi se termina en flânant dans le jardin où des fouilles récentes venaient de mettre à jour l’installation et les meules d’un ancien moulin à huile. Le lendemain nous partîmes en expédition à une quinzaine de kilomètres ; nous dûmes franchir des barbelés, longer un petit ruisseau et nous aventurer fort loin jusqu’à un pierrier protégé de chênes kermès qui recelait une allée couverte que la carte d’état major avait oubliée. De ce site légèrement surélevé, qui dominait la garrigue, nous n’eûmes guère de peine à nous transporter par imagination, dans les temps reculés où des hommes s’étaient tenus là, scrutant l’horizon. Nous poursuivîmes notre mesure de l’épaisseur des temps en grimpant jusqu’à un éperon barré que rien de la plaine ne laissait deviner ; la levée de pierres datait du Hallstatt ; à l’intérieur de l’enceinte, des fonds de cabanes chalcolithiques témoignaient de la durée de l’occupation ; et sans compter une bergerie en ruines, dans laquelle les enfants s’égaillèrent. Le succès de ces explorations auprès de ma progéniture m’interdisait de protester ; il me fallait de plus convenir que j’étais moi-même plus ou moins atteint par le virus de l’exploration. La leçon se poursuivit le troisième jour sur les rives du Salagou ; l’eau d’un bleu pur reflétait les rougiers des berges ; nous saluâmes les empreintes de pas que des reptiles avaient laissées dans ces formations permiennes ; nous détachâmes de ces extraordinaires plaques d’argile graisseuse solidifiée qui ont conservé les traces des rides des courants intermittents qui les recouvraient il y a 250 millions d’années ; au retour, nous cherchâmes autour d’un neck des bombes volcaniques que les enfants furent invités à soupeser. La discussion du soir porta sur la densité des pierres et, pour comparaison, H. D. alla nous chercher dans son cabinet une pierre de lune.

Quatrième journée

De nombreuses découvertes d’enfants éblouis, curieux d’histoire et de nature, doivent être à peu près comme ces hasardeuses promenades. L’initiation avait été courte, mais suffisante pour échauffer nos esprits. En fin de matinée, plusieurs spécialistes étaient arrivés. Trois heures venaient de sonner. Il faisait bon, et le soleil étincelait dans un ciel uniformément pur quand H. D. consentit enfin à ouvrir les portes de son Theatrum. Le maître se mit en marche, guidant notre groupe qui l’accompagnait docilement. Le hall d’entrée, qui distribuait la partie domestique et les appartements où nous logions, s’ouvrait à droite sur une vaste bibliothèque que nous avions déjà entraperçue. Des romans et de la poésie en tapissaient les murs, et rien n’y trahissait l’appartenance professionnelle du propriétaire des lieux. D’Olivier Cadiot à Pierre Le Pillouër et Jacques Demarcq, les poètes qu’il avait connus y côtoyaient les écrivains qu’il affectionnait ; les ouvrages de Jorge Luis Borges, Joseph Delteil et Gustave Flaubert y trônaient en bonne place. Au-dessus des étagères, s’entassait pêle-mêle tout un bric-à-brac anonyme : une étrange peinture d’enfant sur une plage ; une gravure humoristique montrant Gaspillou et Pataugeard en train de peindre, l’un avec une énorme seringue, l’autre avec un balai à toiles d’araignées ; le pavillon de Le Corbusier reconstitué en carton d’emballage par un enfant africain ; un pantin taillé dans un tronc d’arbre ; un tronc d’arbre traversé par un barbelé ; plusieurs maquettes rapportées d’Écosse, dont une sorte de château d’allumettes ; un présentoir laqué où étaient enchâssées quatre pierres de rêve chinoises.

L’étroit passage ménagé entre les rayonnages du fond donnait sur un couloir obscur qui débouchait sur l’Antichambre-des-Souvenirs. Nous y suivîmes H. D. Son passé d’explorateur, d’inventeur et de naturaliste y était évoqué sous un falot blafard. Des relevés, des listes, des empreintes provenaient de ses premières fouilles archéologiques. Nous pûmes feuilleter un exemplaire de ses Notes sur la poterie gallo-romaine à engobe rouge décorée par l’impression de sceaux qui lui avaient valu en 1976 le Prix Philips des jeunes chercheurs. Plusieurs aquariums contenaient des élevages de nèpes, de notonectes, de tritons, de gerris et de planorbes. Sur des photographies épinglées au mur, il plastronnait en culottes courtes en compagnie de pêcheurs et de chasseurs dans des paysages de l’Agenais. Les enfants demeurèrent un temps à se faire expliquer les mœurs de la gente aquatique. Mathilde, qui avait plongé la main dans un aquarium, essayait d’y attraper des têtards.

Les garçons, eux, s’étaient précipités dans le Hall-des-Prolégomènes séparé en deux parties par un mur, car à partir de là l’itinéraire se divisait ; ils avaient pris du côté du Labyrinthe-Optique et nous les y suivîmes. Nous plongeâmes les yeux dans les stéréoscopes disposés tout autour de trois boîtes en bois, fermées, qui recevaient à l’intérieur la lumière par un couvercle en verre dépoli. Ces dispositifs astucieux permettaient de visiter trois appartements que l’artiste avait occupés en 1978 et 1979, à Pau et Montpellier. Dans l’un d’entre eux, se distinguait sur une table l’assiette avec des cailloux dans laquelle il avait élevé ses premières Phryganes. Posé à côté de ces boîtes : un livre de Jean Clair, acheté peu après sa parution en 1978, où il était question des anaglyphes de Marcel Duchamp.

Nous revînmes sur nos pas dans le Hall, pour accéder au Phryganeum, dont le plan complexe, je le compris plus tard, spatialisait l’épiphanie progressive de la Phrygane. Dans la première petite salle : point d’animal, mais un dépôt de brevet auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (n° 83 02 024), daté de 1983, encadré ; au mur, un mauvais cliché, remontant à 1979, où H. D., botté, discute avec des orpailleurs de l’Ariège. Pourquoi diable n’avions-nous pas de ces étuis précieux dont la célébrité nous était parvenue ? « Ils n’ont été exposés pour la première fois qu’en 1984, dans le cadre de l’exposition Le Vivant et l’Artificiel, où j’avais été invité par Louis Bec, le spécialiste mondial des Sulfanogrades », nous expliqua obligeamment H. D. « Je ne savais trop qu’en faire. Le brevet fut pris pour que des joailliers ne s’emparassent pas de l’invention. Vous allez constater quels pouvait être alors mes tâtonnements de provincial. Certes, je m’étais plongé dans les livres d’art que je m’étais fait envoyer, lors de mon séjour en Guadeloupe, en 1980 et 1981, mais mes repères étaient encore bien incertains. Venez voir. »

D. ouvrit ce que j’avais pris pour une porte de placard, et nous entraîna vers le Purgatoire, un petit cloître où était reconstituée sa première « installation » : une margelle décorative, emplie d’un fin gravier rose, sonorisée par le bruit du frottement continu de tessons de céramique sigillée, rappelant les poteries du musée archéologique voisin. « Voilà de quoi j’étais encore capable en 1983 ! », nous dit-il avec une ironie qui nous surprit.

Nous retournâmes au Phryganeum. Dans la salle suivante, les fourreaux gemmés, tant attendus, étaient là. Il y en avait une petite dizaine sous une vitrine plate, tous différents. De grosses loupes permettaient de les observer en détail : sur la plupart, des paillettes d’or natif, aux allures de petits boucliers mal martelés, se juxtaposaient en écailles ; sur certains, de minces fils d’or hérissaient le frêle fuseau de leurs aspérités ; la nacre blanchâtre de perles semi-sphériques, le bleu sombre de saphirs, celui plus frivole de turquoises, ainsi que le rouge profond de quelques rubis relançaient de leurs feux multicolores les resplendissantes parures de plusieurs autres. On pouvait même discerner un diamant enchâssé dans ce fatras de bijoutier. H. D. nous relata, amusé, comment il était allé voir à l’époque plusieurs responsables de musées et autres centres d’art pour montrer ses « fabrications ». Tous, à l’exception de B. B. qui s’était montré intrigué, avaient jugé le résultat trop « précieux » ! Auguste et Camille demandèrent où étaient les Phryganes. La réponse leur fut apportée dans la troisième salle.

L’animal charriant son étui artificieux était montré à hauteur d’yeux, dans des aquariums de petites dimensions fixés au mur. On pouvait le voir évoluer, la tête, le thorax et les pattes velus et noirs émergeant d’un lourd fardeau hétéroclite péniblement traîné. C’était donc ainsi qu’H. D. consentait à exposer Miss Phrygane en public — au même titre qu’une œuvre d’art —, richement parée, mais isolée dans un espace abstrait, sans repères.

Quel était le mystère d’une telle fabrique ? Nous passâmes derrière le mur pour répondre à la curiosité juvénile. Chaque aquarium était dûment alimenté par-derrière en eau courante, réfrigérée et oxygénée. H. D. me mit dans les mains la septième série des Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre. Je me souvenais que le célèbre naturaliste d’abord établi à Orange, s’était installé, à partir de 1879, au Harmas, à Sérignan du Comtat, dans une maison aujourd’hui transformée en musée, et qu’il était le père des histoires de l’Oncle Paul qui avaient bercé mon enfance. Je m’assis et lus : Fabre consacrait plusieurs pages à la description de la Phrygane et à des expériences que je résumais. Il délestait la larve de son étui, la plaçait, nue, dans un aquarium et lui procurait des radicelles de cresson. Il observait la fabrication, les entrées et sorties de la bête à partir d’une base sommaire, la découpe des brins nécessaires, leur agencement et leur fixation par la soie de la filière. Il recommençait l’expérience avec des feuilles de potamot ; puis fournissait des brindilles sèches ligneuses et régulières : la construction se faisait plus solide. Enfin il trompait la nature et donnait à son cobaye des grains de riz et s’extasiait devant le bel ouvrage régulier qui en résultait. Ses expériences portaient sur l’espèce appelée vulgairement porte-bois ; il ne s’attardait pas sur celles qui « s’habillent de grains de sable et ne quittent pas le fond des ruisseaux ».

D. découvrit alors pour nous son Laboratoire-Secret. Nous descendîmes un escalier de pierre vers des caves voûtées. Sur des tables se trouvaient cinq aquariums, toute une tuyauterie et une sorte d’appareil frigorifique. Il commença alors son exposé :

« J’élevais ces bestioles et faisais comme Fabre des expériences de fabrication dirigée, quand ma rencontre avec les orpailleurs me donna l’idée de fournir des paillettes d’or à mes larves. Observant qu’elles intégraient ces paillettes à leur étui, je les ai privées de ce dernier. Elles en ont réalisé derechef un autre, entièrement pailleté celui-là. C’est cette expérience qui a donné lieu au dépôt du brevet que vous avez vu.

« Les larves que j’utilise appartiennent aux familles Limnephilidae, Leptoceridae, Sericostomatidae ou Odontoceridae, avec une préférence pour les genres Limnephilidae Potamophylax et Allogamus. Elles sont récoltées de janvier à avril, dans les ruisseaux de basse et moyenne montagne (gaves des Pyrénées, torrents des Cévennes, etc.), et conservées dans un aquarium où l’eau est oxygénée, brassée et maintenue à 4° — cet hiver artificiel ayant pour but, en différant l’apparition de la nymphose, de prolonger la période de construction. L’étui est décapsulé à l’arrière, et la larve, qui se maintient habituellement dans celui-ci à l’aide de ses deux crochets postérieurs, est poussée délicatement en avant avec une pointe émoussée ; la pression exercée sur le dernier anneau lui fait lâcher prise. L’expérience in vitro porte alors essentiellement sur la modification du milieu naturel, plus précisément sur la substitution de nouveaux matériaux de construction à ceux rencontrés d’ordinaire par la larve (sable, petits graviers, brindilles, coquilles de planorbes ou autres escargots aquatiques). Dans un premier temps, l’animal est immergé dans un milieu aurifère, le temps qu’un étui grossier soit suffisamment formé pour qu’il puisse se déplacer avec, et être saisi sans risque pour la fragile construction. Aux paillettes d’or natif, exclusivement proposées au début, sont ensuite progressivement ajoutés au choix : des cabochons de turquoises, d’opales, de lapis-lazuli et de corail, des rubis, des saphirs, des diamants, des perles semi-sphériques et baroques, et de petites tiges d’or (18 carats). L’animal relie les matériaux à l’aide d’un fil de soie, depuis l’intérieur du tube, et selon un mouvement hélicoïdal, puis tapisse cet intérieur d’un feutrage de cette même soie. Chaque type de matériaux étant dans un bac séparé, il est possible, en contrôlant le temps de séjour dans tel ou tel bac, de faire réaliser un anneau d’une matière déterminée. On peut aussi, en mutilant localement la construction (y compris le feutrage), obtenir de l’animal qu’il la répare en plaçant tel matériau donné exactement à l’emplacement de la mutilation. Le savoir-faire constructeur de l’animal est donc non seulement détourné mais rigoureusement canalisé en fonction des fins esthétiques escomptées. »

Les enfants avaient perdu pied et n’écoutaient plus les explications. Comme il avait fini sa conférence improvisée, H. D. nous fit remonter dans la salle de projection qui se trouvait au-dessus. Nous nous disputâmes les coussins d’une large banquette d’osier où nous nous serrâmes. Le film, réalisé en 1998, durait quarante minutes. La Phrygane, projetée sur le grand écran, y prenait une dimension monstrueuse et fantomatique. L’habileté avec laquelle ses pattes avant allaient et venaient, prenaient les plaquettes d’or et les mettaient en place, était extraordinaire… Pendant que l’attention enfantine était ainsi fixée, je jetais un coup d’œil sur la littérature naturaliste et entomologique défendue par les ventaux grillagés d’une bibliothèque centenaire. Parmi plus d’une centaine d’ouvrages, je ne citerai que les principaux :

l’Histoire des animaux d’Aristote, l’Histoire naturelle de Pline, l’Historia Animalium de Conrad Gesner (1604), le Mémoire pour servir à l’histoire des insectes de Réaumur et la Biblia naturae de Joans Swammerdamm (1737), l’Histoire des progrès de l’esprit humain dans les sciences et dans les arts qui en dépendent de M. Savérien, écuyer du Roy (1778), les Recherches pour servir à l’histoire et à l’anatomie des Phryganides, de François-Jules Pictet (1834), Insect Architecture de James Rennie (1845), L’Insecte de Jules Michelet (1858), Homes Without Hands du révérend J. G. Wood (1865), Insekternas Levnadsvanor och instinkter de O. M. Reuter et L’Aquarium de chambre, du docteur F. Brocher (1913), les Croquis entomologiques du Chanoine C.-H. de Labonnefon (1923), les Arts et Métiers chez les animaux d’Henri Coupin (1931), un article de Charles T. Brues paru dans Psyche en 1930, le livre de Lucien Chopard sur le mimétisme (1949), l’ouvrage de Roger Caillois sur le même sujet (1963), le Traité de zoologie de Pierre Grassé (1951), Les Insectes de Paul A. Robert (1960), les Trichoptères de l’Amazonie recueillis par le professeur H. Sioli (1964), Le Sens artistique des animaux d’Étienne Souriau (1965), Dioscoride, Magie der Sinne im Tierreich de Vitus B. Dröscher (1966), la thèse de Christian Denis sur les Trichoptères (1968), L’Architecture animale de Karl von Frisch (1975), la Limnofauna Europae de Botosāneanu et Malicky (1978), l’Introduction à l’étude des macroinvertébrés des eaux douces de Tachet, Bournaud et Richoux (1980), Larvae of the North American Caddisfly Genera de Glenn B. Wiggins (1976).

Les tiroirs d’un petit cabinet d’ébène conservaient en outre une collection de gravures de Phryganes, dont les plus célèbres étaient extraites de l’Hortus Sanitatis (1488) et du chapitre XI de l’Historia Naturalis d’Ulysse Aldrovandi (1599). H. D. nous avoua préparer un livre sur le sujet.

Il fallait songer au repas du soir et la visite tourna court. Nous attendions plusieurs spécialistes connus. Les premiers arrivèrent pour l‘apéritif et la conversation porta rapidement sur la Phrygane, chacun y allant de son interprétation. Le ready-made, nuancé en « ready-made assisté », eut d’abord beaucoup de succès. Sans contredire cette opinion, M. F. tenait l’objet pour une sculpture de type « assemblage », il fit une judicieuse remarque sur la contradiction entre le caractère répugnant de la larve et la sublimité de l’étui. Assis à l’opposé, je ne saisissais que des bribes : « redressement d’une image négative […] assomption d’une figure péjorativement connotée […] harmonieuse coalescence entre deux mondes antinomiques ». L’affaire se compliqua lorsque quelqu’un avança que le vrai artiste était l’insecte. Il citait Fabre et Souriau, tandis que le travers de porc à l’Américaine sautait d’assiette en assiette. C. B. convoqua la théorie de l’information en disant que le changement d’environnement imposé à l’insecte par l’artiste correspondait pour le premier à un « bruit », et conclut qu’il y avait de la sorte deux points de vue. F. P. usa d’un argument d’autorité : on avait trop entendu parler du rapport nature/culture. Les Trichoptères étaient un « animal fétiche », la « scène primitive », le « socle d’une œuvre éclectique mais convaincante » dont l’intérêt ne résidait que dans la « dimension mythique ». Mais trop de vin avait coulé et personne n’écoutait plus personne.

Cinquième journée

Le lendemain, curieux de connaître la suite, malgré notre fatigue, nous regagnâmes le Hall-des-Prolégomènes à une heure ou les ombres matinales s’allongeaient encore. Cette fois, nous prîmes du côté du Labyrinthe-Optique jusqu’au Grand-Atelier-de-la-Montée-des-Images. C’était une imposante exposition de photographies Cibachromes. Sur le mur de gauche : huit vues inversées, à dominante bleu, de hauts d’immeubles avec leurs toits, sur lesquelles planait chaque fois l’ombre noire d’un appareil photographique en suspension. En face : deux vues montrant une plaque de verre dépolie verticale, captant une image tête-bêche, semblable aux précédentes, et apparaissant dans la pénombre d’une pièce qu’une petite lampe semblait éclairer au dessus. À droite : Jour et nuit, cinq autres vues, toujours avec l’image des toits à l’envers, prises à différents moments de la journée, mais cette fois sur une plaque posée de biais, constellée de sortes de petites étoiles. En retour : encore d’autres photographies dont trois montraient une couverture de survie dorée virant au bleu vers le bas. Tout ce monde à l’envers ne cessait d’être étrange, et nous prîmes le torticolis à vouloir redresser les différentes vues pour les comparer. Prévenant nos questions, H. D. nous poussa dans la Camera-Obscura et referma la porte sur nous. Au bout de deux ou trois minutes, nos yeux s’habituant à l’obscurité, nous vîmes apparaître sur les parois le spectacle inversé des bâtiments ensoleillés du côté ouest de la rue de l’Aire-du-Four. Au plafond l’image de l’asphalte et du trottoir était très déformée. H. D. nous indiqua du menton le sténopé, par où entraient les rayons lumineux, ménagé dans le mur jouxtant la rue.

« Les photographies que vous avez vues ont été réalisées dans le dernier appartement que j’ai occupé à Pau. Les conditions étaient semblables à celles que vous avez ici. »

Il déroula une couverture de survie dorée et l’image devint méconnaissable, le ciel seul se devinant en bas. Puis il disposa une plaque sur laquelle étaient insérés de petits miroirs orientés vers nous, chacun reflétait le sténopé.

« Ce sont les étoiles qui brillent dans Jour et nuit. »

Il nous fit enfin placer face au sténopé et dressa un verre dépoli à mi-chemin. Les commentaires devinrent superflus. Toutes ces images étaient en noir et blanc, et une fois sortis nous nous étonnâmes encore de la merveilleuse lumière bleutée des photographies de la Montée-des-Images. Elles ne résultaient pas d’une prise de vue directe. Dans l’atelier obscurci l’expérimentateur ne voyait pas les couleurs. Seul l’appareil photographique avait pu les fixer. C’était là toute l’alchimie de ce dispositif redoublé, consistant à placer une chambre noire dans une autre chambre noire. Je me souvenais également que la première photographie, celle de Niépce à Saint-Loup de Varennes, avait été aussi une vue des toits depuis une fenêtre de sa ferme du Gras. Dans son résultat comme dans son expérience, la chambre noire de H. D. était une histoire de fascination. De l’observation au résultat, le saut constaté emportait l’adhésion émerveillée. La métamorphose tenait du miracle.

Mais pourquoi les petits miroirs avaient-ils été placés en constellation ? La réponse nous fut apportée dans la Salle-de-l’Astronomie, adjacente. Il y avait là le résultat d’un premier essai remontant à 1982 : Le Voyage de Niépce vers les étoiles, sept photographies d’une même fenêtre de l’appartement palois, réalisées avec un vieil appareil photographique et du papier direct (sans pellicule négative), prises en fin de journée à quelques instants d’intervalles quand l’extérieur, d’abord lumineux, devient obscur et que le rapport du noir au blanc s’inverse. Sous chacune d’elles, était projetée une astrophotographie où, à cause de la surexposition, ne se distinguaient que l’étoile polaire et un tracé circumpolaire.

« Au château de Biron, en 1984, j’ai dessiné ces tracés circumpolaires en incisant des plexiglas noirs que j’ai colorés par du rhodoïd ; j’ai placé le tout dans les baies gothiques de la chapelle. Le soir, celle-ci étant éclairée de l’intérieur, on pouvait voir ce faux ciel depuis l’extérieur. J’avais de la sorte inversé le point de vue. »

Dans le Salon-Bleu, adjacent, nous pûmes encore voir des astronautes flottant dans l’espace. L’étrange impression de photographies d’écrans de télévision, bien que démentie par l’examen attentif que nous effectuâmes, ne disparaissait pas totalement. « Une carte postale à surface prismatique (réalisée à partir de deux prises de vue stéréoscopiques), produisant un effet de troisième dimension, a été photographiée et recadré diversement », nous expliqua H. D. » Le résultat, agrandi, était donc la surprenante retraduction en deux dimensions d’une illusion de la troisième dimension : des sortes d’anaglyphes, sans les lunettes spéciales ! « Le ciel des cosmonautes est noir, ajouta H. D. ; la fiction s’affiche dans le fond bleu. »

Je comprenais peu à peu comment notre guide avait tissé tout un réseau de relations entre la photographie, la vision bi- et monoculaire, l’inversion du positif et du négatif, le renversement du monde, le jour et la nuit, l’intérieur et l’extérieur, la rétroversion du point de vue, les rayons du soleil et la marche des étoiles. Ce réseau étendait ses ramifications fort loin. Nous continuâmes d’en suivre les fils quand, après un déjeuner frugal, nous revînmes une nouvelle fois au Labyrinthe-Optique et accédâmes à l’Atelier des ateliers. Dans la première salle (identique à celle de la galerie Jean-François Dumont, rue Maubec, à Bordeaux), l’amorce d’une autre salle de mêmes proportions — plancher, mur du fond et début des murs en retour — avait été emboîtée à l’envers, le sol se retrouvant plaqué au plafond. Le revêtement était en bois et le dessin de la porte et des plinthes, tracé à la défonceuse. Dans l’épisode précédent on avait vu l’atelier se transformer en chambre noire, on assistait maintenant à la matérialisation de l’image vue dans la chambre noire en un simulacre d’atelier à l’envers !

« Ce Sentitre [H. D. désignait ainsi les créations qu’il ne voulait pas nommer] date de 1988. L’été précédent, j’en ai fait un à l’endroit, sur une terrasse d’un des bâtiments du château de Pichon-Longueville. »

De fait, nous allions retrouver ce motif très simple, qui réduisait l’atelier à un emblème, dans bien d’autres créations.

À commencer par celles du vaste Chantier-des-Bétons. On avait reconstitué là les lieux de plusieurs grosses installations, et il avait fallu à cette fin renforcer au-dessous les voûtes des caves. Le principe de la boîte dans la boîte avait été repris dans les cinq premières salles qui portaient le nom du lieu d’origine : APAC, Dumont, capc, Arson 2 et Quimper. Le dessin de l’atelier était directement gravé dans le béton. Dans la quatrième salle, l’énorme boîte lévitait à plus d’un mètre au-dessus du sol grâce à une forêt de pilotis ; aucun de ses trois côtés ne touchait les murs. É. D., usant d’un charabia typique du langage de la critique spécialisée, déclara que c’était une œuvre in situ dont l’intérêt résidait dans le rapport qu’elle entretenait avec l’espace imparti. Ce label décerné d’un magistral coup de langue de bois me parut de peu de poids en regard de l’effrayante masse cimentée.

Les deux salles suivantes du Chantier : Arson 1 et Criée, rejoignaient le Labyrinthe-Optique. C’était d’abord toute une spéculation sur l’épaisseur des volumes de béton : leur débitage hypothétique en tranches de cake étant suggéré par le dessin de l’atelier (plinthes et porte) dont l’incision sur une face se prolongeait sur les faces en retour. C’était ensuite un déploiement de la boîte de l’atelier, gravée dans un enduit de ciment, lui-même incrusté dans un mur de plâtre, et tour à tour plate ou enroulée sur elle-même. La tension entre le dessin et l’épaisseur des blocs, sensible dans la première salle, se déplaçait dans la seconde, où elle portait sur l’écart entre la lourde rigidité du béton et la déformation feinte des murs.

Nous retrouvâmes le bel oxymoron de la malléabilité de la surface de béton dans deux autres compositions bâties sur le même principe de l’incrustation. Cette fois, l’enduis de ciment gravé mimait des vagues concentriques formant des courbes et des contre-courbes baroques. Comment diantre avait pu germer, dans l’esprit de H. D., l’idée saugrenue de peindre l’onde avec un moyen aussi inapproprié ?

Au bout du Chantier-des-Bétons se trouvait une grande dalle inclinée à trente degrés, coincée dans une salle de même surface. N’y était gravé aucun dessin. L’enduit de finition dont étaient revêtus les ateliers précédemment vus y apparaissait cependant de couleur plus inégale qu’ailleurs : d’étranges marbrures le zébraient, des auréoles diffuses, des tâches le modulaient subtilement. R. R, fit remarquer que c’était comme le mur devant lequel rêvait Léonard de Vinci. Comme il avait en poche une photocopie du manuscrit 2038 de la Bibliothèque nationale, il traduisit à haute voix :

« Si tu regardes des murs souillés de taches ou faits de pierres de toutes espèces, pour imaginer quelque scène, tu peux y voir l’analogie de paysages au décor de montagnes, de rivières, de rochers, d’arbres, de plaines, de larges vallées et de collines disposées de façon variée. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures au mouvement rapide, d’étranges visages et costumes, et une infinité de choses que tu pourras ramener à une forme nette et complète. »

B., qui avait l’esprit mal tourné, dit que ce n’était là que façon de prendre au pied de la lettre l’expression « montée des images ».

Après un dernier regard jeté sur cette multiple curiosité, nous suivîmes H. D ; déjà près de nous distancer sur le chemin de retour. Il s’ingéniait à prendre des raccourcis pour nous faire comprendre tous les liens noués entre ses œuvres. C’est ainsi que nous passâmes de l’atelier enroulé sur lui-même au Salon Bleu, « car la combinaison du cosmonaute est aussi un espace clos et autarcique comme certains ateliers », et que de là nous coupâmes par le Phryganeum, « car le Trichoptère se métamorphose dans son fourreau en s’enfermant à l’intérieur comme dans uns capsule spatiale », et finîmes par sortir par le début du Labyrinthe-Optique, là où se trouvaient les vues stéréoscopiques des appartements de 1978 et 1979. H. D., je le sentis, savourais secrètement son triomphe. Ainsi donc, qualifier son œuvre de collage arbitraire, en raison qu’elle se trouverait partagée entre l’invention de la Phrygane, la camera obscura et quelques installations pesantes, était faux. Je me mis à imaginer le moteur premier d’une obscure et implacable logique. L’araignée des connexions tissait sa toile dans mon cerveau. J’avais tant erré dans les couloirs de communication que j’étais victime de l’illusion rétrospective. Je me raisonnais en me disant que tout ce bel agencement avait été construit en tâtonnant et perfectionné après coup. Umberto Eco, dont j’avais lu la belle théorie de Lector in Fabula, me rassurait en m’expliquant que toute interprétation consiste de la sorte à reconstruire un monde, c’est-à-dire à inférer les scénarios d’un labyrinthe encyclopédique. Je passais la soirée à dessiner de mémoire le plan du Dupratis Artis Theatrum, ou du moins les parties que j’en avais explorées.

Sixième journée

L’intérêt que nous avions manifesté les jours précédents pour les œuvres du Dupratis Theatrum avait quelque peu mis à mal les systèmes de défense de notre hôte. Nous logions dans l’Appartement-des-Amis, au rez-de-chaussée, et, pour la première fois, nous fûmes conviés à l’étage supérieur. Trois invités de la veille, qui n’étaient pas repartis, jouirent du même privilège.

À droite du pallier supérieur, une vaste bibliothèque de travail nous ouvrait les bras. H. D. se plongea dans son courrier et fit mine de nous ignorer, nous laissant ainsi tout à notre découverte. Comme le classement de cette bibliothèque a déjà été donné dans une étude des C. M. N. A. M., je n’y reviendrai pas. Devant les livres, souvent sur deux rangées, toute une foule de naturalia : plusieurs pierres d’aigle, un bloc de calcaire à indusies, un autre de calcaire chou-fleur, un quartz fantôme de Madagascar, du calcaire de Catham, du calcaire à turritelles agatisé, des météorites de Gibeon et de Mundrabilla, un morceau de silex rubané, un remarquable biface acheuléen, du jaspe, du porphyre, une sidérite avec des figures de Widmannschtätten, une impactite, une plaque de quartz dendritique, une pierre aux masures de Florence.

Près d’une porte se trouvait une agate d’Allemagne en provenance de la collection Dézallier d’Argenville : elle avait été sciée et ouverte de part et d’autre d’un bord rectiligne de façon à former un motif symétrique. Nous empruntâmes le passage et nous trouvâmes face à quatre compositions étrangement bleutées, rappelant le motif précédant. H. D. nous expliqua comment il avait inégalement incisé un film plastique noir collé sur une plaque de verre, l’avait photographiée à contre-jour, puis avait dupliqué le cliché, une première fois par rabattement latéral, et une seconde, par renversement, pour obtenir une double symétrie. Sans transition, il nous enjoignit de descendre à l’étage inférieur par un escalier à vis. Une autre écriture de lumière, figurative celle-là, nous attendait : c’était le même dessin des toits que celui fixé sur les Cibachromes du Grand-Atelier-de-la-Montée-des-Images. Nous nous aperçûmes que nous nous trouvions dans un recoin de cet Atelier qui nous avait échappé la veille, non loin de la Salle-de-l’Astronomie. Cette double proximité était due au fait que le même procédé avait été utilisé pour la figuration lumineuse des toits, pour les dessins de pierres de lumière et pour les tracés circumpolaires du château de Biron. Partis en exploration du Dupratis Theatrum, nous nous attendions à un plan impeccable, calque parfait de la classification des œuvres du maître. Plus nous avancions, plus nous avions au contraire le sentiment qu’un perturbant principe de métamorphose animait malicieusement l’ensemble, que transpositions et glissements en engendraient les multiples facettes sans que jamais nous soyons à même d’en déterminer quelque sous-ensemble clos.

Nous reprîmes notre parcours. La Salle-des-Incisions-de-Lumière communiquait par une passerelle avec la Salle-des-Incrustations dont les murs s’ornaient de huit panneaux décoratifs (improprement dénommés Marqueteries), avec la vue en perspective du même atelier que nous avions vu la veille gravée dans le béton. C’était chaque fois du contreplaqué teint, dans lequel avaient été incrustés des fils d’ébène, d’écailles de tortue, de laiton, de fanons de baleine, d’ivoire, de buis, de nacre ou de galuchat, selon le procédé des intarsie en vogue en Italie entre 1470 et 1520. Une alcôve contenait un cabinet de merisier dont les tiroirs recelaient une collection d’échantillons de bois, tous de la même grandeur, classés dans un ordre non alphabétique. De toutes les essences que nous pûmes examiner, je me souviens de l’imputrescible coccoloba rouge, des veines noires du wengé, du léger calocédar, de l’amarello brésilien, du gras niangon, du sipo qui fonce à l’air, du commercial afrormosia, du bubinga moiré, du pao rose, du louro vermelho et de l’amarante. Nous restâmes stupéfaits en pensant que H. D., doté d’une telle connaissance ligneuse, avait nonobstant confectionné ses Marqueteries en contre-plaqué.

En ayant franchi la passerelle, nous étions parvenus à un grand pavillon contigu, qu’H. D. avait acquis dix ans auparavant, et où il avait installé l’ensemble de ses contributions en hommage aux métiers d’art. Si les intarsie remontaient à 1986, la majorité des œuvres que nous allions y découvrir étaient postérieures, c’est du moins ce qu’il nous signifia. Nous commençâmes par retrouver le procédé précédent, appliqué à deux entrelacs de laiton directement incrustés dans le plâtre de deux murs voisins. À côté, ce geste ample cédait la place à une myriade de points constellant la paroi, fruit d’une matinée de tir avec plusieurs pistolets à grenaille de plomb. Cette Salle-des-Incrustations-in-situ se terminait par une mezzanine qui donnait sur La Montagne : une incrustation de bois et de marbre d’Iran dans le sol de béton de l’étage inférieur, énorme boursouflure tectonique dont le motif s’offrait à nous à l’envers. Appuyés sur la balustrade, nous suivîmes longuement les veines de la pierre dont les ramifications faisaient écho à celle du minuscule arbre effeuillé qui couronnait le promontoire, tout en nous demandant si cette germination stérile reflétait notre image de spectateur de l’art. Une voix s’éleva pour parler du Buisson ardent, mais H. D., qui n’avait pas entendu, ne répondit pas.

La gente sylvicole s’étalait encore plus loin sous deux espèces : une série de cinq troncs, tous richement ornés de milliers de têtes de clous de laiton juxtaposées ; un extraordinaire tronc dont les cinq branches se transformaient en tronc, entièrement couvert de plaquettes d’os fixées par une pointe. Comme le mot « vêtement » me venait à la bouche, j’aperçus par l’ouverture de la porte de droite un des aquariums de la salle principale du Phryganeum — car nous étions à nouveau au rez-de-chaussée —, et me souvins que la larve nue savait elle aussi se doter d’un précieux habit. L’arbre hybride couvert d’os se nommait La Racine et le fruit  ; le titre avait été copié dans un ouvrage de Koyré sur la naissance de la science à l’Âge baroque. H. D. nous fournissait ainsi une clé discrète pour nous faire rapprocher la mutation ligneuse qui gisait à nos pieds de l’infinie métamorphose à laquelle art et nature collaboraient continûment.

À un croisement de couloirs, ce que je pris d’abord pour un énorme bézoard servait de rond-point. La masse informe, cantonnée par une moulure de bois périphérique, s’ornait de brillants cabochons de couleurs. H. D., de son propre aveu, avait réussi là Le Pire, en incrustant des galets de la Durance dans un vague hémisphère de béton. Le souvenir mélancolique des exquises créations d’orfèvre de la Phrygane nous gagna face à ce monstrueux serti de chatons, en pleine matière, pâle version des exploits de la joaillerie moyenâgeuse. Un trifoire du même tabac, enchâssé dans le plâtre, y ornait le mur : les pierreux cabochons y pendaient, comme des pommes, au bout des branches éployées d’une torsade de cuivre. D. C., fort impertinent, me glissa qu’on se demandait où était Ève. J’avais pour ma part, et sans savoir pourquoi, l’image d’un bonzaï auquel on aurait accroché des décorations.

Nous ne prîmes pas le couloir qui ramenait au Chantier-des-bétons, et suivîmes notre guide dans la Salle-Intime. La lumière y émanait de trois objets patatoïdes ou oblongs, posés sur de modestes socles et claquemurés dans leur enveloppe. De la mie de pain avait servi à relier les branches de corail poli du premier. Les plaquettes d’ambre du second, soudées côte à côte n’entouraient que du vide. La lumière du troisième, plus récent, provenait d’un noyau de paraffine hérissé de cristaux de quartz. La séduction de ces carapaces me parut celle de l’être narcissique replié sur lui-même. Nos questions portèrent sur les matériaux. Le corail, animal marin fixé aux formes arborescentes et au squelette minéral, intéressait H. D. en raison de sa situation à la jointure entre les règnes. L’ambre jaune, issu de couches de lignite et qui sait parfois retenir prisonnier des insectes, participe lui aussi des trois règnes. Si les hommes néolithiques en faisaient déjà grand commerce, n’était-ce pas en raison de sa lumineuse couleur de miel ? Pour le quartz, H. D. nous montra une géode — « les cristaux dans la nature sont tournés vers l’intérieur ; j’ai retourné cela comme un gant » —, et me tendit L’Amour fou de Breton ouvert à la page 14. Il y était longuement question du « manteau impérial » que forme un mur de quartz dans la Grotte aux Fées située non loin d’Aurane. « Breton a pris de la calcite pour du quartz, mais peu importe ! » Comme ils semblaient « pousser » en terre, les savants avaient disputé longtemps pour savoir si les cristaux n’appartenaient pas au règne végétal, et cette ambiguïté avait nourri bien des légendes. C’était cette source d’imaginaire qui avait intéressé Breton ; H. D. semblait la reprendre à son compte.

La rêverie de l’intimité, chère à Bachelard, fit place dans la Salle-Paléolithique, attenante, à une autre rêverie, celle de la profondeur de la matière, accompagnée comme il se doit du désir d’effraction. Trois énormes blocs de grès et de moraine jurassique, cassés et recollés, donnaient une version monstrueuse du nucleus paléolithique, sans toutefois qu’aucun plan de frappe ne pût y être détecté. Je me souvins avoir lu un article à ce sujet dans la prestigieuse revue dijonnaise Main d’œuvre, où É. L. parlait de deux mouvements contraires : celui de la pulsion investigatrice qui avait présidé à la découpe des blocs, « pour en découvrir l’intérieur », et celui de leur recollement. Il parlait de l’action destructrice des siècles et de la patiente reconstitution de l’archéologue. Comme un restaurateur laissant visibles ses interventions, H. D. n’avait pas refait les joints qui demeuraient à l’état de cicatrices. Le geste, nota M. F., procède du même souci que lorsque dans les photographies de la chambre noire, il fixe au passage l’ombre de son propre appareil.

Une tout autre industrie lithique était fixée derrière une grande vitrine murale voisine : six ombres chinoises taillées dans du silex. H. D. à n’en pas douter avait lu quelque part que la naissance de la photographie était contemporaine de la vogue des théâtres d’ombre et des fantasmagories. Il avait trouvé là un lien avec ses essais de camera obscura. Mais par quel cheminement, par quelle fulguration spirituelle était-il parvenu à renouer ainsi avec ses premières amours d’archéologue ? L’art était bien ce lieu où les trajectoires les plus divergentes peuvent se recroiser, en dépit de toute logique. Des questions d’un autre ordre affluaient par ailleurs : devions-nous considérer que les dizaines de milliers d’années de l’évolution humaine se mesuraient à l’habileté de ces mains prenant forme de têtes animales, alors que celles de l’homme de Gargas ne figuraient que leurs propres doigts écartés ? Ou bien l’élégante figuration animalière de l’art franco-cantabrique trouvait-elle devant nous sa fin dérisoire dans un spectacle de foire ?

Cette seconde perspective, inquiétante, s’aviva quand, devant nous, s’étendit une tentaculaire composition arachnéenne, toute de fils tendus entre des clous, dessinant en négatif, sur la portion de mur vierge qu’elle entourait, une sorte d’échafaudage de bulles. « Cette forme a été recopiée sur une fresque représentant un bouclier crétois, mais ça n’a pas d’importance, car le résultat est purement abstrait. » Cette dernière remarque de notre cicérone, nous le comprîmes, n’était pas pour nous éclairer sur les merveilleux artifices dont nous n’avions que trop longuement contemplé les feux : il nous signifiait sa hâte.

Arrivés au point où nous nous trouvions, nous aurions pu aisément sortir par l’Antichambre-des-Souvenirs, car nous avions retrouvé, sans nous en rendre compte, le chemin des connaissances préhistoriques de l’artiste qui s’ignorait encore. H. D. choisit nonobstant de nous ramener au centre du Pavillon-des-Métiers-d’Art, d’où il nous fit descendre sous les beaux volumes en berceau des Caves-de-l’Ars. Des photographies évoquaient les employés successifs qu’il avait embauchés — parfois les meilleurs artisans dans leur spécialité —, en leur faisant souvent exécuter des tâches aberrantes, et en les contraignant à fatiguer des matériaux à contre-emploi. Les marqueteries étaient de la main d’un ébéniste fort mari d’avoir à manipuler du contre-plaqué ; le spécialiste de la taille des silex avait mis plusieurs années à réaliser les ombres chinoises ; plusieurs maçons avaient été sommés de fabriquer les dalles qu’on devait démolir deux mois plus tard ; plusieurs équipes d’assistants avaient enfoncé les clous de laiton, fixé les plaquettes d’os ou collé les morceaux d’ambre des heures durant ; le tambour rotatif qui trônait dans un coin avec des restes de sable abrasif, fabriqué par un mécanicien sur le modèle de celui d’un fournisseur de bijoutier, avait servi à polir des galets. L’ambre de la Baltique avait une histoire rocambolesque : sur le catalogue d’une exposition que le musée de Neuchâtel avait consacrée à l’ambre, on voyait un récolteur, de dos, et un nom de lieu ; H. D. avait fait une recherche, trouvé l’adresse — un petit village de Pologne —, était entré en contact avec le spécialiste par l’intermédiaire d’un interprète, s’était rendu chez lui où il était resté une semaine à attendre que trois kilogrammes d’ambre soient polis… Pour le quartz, il s’était pareillement rendu à Little Rock pour en rapporter des pointes de l’Arkansas. Le corail rouge sang de la Costa Brava avait été trouvé chez un marqueteur ébéniste de Toulouse, et envoyé polir au tonneau à Torre del Greco. Ainsi H. D. avait-il passé plus de temps à la recherche de matériaux et d’artisans compétents qu’à faire de ses propres mains toutes les merveilles que nous avions admirées.

Nous remontâmes au premier étage au Centre-de-Documentation où H. D. nous ouvrit le Placard-des-Références-Critiques. La collection de gravures et de citations qui y avaient été réunies était destinée aux critiques qui régulièrement rendaient compte de ses inventions. Chacun pouvait dès lors faire semblant d’être compétent en éthologie, en littérature, en préhistoire, en géologie et dans maints autres domaines, convoquer Rainer Maria Rilke, Eugenio d’Ors, Gerald Durrell ou Severo Sarduy, ou encore glisser dans son texte des phrases comme : « Il faut surtout signaler la remarquable thèse de Christian Denis, qui comporte notamment des observations sur la modification expérimentale du milieu naturel… » ; « Il n’est pas inintéressant de recourir aux textes classiques de la recherche entomologique et notamment à ceux du Ch. de La Bonnefon… », etc. Les critiques étaient de plus particulièrement heureux de pouvoir illustrer leur étude de documents inédits qui fissent croire à leur insondable érudition. H. D. tenait pour cela à leur disposition : deux gravures d’Épinal montrant le monde à l’envers, une enluminure avec un personnage nageant, entouré d’ondes concentriques, la reproduction de l’Allégorie de la colline de la sagesse de Pinturicchio (pavement de la cathédrale de Sienne) où se voit un petit arbre, la photographie d’éclats de silex recollés par un archéologue, celle d’un appuie-dos zaïrois en bois orné de clou de laiton, celle d’un silex excentrique en forme de dieu Maya, celle du reliquaire de Sainte-Foy avec sa robe de cabochons, celle d’une peinture d’Enguerrand Quarton, aux formes en entrelacs, celle d’une Daphné, sortie de l’atelier des Jamnitzer, au corps de bronze et à la tête de corail, celle, prise à Jérusalem, d’un cheval caparaçonné de plaquettes d’ivoires, une autre enfin, prise celle-là dans une brocante de la communauté d’Emmaüs, exhibant trois compositions de fils tendus entre des clous, selon la mode des années soixante. Il suffisait de demander.

« N’allez pas croire qu’il s’agit là de mon Panthéon. Il y a des œuvres que j’admire beaucoup, comme celles de Bernard Palissy ou d’Arcimboldo, dont je n’ai jamais directement tiré parti. »

À dix-huit heures, nous nous rendîmes en groupe au Bar-du-Progrès, que H. D. louait sur la place du village, et où il avait organisé l’exposition de sa Collection-Dard. Elle comprenait : six photographies floues de H. D. dans le chaos de Sauve ; deux serpillières d’éboueur transformées en statues de Moïse africain ; un jerrycan étêté faisant office de masque ; la face sous verre, mangée par l’acide, d’un terrifiant personnage surmonté d’un chien ; un téléphone de plâtre dont les écouteurs avaient la forme de seins ; une locomotive de bois de la compagnie L.P.D.R. des trains de déportés, chargée de petites locomotives ; des moulages de l’intérieur de préservatifs (deux en plâtre, un en plomb) ; une vue des monts Togo ; le motif d’une grille de fenêtre gravé sur du verre par sablage ; une chaise musicale ; le portrait d’une exploratrice polaire ; un insecte dessiné par répétition d’empreintes de petits tampons ; des morceaux de sparadrap recouvrant entièrement une main (sans la main) ; des casques de guerre en résine ; une saucisse en papier avec six yeux ; un couteau sans manche tenant lieu de saucisse ; des photogrammes de tissus ; une énorme dent en paraffine ; un personnage difforme en céramique ; le moulage d’un entonnoir de fourmi-lion ; trois tasses d’acier transformées en ventilateur, casserole et réchaud à alcool ; deux silhouettes taillées à coup de ciseaux ; plusieurs collages et plusieurs photographies dont une de Jean Suquet. Les trois-quarts des auteurs de ces œuvres étranges avaient exposé chez Jean-François Dumont, à Bordeaux [1]. Le vernissage fut arrosé de Buzet.

Septième journée

Les Jeux floraux débutèrent vers onze heures. La joute consistait à trouver une métaphore ou une œuvre particulière qui servît de clé à tout l’œuvre. Duprat avait lui-même, tour à tour promu certaines de ses œuvres au rang d’épitomé. La Phrygane, qui occupait à coup sûr une place à part, assurait une sorte de basse continue à une mélodie très hétérogène.

T. B., D. A. et É. A., ouvrirent le feu. Ils diagnostiquaient un art hétérogène, usant de l’artifice pour interroger le réel. Sa portée critique à l’égard des médias était indéniable ; le baroque et le rapport du microcosme au macrocosme, jouaient un rôle stratégique ; l’arme principale était la « sidération ».

En nommant le fruit de ses expériences dans la chambre noire : L’Atelier ou La Montée des images, H. D. avait tendu une autre perche. La dispute tourna donc ensuite autour de l’« atelier ». R. T. B. proposa de distinguer celui-ci selon qu’il était un « motif » sur lequel l’artiste revenait, ou un « modèle » abstrait indifféremment transportable. L’atelier, dit C. P, n’est pas l’objet du dispositif, son propos, mais un « espace symbolique », « virtuel, » dont chaque œuvre n’est qu’une manifestation aléatoire et éphémère. En déléguant son travail à la Phrygane, dont l’activité est elle aussi répétitive, Duprat « rend visible son propre désœuvrement. » R. R. renchérit : il voyait dans cet atelier le lieu d’un « ressassement mélancolique ». J.‑M. P. entra alors en lice, armé du livre de Damisch sur la perspective, qui venait de sortir. Il exigeait que l’on fît le départ entre le « sujet » et le « motif » : en matérialisant le motif humaniste de l’atelier, Duprat, expliqua-t-il, en fait quelque chose directement indexé au réel, indépendant et disjoint du sujet.

On en vint à la Phrygane. C. B. demanda que l’on prît sérieusement en considération le rapport entre l’art et la nature. La fabrique de Duprat, mêlant naturalia et artificialia, natura pictrix et ars invenit, ressortissait à une « science diagonale », le point de vue était celui d’une « esthétique généralisée », la philosophie de Duprat était « moniste ». R. R. convoqua sur ce point, à la surprise générale, une catégorie de l’esthétique moyenâgeuse : avec la chambre noire et la Phrygane, l’artiste avait placé au centre un type d’objet « axeiropo€htow », qui n’est pas fait de main d’homme. F. P. alluma un contre-feu en décrétant que « l’assimilation abusive de ce travail à la problématique nature/culture » était « restrictive ».

La théorie moyenâgeuse de l’image parut manquer de modernité et l’on se tourna donc vers quelqu’autre Zeitgeist. L’hétérogénéité, la cleptomanie de l’artiste, la remise en cause de la croyance néo-avant-gardiste en la rationalité du projet, semblaient la marque des années quatre-vingt. Cependant Duprat revendiquait le baroque avec insistance et plusieurs critiques prirent le relais pour promouvoir ce style au rang de clé interprétative. Les vingtièmistes ne voulurent pas le voir reléguer dans le passé ; ils citèrent Baudrillard et Virilio : on parla d’hypertélie et de surexposition. Le goût pour la vulgarisation scientifique, les Histoires de l’Oncle Paul, les Merveilles de la nature, le ramenèrent au xixe siècle : F. P. fit de Duprat un autodidacte, le classement de la bibliothèque que nous avions vue en étant à ses yeux la preuve indubitable. C. B., qui décidément parlait beaucoup, déclara qu’il fallait complexifier le temps historique. Il voulut tirer une leçon de la visite du Pavillon-des-Métiers-d’Art, le jour précédent : si l’on cherchait l’époque qui avait placé l’Ars au cœur de la création artistique, qui n’avait pas séparé l’activité intellectuelle de la manufacture, bref pour qui la « fabrique » n’avait pas un sens déchu, c’était celle du maniérisme. Le xvie siècle, à ses débuts, ne connut-il pas la mode de la marqueterie ? Ne vit-il pas la naissance des cabinets de curiosité ? N’est-il pas prolixe en créations qui jouent de la continuité entre la nature et l’artifice, comme celles des grottes, par exemple ?

Le désarroi des critiques et des historiens avait grandi au fur et à mesure qu’on avançait dans les différentes passes. Après l’hymne de C. B. à la gloire de l’humanisme, la confusion était à son comble. On avait usé l’anthymème jusqu’à la corde et le différend qui se mordait la queue finit par s’écrouler, épuisé. La cloche mit fin au jeu.

Quand nous sortîmes du Dupratis Theatrum, une musique disco emplissait l’air. C’était la fête du village et nous accompagnâmes tour à tour les enfants sur l’unique manège de chevaux de bois. Vers 18 heures la population se pressa sous les platanes de la place pour le lâcher des vachettes, que nous vîmes débouler, réfugiés sur le podium dressé autour de la fontaine. Deux s’échappèrent, que les raseteurs poursuivirent à l’extérieur du village.

La soirée chez H. D. draina tout un groupe de chalands. Ce fut une société fort mêlée où les parisiens du milieu de l’art furent absorbés par la bigarrure ambiante. Un des piliers du café de la place, avec son éternel vélo chargé de légume, avait suivi le mouvement. Les occupants d’un ancien poulailler reconverti en ateliers nous rejoignirent également, avec T. U. et B. R., qui venaient d’achever leur dernier meuble peint. L. R., l’éleveur de chevaux qui sortait d’hôpital après son cinquième accident de la route, accompagné de N. L., décorée d’un bel œil au beurre noir, arriva déjà passablement éméché et distribua les invitations de la prochaine exposition qu’il organisait dans son écurie. B. C. avait fait des pâtes et l’on s’installa autour d’une grande table dressée dans la cour. G. L. qui venait de quitter sa femme et vivait dans sa voiture, avait apporté plusieurs bouteilles. Une voisine tunisienne fit présent à H. D. d’un bloc de lapis-lazuli. L. C. avait apporté son catalogue des objets érotiques de collection à système et B. C. entreprit d’en expliquer le fonctionnement à E. D., le célèbre peintre maudit, qui, sûr de la nécessité de sa souffrance, fumait son quatrième paquet de cigarettes. La belle D. R. jeta son dévolu sur P. E., le directeur d’un centre artistique européen, qui cessa de boire pour l’occasion. R. D. se mit en tête d’intéresser le bout de la table à la « mise en réseau des écoles d’art » ; l’incident fut enrayé en lui donnant davantage à boire […]

Autour de l’aire où les ventres se remplissaient, les toits des maisons environnantes faisaient de leur découpe un écrin au ciel nocturne. Les torches de citronnelle disputaient leur clarté aux étoiles. Les micocouliers enveloppaient la rumeur de la soirée et l’air se fit propice à la méditation. Je m’écartais vers le bosquet de cannes qui défendait le chemin d’accès et m’assis sur une grosse pierre meulière qu’on avait abandonnée là. Les images des sept jours précédents affluaient en désordre. J’emplissais mon rêve de merveilles et parcourais à nouveau les dédales du Dupratis Theatrum. Je me jurais d’en rapporter fidèlement la visite.

 

Lexique

Acheuléen : période du paléolithique ancien.

allée couverte : ensemble de dolmens formant un tunnel, souvent enfoui sous un tumulus de pierre ou de terre.

ambre jaune : résine fossile dure et semi-transparente. L’ambre jaune oligocène de la Baltique contient parfois des insectes fossiles. Il se récolte sur le littoral. Les anciens, qui y attachaient beaucoup de prix, l’ont sculpté et l’ont utilisé en incrustations.

Ammonite  : ordre de mollusques céphalopodes fossiles apparu au Trias, dont la forme enroulée rappelle celle des cornes de bélier ornant dans l’Antiquité le front de Jupiter Ammon.

anaglyphe : Procédé graphique ou photographique créant l’illusion du relief, découvert par Ducos de Hauron en 1891. L’effet est obtenu en observant au moyen de lunettes appropriées (comportant un filtre vert d’un côté et un filtre rouge de l’autre) la superposition avec un léger décalage de deux vues du même sujet, l’une rouge, l’autre verte. Cf. H. Vuibert, Les Anaglyphes géométriques, Paris, Libr. Vuibert, 1912. Marcel Duchamp a réalisé des anaglyphes vers 1920.

Arcimboldo, Giuseppe  : peintre italien (1527-1593), célèbre pour ses caprices picturaux, où la juxtaposition de fleurs, de fruits ou de coquillages recompose une figure humaine allégorique.

ars  : mot latin. Art, mais aussi science et métier. Le mot « art » n’a pris qu’au xviiie siècle l’acception exclusive que nous lui connaissons (« les beaux-arts »). L’ancienne conception de l’art comme habileté dans un métier n’a cependant pas totalement disparu.

astrophotographie : photographie du ciel nocturne.

Axeiropo€htow : expression grecque ; littéralement « qui n’est pas fait de main d’homme ».

Baltrušaitis, Jurgis : historien de l’art (1903-1988). Dans une série d’ouvrages, il a étudié ce qu’il nomme les « perspectives dépravées », toute une série de manifestations en marge de l’histoire de l’art : pierres imagées, anamorphoses, physiognomonie, métaphore arborescente dans l’architecture, imaginaire des jardins, égyptomanie, etc.

baroque : mot d’origine portugaise (barocco) qui désignait une perle irrégulière. Au xviiie siècle, l’acception figurée « bizarre » devient fréquente. Ce sont les historiens allemands Jacob Burckhardt (1855) et Heinrich Wölfflin, qui l’utilisent les premiers pour désigner la période qui suit la Renaissance.

bézoard : concrétion pierreuse qui se trouve dans l’estomac de certains mammifères et à laquelle on attribuait autrefois des vertus de contre-poison. Objet typique des cabinets de curiosité.

bombe volcanique  : fragment de matière volcanique projeté en l’air lors d’une éruption.

Breton, André  : écrivain, poète, chef de file du mouvement surréaliste (1896-1966). Dès 1928, Breton avait évoqué dans Nadja la poétique des objets trouvés. Il possédait toute une collection hétéroclite qui meublait des étagères de son cabinet de travail. Elle est visible aujourd’hui au Musée national d’art moderne.

cabinet : nom donné par métonymie à un petit meuble d’ébénisterie, finement ouvragé, souvent marqueté, comportant de nombreux tiroirs ou ventaux, dans lequel pouvaient se ranger des collections miniaturisées, et caractéristique des cabinets d’étude de la Renaissance.

cabinet de curiosité : ensemble de collections touchant à des domaines très différents réuni en un seul lieu. On y mêlait selon une distinction classique les naturalia et les artificialia. Les cabinets de curiosité sont nés à la Renaissance. Ils trouvent leur origine dans les trésors d’église et les trésors profanes des princes, les studioli de la Renaissance italienne, espace privé réservé à l’étude, formant charnière (studioli du duc d’Urbino, de Lionel et d’Isabelle d’Este, etc.) Le cabinet de l’Archiduc Ferdinand de Tyrol, à Ambras, celui de l’empereur Rodolphe ii à Prague, celui du prince électeur de Saxe à Dresde, sont parmi les plus célèbres. Au xviiie siècle, les cabinets d’histoires naturelles se distingueront de plus en plus nettement de ces anciens bric-à-brac. On connaît les collections des cabinets de curiosité par leurs catalogues, souvent ornés d’un frontispice qui en offre une vue imaginaire ordonnée. L’ouvrage classique sur le sujet est celui de Julius von Schlosser (1908). On dispose aujourd’hui de nombreuses autres études (Pomian, Lugli, Schnapper, Falguières, Bredekamp, etc.). Les artistes qui ont réalisé des « musées personnels » (Duchamp, Broodthaers, Oldenburg, Distel, etc.) ont contribué à la promotion des formes muséographiques. Parmi eux, Daniel Spoerri, pour ses « musées sentimentaux », s’est directement inspiré des cabinets de curiosité.

Caillois, Roger : homme de lettres, anthropologue (1913-1978). Caillois participe de 1932 à 1934 au mouvement surréaliste. Il fonde avec Georges Bataille et Michel Leiris le Collège de sociologie (1938). Pour Caillois, le merveilleux est avant tout dans la nature. Il faut retenir à ce sujet ses études sur la mante religieuse (1934), le mimétisme animal (1960), les pierres (1966). Caillois a défendu ce qu’il appelle les « sciences obliques » et les « cohérences aventureuses ». Dans son Esthétique généralisée (1963), il classe les formes selon quatre origines : « accident, croissance, projet et empreinte », et intègre dans le champ artistique la beauté qui se trouve « au dehors de l’univers du mérite et de la réussite ».

camera obscura : chambre noire munie d’un petit trou par où filtre la lumière. Sur la paroi opposée apparaît l’image inversée de ce qui se trouve devant ce sténopé. Le principe en est connu depuis l’Antiquité. Il est signalé par Euclide, Aristote, Al Hazin, Roger Bacon, Léonard de Vinci, Johannes Kepler, etc. Aux xviie et xviiie siècles, la camera obscura sert fréquemment de modèle pour rendre compte de la vision humaine. Au xixe, ce dispositif qui était un des paradigmes du lieu de la vérité, devient celui des forces qui dissimulent et trompent.

Chalcolithique : âge du cuivre.

circumpolaire (tracé) : Le trajet de chaque étoile — visible sur une photographie quand le temps de pose est long — est un arc de cercle centré sur l’étoile polaire (dans l’hémisphère nord).

dendrite : à la surface d’une pierre, dessin formé par de petits cristaux de métal natif, rappelant une forme végétale ramifiée.

éperon barré : village néolithique (ou protohistorique) de hauteur protégé par une fortification ou un fossé.

engobe : couverte d’argile diluée, mêlée à des oxydes et appliquée sur une céramique pour en masquer la couleur naturelle.

entomologie : étude des insectes.

éthologie : étude du comportement animal.

Fourmi-lion  : genre d’insecte de l’ordre des Névroptères, dont les larves creusent des trous en forme d’entonnoir et s’enterrent au fond pour y dévorer par sucion les fourmis qui tombent dans le piège.

Gargas  : grotte préhistorique des Hautes-Pyrénées, célèbre pour ses nombreuses silhouettes de mains.

garrigue : formation végétale issue de la dégradation sur sol calcaire de la forêt de chêne vert méditerranéenne.

gave : cours d’eau torrentiel de la partie occidentale des Pyrénées.

géode  : forme subsphérique dont l’intérieur est remplie totalement ou presque de substance minérale cristallisée.

Gerris  : genre d’insecte carnassier, de la famille des Hétéroptères. Grâce à ses fines et longues pattes, il peut courir rapidement à la surface des eaux ; nom populaire : araignée d’eau.

Hallstatt : site archéologique autrichien ayant donné son nom au premier âge du fer.

holométabole : se dit des familles d’insectes dont la nymphose est complète, c’est-à-dire où rien de la forme de la larve ne se conserve.

imago : forme de l’insecte adulte. Par métaphore, image de la psyché humaine. L’imago a un sens ambivalent : image identitaire (c’est le sens que retiendra surtout Jung) mais aussi portrait d’ancêtre ou simulacre ; l’insecte adulte, avec son aspect extravagant, ayant tout autant à voir avec l’idée d’un habit second qu’avec celle de l’identité. (Freud prisait carl Spitteler et son roman Imago, pour ce que son auteur y faisait assez sentir le comique d’une fixation imaginaire à la première femme aimée.

impactite : roche métamorphique produite par l’échauffement des roches qui étaient proches du point d’impact d’une météorite.

indusie : fourreau fossile de Phrygane. Le calcaire à indusies se trouve en abondance dans les formations de l’Oligocène de la Limagne.

incrustation : insertion de lamelles de bois ou d’autres matériaux, formant dessin, dans des logements évidés du fond.

in situ  : expression latine ; en place.

installation : terme technique appartenant au jargon artistique ; signification incertaine.

intarsia : mot italien (plur. ie), les dictionnaires actuels le donnent au masculin (intarsio, i) ; marqueterie.

kermès (chêne) : chêne arbustif, à feuilles persistantes, typique de la garrigue.

labium  : pièce inférieure de l’appareil buccal des insectes.

lapis-lazuli : lazurite ; pierre d’un bleu azur, constituée d’aluminosilicate de sodium et de calcium chloré et sulfaté. Les premiers sites d’exploitation, au nord de l’Afghanistan, remontent au chalcolithique, époque où le commerce s’en développa. Base du pigment dénommé « outremer ».

lithique (industrie) : produits de la taille de la pierre.

maniérisme  : Style apparu entre 1515 et 1520, à Sienne, à Florence et à Rome. La maniera est d’abord le style. Pour Vasari, le xvie siècle est celui de la « manière parfaite ». « Maniériste » et « maniérisme » apparaissent ensuite, et dans un sens péjoratif. À la fin du xvie, le maniérisme triomphe à Prague, à la cour de Rodolphe ii.

marqueterie : décoration faite de lamelles de bois (ou d’autres matériaux) appliquées par collage sur un bâti.

Mécoptères : super-ordre auquel se rattache l’ordre des Trichoptères.

merveille  : du latin mirabilia, chose rare, étonnante. À l’origine le mot n’est pas synonyme de beauté : le merveilleux inclut donc le monstrueux.

météorite : fragment pierreux ou métallique, provenant de l’espace.

métiers d’art : À partir du moment où l’art s’est distingué de l’habileté manuelle, du simple métier, il a fallu forger une sorte de pléonasme pour désigner ce qui dans les métiers ressortissait à l’art.

moniste (philosophie) : doctrine philosophique qui n’admet qu’un seul principe : qui n’oppose pas, par exemple, la culture à la nature.

moraine : accumulation de débris rocheux, charriée et déposée par un glacier.

narcissisme : chez Freud, stade de développement nécessaire entre l’auto-érotisme infantile et l’amour d’objet. « Le charme de l’enfant repose en grande partie sur son narcissisme, le fait qu’il se suffit à lui-même, son inaccessibilité ».

neck : formation volcanique verticale résultant de la mise à nue d’une ancienne cheminée d’explosion.

Nèpes : genre de punaise aquatique de l’ordre des Hétéroptères ; piqûre venimeuse ; nom usuel : scorpion d’eau.

Niépce, Nicéphore : physicien français, inventeur (1765-1833). Dès 1916, il fait des tentatives pour fixer directement sur des plaques de gravures des images de la chambre noire. Elles aboutissent à ce que l’on considère comme la première photographie, prise depuis une fenêtre de sa maison, en 1926. Le procédé, perfectionné par Daguerre, aboutit à sa divulgation officielle en 1939 par Arago.

Notonecte : genre d’insecte de l’ordre des Hétéroptères, vivant sur les mares où il chasse de petits insectes ; piqûre douloureuse.

nucleus : rognon de silex à partir duquel on débite des lames par percussion.

nymphose : état intermédiaire de l’insecte entre sa forme larvée et l’imago.

objet surréaliste : De nombreux artistes dadaïstes et surréalistes ont utilisé ou réalisé des objets, à commencer par Duchamp et ses ready-mades, Man Ray, etc. En 1931, Salvador Dali a proposé un catalogue général des objets surréalistes, classé en six catégories : objets à fonctionnement symbolique, objets trans-substanciés, objets à projeter, objets enveloppés, objets machines et objets moulages. En mai 1936, a lieu chez Charles Ratton une « exposition surréaliste d’objets », où sont présentés : des « objets naturels » — cristaux, plantes carnivores, tamanoir —, des « objets naturels interprétés ou incorporés » à des assemblages, des « objets perturbés », modifiés par un incendie, un tremblement de terre ou l’irruption d’un volcan, des « objets trouvés » exposés tels quels ou interprétés, des « objets mathématiques », des « objets sauvages (masques, etc.), sans compter des « objets surréalistes ».

orpailleur : artisan qui recueille par lavage les paillettes d’or dans les rivières ou les terres aurifères ; par extension : chercheur d’or.

oxymore ou oxymoron : figure de rhétorique consistant à joindre deux termes incompatibles en faisant comme s’ils ne l’étaient pas. Gérard Genette voit dans l’antithèse et dans l’oxymore des figures qui fondent la poétique baroque.

Palissy, Bernard : potier, émailleur, écrivain et savant français, huguenot (v. 1510-v. 1589). Ses recherches sur la faïence émaillée ont contribué à sa notoriété. Il excella dans les émaux jaspés et créa des poteries caractéristiques ornées de plantes, de fruits et de petits animaux en relief. Il créa aussi des grottes rustiques. Il se passionna pour les fossiles. Il proclama la supériorité de la pratique sur la théorie.

Permien : période géologique qui termine l’ère Primaire, comprise entre le Carbonifère et le Trias.

Phrygane  : nom générique appliqué autrefois aux familles de Trichoptères dont les larves fabriquent des fourreaux. On réserve maintenant scientifiquement ce nom au genre qui est le type de la famille des Phryganidae. On a aussi appelé autrefois, Phryganides, l’ensemble des Trichoptères. De façon populaire, « Phrygane » continue cependant à être utilisé dans son acception ancienne, notamment chez les pêcheurs à la mouche (et ici chez Louis Chatel). Voir aussi « porte-bois ».

pierre aux masures : marbre imagé florentin où se voient comme des ruines de villes.

pierre de lune : variété d’Orthose (groupe des Feldspaths) à reflets bleu laiteux, qu’on disait autrefois provenir de la lune.

pierre de rêve : fragment de pierre imagée prélevée par des peintres chinois du xixe siècle, qui les retouchaient ou non, et qui les dotaient d’un titre évocateur.

pierre imagée : pierre dans lesquelles se perçoivent des images. Lorsqu’elles ne sont pas retouchées, elles sont dites a natura depicti, lorsqu’elle son retouchées ou qu’un artiste y a ajouté des personnages, ars adaptavit ou ars pinxit.

plan de frappe ou plan de percussion : surface naturelle ou aménagée d’un silex sur laquelle va venir frapper le percuteur.

Planorbe : Gastéropode pulmoné d’eau douce à spirales plates.

porte-bois : nom familier de certains Trichoptères des familles Phryganides et Limnophilides, dont le fourreau est fait de brindilles de bois.

potamot : plante vivace aquatique, submergée ou flottante, abondante dans nos ruisseaux et nos étangs.

quartz fantôme : résultat de la reprise de cristallisation à l’intérieur d’un cristal. « Une aiguille de cristal habitée par sa propre effigie » (R. Caillois)

ready-made : objet manufacturé promu à la dignité d’objet d’art par le seul choix de l’artiste. Marcel Duchamp en est l’inventeur : Roue de bicyclette, 1913, Porte-bouteilles, 1914, etc. Le « ready-made assisté » suppose des modifications de l’objet.

rougier : grès rouge permien.

Salagou : lac artificiel occupant l’ancien lit de la rivière d’un affluent de la Lergue.

séricigène (glande) : chez la Phrygane, glande produisant la soie sécrétée par la filière qui aboutit au labium.

serti  : terme de joaillerie ; enchâssement de diamants. Le sertissage en pleine matière consiste à placer le chaton dans un trou et à repousser le métal autour pour la fixer.

sidérite (ou sidérolithe) : météorite ferreuse.

sigillée (céramique) : céramique romaine, à engobe rouge, décorée ou signée à l’aide de poinçons ou de sceaux. Les pièces étudiées par Duprat provenaient d’ateliers sud-galliques (La Graufesenque et Montans) et dataient du premier siècle après J.‑C.

stéréoscope  : appareil à deux optiques permettant de voir deux vues contiguës du même sujet en ayant l’illusion du relief. Les vues stéréoscopiques utilisées sont des photographies qui ont été prises simultanément à une distance égale à celle de l’écartement des yeux. Le procédé eut un grand succès à la fin du xixe et au début du xxe siècle.

sténopé  : trou de la chambre noire par ou pénètre la lumière.

Torre del Greco  : ville de Campanie, dans le golfe de Naples, centre de pêche et de travail du corail.

Trichoptères (ordre des) : autrefois rangés parmi les Névroptères, l’ordre compte, en Europe, plus d’un millier d’espèces. Ces petits insectes se différencient des Lépidoptères par des larves le plus souvent aquatiques et des ailes recouvertes de fines soies. Comme les papillons de nuit, ils ont des mœurs crépusculaires ou nocturnes. L’ordre est holométabole (la nymphose est complète). Il comporte vingt familles. Certaines familles, en France (Phryganidae, Limnophilidae, Séricostomidae et Leptocéridae), se distinguent par des larves qui fabriquent à partir de matériaux empruntés à leur environnement un étui minéral, végétal ou mixte, étui (ou fourreau) dans lequel elles logent sans adhérer. Lors de la nymphose, l’étui est fermé et le corps entier de l’animal se métamorphose ; la nymphe, comme la larve, est pourvue de trachéobranchies. L’appareil buccal est de type broyeur et le labium porte une filière où débouche le canal des glandes séricigènes. L’étui larvaire ou nymphal a plusieurs fonctions : minéral, en eau courante, il leste l’animal ; végétal, en eau stagnante, il lui permet de bloquer une bulle d’air et d’évoluer à la surface ; soyeux, il protège les branchies et régule la quantité d’eau d’où est extrait l’oxygène ; enfin, par son aspect mimétique, il protège des prédateurs.

trifoire : terme de joaillerie emprunté à l’ancien français ; incrustation de pierres fines.

Triton : genre de petit Amphibien de l’ordre des Urodèles, vivant dans les étangs et les mares où ils se nourrissent de larves, de petits crustacés et d’insectes.

turritelles calcaire à : calcaire fossile du secondaire ou du tertiaire, constitué par l’accumulation de coquilles d’un Gastéropode prosobranche ; la coquille est conique, pointue, formée de tours ornés de côtes.

Widmannstätten (figures de) : motif réticulé, losangé, qui apparaît sur la surface polie de certaines sidérites traitées à l’acide.

Wunderkammer : cabinet de curiosité ; littéralement « chambre de merveille ».


Bibliographie

Sur Hubert Duprat

L’essentiel de l’iconographie et des données biographiques se trouvent dans les catalogues d’exposition suivant :

Plaquette de l’expos., Hubert Duprat, Toulouse, Préfiguration du musée d’art moderne et de la création contemporaine, réfectoire des Jacobins, série « Moments d’une démarche », 1985.

« Hubert Duprat », In Magazine, n° 2, Bordeaux, galerie Images Nouvelles, février 1986.

Hubert Duprat, cat., Bordeaux, galerie Jean-François Dumont, 1988.

Hubert Duprat, cat. de l’expos., Paris, Hôtel des arts, Fondation nationale des arts, 1991.

Hubert Duprat, cat. de l’expos., Angoulême, FRAC de Poitou-Charentes, 1992.

Hubert Duprat, cat. de l’expos., Antibes, Musée Picasso, 1998.

Hubert Duprat, cat. de l’expos. à Miraflores, Lima, Sala Luis Miró Quesada Garland, 2000.

On y trouvera également de nombreux compléments bibliographiques.

L’artiste a publié des notes dans le cat. de l’expos. Aubry, Duprat, Convert (Cadillac, 1988).

Les principales études sur son œuvre sont celles d’Alain Mousseigne (cat. 1985), d’Éric Audinet, (suivie d’un entretien, cat. 1986), de Ramón Tió Bellido (cat. 1985, 1988 et 2000), de Michel Assenmaker, Christian Besson, Catherine Perret et Jean-Marc Poinsot (cat. 1991), de Mo Gourmelon (Arts Magazine, janvier 1992), d’Emmanuel Latreille (Hors d’Œuvre, n° 0, Dijon, 1997), de Christian Besson (sous la forme d’un entretien avec l’artiste, Leonardo, vol. xxxi, n° 3, San Francisco, 1998), de Maurice Fréchuret, Stephen Bann et Roland Recht (cat. 1998), de Frédéric Paul (Les Cahiers du MNAM, n° 72, été 2000), de Maribel Königer (Kunstforum n° 151, été 2000).

Autres ouvrages utilisés

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Didier Arnaudet, Jean-François Dumont : une galerie à Bordeaux 1984-1998, Bordeaux, 1999.

Henri Atlan, L’Organisation biologique et la théorie de l’information, Paris, 1972.

idem, Entre le cristal et la fumée. Essai sur l’organisation du vivant, Paris, 1979.

Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Paris, 1948.

idem, La Terre et les rêveries du repos, Paris, 1948.

idem, La Poétique de l’espace, Paris, 1957, p. 105-129  : « La coquille ».

Jurgis Baltrušaitis, [1955], Anamorphoses ou Thaumaturgus opticus, 1983.

idem, Aberrations. Quatre essais sur la légende des formes [1957], Paris,1983.

Botosāneanu et Malicky, Limnofauna Europae, Amsterdam, 1978.

Brachet, La Vie créatrice de formes, Paris, 1927.

Horst Bredekamp, La Nostalgie de l’antique. Statues, machines et cabinets de curiosités [1993], Paris, 1996.

Christine Buci-Glucksmann, La Folie du voir. De l’esthétique baroque, Paris, 1986.

Roger Caillois, « Mimétisme et psychasténie légendaire », in, Le Mythe et l’homme [1938], Paris, 1972, p. 86-122.)

idem, Méduse et Cie, Paris, 1960.

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Carl Spitteler, Imago [1906], Paris, 1984.

Jacob von Uexküll, Mondes animaux et monde humain, [1934], Paris, 1956.)

Paul Valéry, L’Homme et la coquille, Paris, N.R.F., 1937.

Henry Vuibert, Les Anaglyphes géométriques, Paris, 1912.

Anthony Wilden, « L’écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert », Communications, n° 18, 1972, p. 48-71.

 

Note

[1]. Note de l’éditeur : Il semblerait qu’il s’agisse, dans l’ordre, d’œuvres de : Éric Maillet, Jacques Bruel, Daniel Schlier, Stephen Marsden, Joachim Mogarra, Pascal Convert, Michel Aubry, Nathalie Talec, Richard Fauguet, Denis Castellas, Daniel Spoerri, Pierre Savatier, Jean-François Gavoty, Elmar Trenkwalder, Richard Monnier, Dan Peterman et Georg Ettl.