Le souci du contexte

Autour de 1968

[Version intégrale inédite [printemps 1996]. De larges extraits, sélectionnés par les organisateurs, sont parus dans le catalogue de l’exposition Face à l’histoire (19 décembre 1996-7 avrill 1997), Paris, Centre Georges Pompidou, 1996, p. 416-423.]

« [Les] rapports contextuels ne se limitent pas à faire dépendre la signification d’un texte du fait qu’il en présuppose d’autres. Tout en obéissant à la fonction juridique du contexte, le nouveau texte vise à s’approprier le rôle juridique, à le posséder ; cela veut dire qu’il polémique avec ce qu’il présuppose […] »
Julia Kristeva, La révolution du langage poétique, 1974.

En relisant les textes et déclarations d’artistes aussi différents que Marcel Broodthaers, Daniel Buren, Victor Burgin, Dan Graham, Hans Haacke, Joseph Kosuth, Lawrence Weiner et quelques autres, ou émanant de groupes comme Art & Language, Supports-Surfaces, le Collectif d’art sociologique, on peut reconstruire a posteriori la discussion implicite qui, autour de 1968, court sur le contexte de l’art. L’examen attentif des discours produits de 1966 à 1972 – pour fixer une limite précise à cet inventaire non exhaustif [1] – montre que les mots « contexte », « cadre », « limites », « référence », « champ », « système » y reviennent comme des leitmotive. Les questions en jeu sont celles de la conception élargie ou non du « champ » de l’art, de sa co-extensivité ou non avec la vie, de la clôture ou non de la représentation et de celle de l’art, du caractère absolu de cette clôture ou de son possible franchissement, de son déplacement ou de son absence déclarée ou projetée, de la nature du « contexte » – tenu pour une catégorie textuelle (construite dans le texte et par lui), ou incliné davantage vers le réel, voire absorbé dans cette instance. À travers cette discussion les artistes concernés ont tenté de reformuler les rapports de l’art et du réel. Le caractère théorique de leur réponse face à l’histoire ne doit pas en effacer l’importance, respectivement à d’autres qui, à la même époque, paraissent plus directement engagées.

I

Histoire, entropie et répétition

Le point de départ pourrait être vu dans un certain bégaiement de l’histoire. Dès le début des années soixante le titre du livre de Harold Rosenberg The Tradition of the New (traduit en 1960) faisait sens. Comme en écho, on trouve en 1962, sous la plume d’Henri Lefebvre, ce constat cruel que « la répétition gâteuse et l’exaltation d’une perpétuelle nouveauté coïncideraient ».

« L’exigence du sensationnel perpétué dans l’actualité se traduit donc par la répétition. Le phénomène maintenant connu de la saturation, de l’épuisement, du passage rapide de l’intéressant à l’ennuyeux, donne lieu à des techniques qui luttent contre lui : celles de la présentation. On sait présenter et varier les présentations. La « présence » elle-même devient l’objet de technique et de mystification, elle qui paraissait l’authentique en personne. Il y a du faux nouveau… [2] »

Ad Reinhardt

Ad Reinhardt, en défendant ironiquement l’idée d’un art « éternel » s’était opposé, dès la fin des années cinquante, à la domination ambiante du nouveau – que ce dernier se donnât sous formes d’inventions technologiques ou dans les frissons de l’encanaillement avec la pop culture. Ses Douze règles pour une nouvelle Académie [3], qui remontent à 1957, en demeurent l’expression la plus provocante. Ses formules toutes empreintes de théologie négative, ses litanies « art as art », « art is art », etc., répétées tout au long de ses textes, comme l’adoption résolue dans sa peinture de formes simples, peu lisibles, reprises inlassablement de toile en toile, tranchaient sur le reste des déclarations et des œuvres contemporaines. Invité en 1966, à Londres, au symposium Destruction in Art, il lu comme contribution un programme de rétablissement de certaines loi dans l’art [4] ! Dans des notes inédites de 1963 [5], il affirme la séparation absolue de l’art et de la vie, du musée d’art des autres musées, des écoles d’art de toute autre forme d’éducation :

« Quand [on] efface toutes lignes de démarcation, tout cadre (de travail), tout édifice », avec “n’importe quoi est art”, “n’importe qui peut être un artiste” […], le monde de l’artiste est un commerce maniériste, primitif, un vaudeville suicidaire, vénal, génial, méprisable, insignifiant. »

Le contexte artistique, pour Ad Reinhardt, n’est inscrit dans aucun autre, ni ne communique avec :

« L’art vient de l’art seul, toujours et partout, jamais de la vie, de la réalité, de la nature, de la terre ou du Paradis. »

Land Art

Les célèbres Notes sur la sculpture de Robert Morris, publiées en 1966 et 1967, replaçaient au contraire l’œuvre dans un contexte relationnel, en invoquant la « présence du spectateur ». Elle doivent tout à une conception phénoménologique de l’objet, qui ne sépare pas son être-là de la conscience qui l’appréhende :

« La conscience du spectateur comme existant dans le même espace que l’œuvre est plus forte ici que dans la sculpture traditionnelle avec ses nombreuses relations internes. [6] »

Cette mise en situation de la sculpture allait trouver son expression la plus voyante dans le Land Art. Les écrits de Robert Smithson, tenu pour un des chefs de file de ce courant, offrent des considérations sur l’histoire qui éclairent quelque peu ce qui fut parfois perçu comme une simple évasion hors des lieux culturels. Dès 1966, dans un de ses premiers articles [7], en envisageant différentes œuvres contemporaines – des sculptures pour la plupart – comme des monuments, il introduit un facteur temporel tout à fait différent de celui de Morris ; il les situe dans une histoire naturelle et en souligne le destin entropique (en se référant au second principe de la thermodynamique) ; il cite à ce propos « une observation de Nabokov selon laquelle “le futur n’est que l’obsolète à l’envers” ». En revenant sur ce thème dans un autre article, la même année [8], il cite comme source de cette inversion les Douze règles pour une nouvelle Académie d’Ad Reinhardt, ainsi que Les formes du temps de George Kubler [9], livre dont le succès aux USA ne se démentit pas tout au long des années soixante. Contre l’idée de style qui « sépare les choses de leur contexte », ce dernier invitait à lire l’histoire des choses, en « gardant à l’esprit la durée et le contexte ». Il retournait également le vecteur historique :

« Au lieu d’occuper un univers de formes en expansion – supposition optimiste mais prématurée de l’artiste contemporain –, il faudrait considérer que nous habitons un univers fini […] »,

alliant ainsi curieusement une vision de la clôture de l’histoire, à la tentative de déterminer les « formes du temps » – les règles qui régiraient l’évolution des arts comme celle des choses se rapprochant de fluctuations biologiques. Il fournissait à Smithson des arguments pour soumettre l’œuvre d’art au temps naturel, jusqu’à l’effacement. L’inclusion de l’histoire humaine dans le temps plus large de la nature, conduit Smithson à ne pas opposer ses œuvres dans la nature de celles dans les musées et galeries, site et non-site, les unes comme les autres étant in fine des ruines potentielles, vouées à retourner dans l’ordre de la nature. Revenant sur l’image pascalienne de la sphère dont le centre est partout, Smithson la renverse et imagine « une sphère dont la circonférence est partout, le centre nulle part [10] ». Le monisme qui préside à une telle spéculation interdit une véritable dialectique entre le dedans et le dehors de l’institution. C’est ainsi que quand Smithson envisage de « considérer la dialectique comme le rapport du coquillage à l’océan [11] », il ne met sous ce nom que la relation d’appartenance à la nature.

Quand, en 1979, Rosalind Krauss [12] avancera le concept de « champ élargi » pour rendre compte des développement récents de la sculpture, elle s’appuiera essentiellement sur les œuvres des tenants du Site specific, Robert Smithson en tête. Le schéma qui illustre son article est une sorte de carré sémiotique qui distribue la catégorie « sculpture » en fonction du paysage et de l’architecture, en termes d’opposition et de contrariété. La limitation de la discussion à ces deux facteurs induit une extension de la notion essentiellement spatiale. En dehors de sa fortune dans le domaine de l’art, il faut noter combien le terme « champ » est largement utilisé, de la psychologie sociale béhavioriste de Kurt Lewin, à la sémantique. Il connaît un succès plus tardif en France depuis qu’en 1977 Pierre Bourdieu a commencé à élaborer une théorie du « champ de production culturel », en faisant de celui-ci le lieu de l’engendrement simultané de la valeur des œuvres et de la croyance en cette valeur [13]. Il y a là une toute autre acception, que celle provenant de Greenberg (via Schapiro), que des artistes en dehors du Land Art s’étaient chargés d’explorer de leur côté – au bémol près, pour être exact, que Smithson lui-même (comme on vient de le voir) n’en avait pas fait une affaire seulement spatiale.

II

B.uren, Mosset, Parmentier et Toroni

C’est une banalité de rappeler que le structuralisme s’appuie sur une conception de l’histoire non linéaire, toute entée sur la synchronie au détriment de la diachronie [14]. Renversant la « différence ontologique » chère à Heidegger, ses héritiers des années soixante feront diversement de la répétition un horizon ontologique. « La mort est à l’aube », écrit Jacques Derrida en 1967, « parce que tout a commencé par la répétition [15] ».

« Nous ne savons donc plus si ce qui s’est toujours présenté comme re-présentation, comme « supplément », « signe », « écriture », « trace », n’est pas, en un sens nécessairement mais nouvellement an-historique, plus « vieux » que la présence et que le système de la vérité, plus vieux que l’« histoire ». […] Si la force de répétition du présent vivant qui se re-présente dans un supplément […] n’est pas plus « ancien » que l’« originaire ». [16] »

Gilles Deleuze, dans l’avant-propos de sa thèse [17], publiée fin 1968, reconnaît traiter un sujet « manifestement dans l’air du temps ». S’il évoque des exemples pris dans le domaine des arts visuels (Warhol, entre autres), il ne dit mot d’Ad Reinhardt, ni des manifestations de Buren, Mosset, Parmentier et Toroni. Pourtant, avec sa thèse d’une « répétition qui sauve », opposant à une mauvaise une bonne répétition, il semble partager avec eux, et au même moment, l’intuition d’une stratégie nouvelle faisant fond sur la répétition.

Le tract « Puisque peindre c’est… », diffusé par Buren, Mosset, Parmentier et Toroni, comme invitation à leur première manifestation, le 3 janvier 1967, dans le cadre du salon de la Jeune Peinture, se terminait par un provocateur « nous ne sommes pas peintres » ; parmi les séries de raisons invoquées pour ne pas l’être, deux méritent d’être citées pour ce qui nous occupe :

« Puisque peindre c’est représenter l’extérieur (ou l’interpréter, ou se l’approprier, ou le contester, ou le présenter).
« Puisque peindre c’est peindre en fonction de l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse, de la guerre du Vietnam. [18] »

Les artistes avaient dans leur collimateur non seulement toute forme d’innovation stylistique, figurative ou abstraite, mais aussi l’art des Nouveaux Réalistes (dont Pierre Restany avait écrit qu’ils ne représentaient pas mais présentaient le réel), et de ceux qu’Alain Jouffroy avaient nommés les « objecteurs » (en donnant à ce terme une charge contestataire) ; il tiraient également à bout portant sur leurs propres hôtes, les animateurs du salon qui défendaient pour beaucoup une peinture figurative engagée. Dès son premier bulletin d’information, ce salon avait affiché une ligne politique entendant se situer « au seul plan qui nous intéresse, celui des rapport entre l’art et l’histoire [19] ». Avec B. M. P. T. s’affirmaient au contraire, à l’opposé de tous les traitements critiques de l’imagerie ambiante, et pour la première fois dans l’art, une attitude politique qui ne se donnât pour ainsi dire ni dans l’innovation formelle ni dans le contenu et qui, loin de se contenter d’un engagement tout extérieur, mît en branle des moyens purement plastiques. Dans toutes leurs manifestations, en insistant laconiquement sur ce qui est « à voir », les artistes semblaient reprendre le mot d’ordre de Stella : « Tout ce qui est à voir est ce que vous voyez [20] ». Les présupposés étaient cependant forts différents. Les premiers observateurs ont surtout rapproché la neutralité des formes utilisées du « degré zéro » popularisé par Roland Barthes. De fait, répétition, littéralité, et refus du commentaire, conçus comme stratégie, allaient, a contrario du Art as art reinhardtien, a contrario de la silencieuse tautologie wittgensteinienne et de tout mysticisme minimaliste, permettre de poser différemment la question du contexte de l’œuvre, et du champ de l’art.

Daniel Buren

Si le laconique « sont présentés des papiers rayés… » de Mise en garde, qui reprend le « il faut y voir… » des manifestations de groupe, entend couper la peinture de toute référence, dénier la structure de renvoi du signe plastique, c’est donc par stratégie, et pour mieux déporter la question. Dans un entretien de décembre 1967 avec Georges Boudaille [21], Daniel Buren conteste le droit à l’artiste de « donner à voir », y percevant un pouvoir exercé sur le spectateur, « une œuvre de dictature » :

« Que l’art soit figuratif, abstrait, cinétique ou en un « isme » quelconque, il y a le même propos chez tous les artistes : qui est volonté d’expression, de communication. Il y a écran, fenêtre, rêve, distraction, spectacle. Il y a surtout mépris des autres. »

Il assimile tout l’art, de Lascaux au Ready-made en passant par La Joconde, à une « mise hors du contexte » :

« […] Un objet sorti de son contexte, transformé ou non, n’a plus la même signification ; il s’entoure automatiquement et immédiatement de littérature [22]. »

Le diagnostique est général, et la potion proposée a tout d’une médecine :

« Peindre, aujourd’hui, de la façon dont nous le constatons relève d’une maladie »
« Le regardeur qui a le sentiment de la « joie de vivre » en voyant le Déjeuner sur l’herbe de Manet plutôt qu’en pique-niquant […] est un dangereux maniaque. [23] »

Il s’agit de rendre le spectateur « adulte » selon une méthode – alliant désémantisation, anonymat de la facture et répétition – qui n’est pas loin du fameux silence du psychanalyste :

« Alors la communication artistique est coupée, n’existe plus. La chose présentée n’a plus aucune fonction ni esthétique, ni morale, ni commerciale, ni consommable, elle n’est que là irréductiblement pour rien. L’observateur se retrouve seul avec lui-même, confronté à lui-même devant une chose anonyme qui ne lui donne pas de solution. L’art n’est plus là. Il s’agit d’autre chose. »

En juin 1969, Buren répétera que « l’intérêt de [sa] proposition ne vient pas du fait qu’elle est montrée hors de la galerie ou du musée mais parce qu’elle est hors de l’art [24] ». L’opposition tranchée de l’art au reste du monde semble induire un ailleurs qui serait sa pure et simple absorption dans le monde, la vie, le politique. La tâche qui va être accompli par Buren à travers ses œuvres, et formulée dans ses textes, va justement consister à préciser la notion de « contexte », là où de nombreux artistes se sont contentés de poser l’égalité utopique entre l’art et la vie. Pour l’heure, il vise ce hors-lieu dépourvu de contexte qu’est l’art, et l’épingle, faute de mieux, du terme d’« emballage » (dès l’entretien avec Boudaille) :

« Je tiens à dire qu’en plus de cette « fameuse chose » donnée à voir il y a la façon de la présenter. J’appellerai ça l’emballage. Cela va du local dans lequel les toiles sont présentées, à la manifestation qui prend le public à partie, jusqu’à l‘interview que nous sommes en train de faire. »

En octobre 1969, dans sa première version de Mise en garde [25], il avise que son travail soulève un « problème nouveau », celui du « point de vue ». Toutes les œuvres sont tributaires d’un « point de vue unique », « cadre », « carcan », « contenant » qui leur sert d’abri, qu’elle acceptent passivement. Il s’agit non seulement de « révéler le lieu », mais aussi, en répétant la proposition « en des “contextes” différents, visibles de points de vue différents », de mettre en question la proposition elle-même.

Dans ce même texte, il tire des leçons de sa propre insistance dans la répétition, qu’il estime pouvoir examiner avec un premier recul. Dans l’après 1968, l’entreprise continue d’affirmer sa dimension politique. « Toute production, toute œuvre d’art est sociale, a une signification politique. » L’hésitation dans l’usage des termes démontre que les réponses apportées se donnent avant tout sur le plan de ce qu’il nomme alors « pratique théorique », en se référant à Louis Althusser, dont le Pour Marx est disponible depuis 1965. C’est à cet auteur qu’il emprunte la distinction entre évolution et rupture historique :

« […] Une rupture complète avec l’art tel qu’on le connaît, tel qu’on l’envisage, tel qu’on le pratique, est devenue possible […] [26] »
« L’artiste par rapport à l’art veut que celui-ci évolue. Par rapport à l’art l’artiste est réformiste, il n’est pas révolutionnaire. [27] »

Il fait également sienne l’idée que l’infrastructure demeurant identique, la superstructure n’offre que l’illusion du changement. Althusser lui-même ne définissait-il pas, dans une conférence de février 1968 [28], l’histoire close de la philosophie, comme « histoire du déplacement de la répétition indéfinie d’une trace nulle » ? La formule, directement tirée de Derrida, fait aussi penser à l’entreprise de Buren, Mosset, Parmentier et Toroni de façon troublante. Dans cette même conférence, on trouve également un écho à l’affirmation selon laquelle la proposition répétée ne serait plus de l’art mais « autre chose », Althusser y défendant une science qui anticipe sur « ce qui sera peut-être un jour une théorie non philosophique de la philosophie » ; le « Nous ne sommes pas peintres » du premier tract de Buren, Mosset, Parmentier et Toroni, allait dans le même sens que la fameuse « coupure épistémologique ».

Toujours dans cette première version de Mise en garde, Buren invoque la nécessité d’une « déconstruction » de l’histoire de l’art. La méthode semble de toute évidence provenir de celle que Jacques Derrida a baptisé du même nom, et a proposé comme stratégie à mettre en œuvre contre le « logocentrisme occidental », au moins depuis sa première esquisse d’une « grammatologie [29] », en 1965. Bien que Derrida ne soit pas nommé, outre le mot d’ordre « déconstruction », d’autres traits rapprochent la voie dans la quelle s’est engagée Buren de celle que le philosophe a commencé à tracer : le thème du couple répétition-différence, l’idée de clôture, celle de la manipulation d’un pur signifiant, d’une pure trace, sans signifié originaire, celle d’un « objet questionnant son propre effacement en tant qu’objet [30] », etc.

Buren partage en somme avec Althusser et Derrida la même façon de circonscrire une clôture absolue et d’élaborer une stratégie en vue d’ouvrir une brèche. Si l’on ajoute la contestation du pouvoir (celui des artistes en l’occurrence), et le fait que la substitution d’une interrogation sur « le point de vue » à la question de l’art, d’un « qui et comment » à un « quoi », manifeste un penchant généalogique appuyé, on comprendra que sa démarche participe très largement de ce que Luc Ferry et Alain Renaut ont appelé depuis « la pensée 68 » [31].

Au début de 1970, Buren ajoute certaines précisions à son texte Mise en garde [32]. Les considérations sur l’anonymat formel de la proposition sont l’occasion d’en justifier la présentation éventuelle ailleurs que dans le cadre du musée ou de la galerie. Il faut dire qu’après une série d’envois postaux (à partir de décembre 1967) et avec ses premiers collages sauvages dans la rue (Paris, avril 1968), il s’était engagé dans la voie de la multiplication des lieux, des circonstances et des dispositifs d’apparition de son travail, voie dont il n’a jamais dévié, constituant ce faisant, jusqu’à ce jour, un corpus considérable. En commentant sa pratique en extérieur, Buren attaque la « mise hors du contexte » illusoire que constitue à ses yeux le Land Art, et vise entre autres nommément Michael Heiser, Denis Oppenheim et Smithson, dont le travail « naturaliste » échoue immanquablement « dans le musée, la galerie, la revue d’art… qu’il s’agissait soi-disant de fuir ».

« [Ils] croient et voudraient faire croire qu’ils ne font plus de peinture de chevalet et sortent du système. Dans leur cas plus que jamais, le « tableau » dans toute son horreur métaphysique/anecdotique/illusionniste fait un retour glorieux et le « système » en perdition reprend courage et se fait une nouvelle jeunesse. »

Les toiles ou les papiers « divisés en bandes égales et verticales », jouent au contraire des changements de significations induits par « le lieu ou le point de vue où cette proposition impersonnelle est vue », par l’appartenance sociale du regardeur. Ce qui compte est le questionnement qui ne peut se faire qu’en restant « dans un schéma social et culturel très précis ». A « l’illusion de briser les barrières culturelles », à cette « fuite » « rétrograde », « romantique » hors de la galerie et du musée – « on n’échappe pas à la culture avec un jeu de mots » – Buren oppose donc le « questionnement fondamental » d’un « produit » qui, placé en extérieur, puisse être à la fois « sans intérêt aucun pour le badaud » et « intéressant […] pour le “spécialiste” de l’art ».

« Cette grande parenthèse [conclut-il] pour faire comprendre la différence entre un travail à l’extérieur du cadre habituel et notre proposition. En ce sens la proposition qui nous importe n’a pas de cadre habituel. »

Il faut bien constater, que tout en dénonçant la clôture du jeu interne à l’art, dans les limites de laquelle se joue les illusoires révolutions artistiques, les « contestations de la superstructure », Buren situe son entreprise en dehors. La revendication d’une absence de cadre, reprend le « nous ne sommes pas peintres », ou le « L’art n’est plus là [, il] s’agit d’autre chose » déjà cités. Un hors-lieu qui n’est pas nommé, mais qui semble être analogue à celui qu’Althusser avec la science ou Derrida avec la déconstruction envisageaient face aux clôtures qu’ils avaient repérées dans les champs où ils entendaient œuvrer. Ou, pour le dire autrement, Buren ne conspuait les fausses sorties, les mises hors du contexte, que pour mieux poser la possibilité d’une position absolument (et non illusoirement) hors champ.

Dans ces mêmes ajouts à Mise en garde, il explicite sa charge contre l’art en général, en incluant explicitement les artistes :

« […] Le pilier du système artistique est l’artiste lui-même. Contestataire ou non. »

Cette charge contre les artistes était déjà là dans le « Nous ne sommes pas peintres », dans le texte collectif contre les salons, dans tous les passages où Buren s’attardait sur le pouvoir dictatorial de l’artiste. Si donc la position d’extériorité au système va bel et bien passer par la production d’un extraordinaire florilège de nouvelle situations de présentation de la proposition répétée, véritable travail de création qui ne dit pas son nom (qui ne l’accepte pas), ce sera en tout cas dans le refus du paradigme de l’artiste créateur.

Au terme de ce bref examen, on comprend donc comment, dans Limites critiques, en 1971, Daniel Buren pourra induire, croquis à l’appui, un certain dépassement de la détermination restreinte du « champ » ou du « contexte » – que ce soit celle de Greenberg et de ses héritiers ou celle des analystes du langage –, au profit d’une prise en compte des données idéologiques et culturelles, les traits concentriques qui englobent jusqu’aux positions (auto-) déclarées hors champ explicitant la « reconstitution des limites ».

Supports-surfaces

La notion de « champ » devait trouver son paradigme dans la peinture, sous la plume d’un Meyer Schapiro, en 1966 [33]. Il ne s’agissait là, à tout prendre, que d’une formulation sémiologique qui se coulait dans le moule de l’expressionnisme abstrait américain (avec ses caractéristiques mises en évidence par Greenberg : la planéité et les grands formats, les champs colorés, la présence…) qui avaient préparé le terrain tant intuitivement que théoriquement. Air du temps, une même interrogation se développait simultanément chez un certains nombre de peintres.

Peinture et « réalité », de Marcelin Pleynet[34], est un des premiers textes à questionner la peinture comme une activité de l’ordre de la connaissance, et s’appuie pour ce faire sur la coupure épistémologique établie par Althusser entre objet réel et objet de connaissance ; il pose, selon Jean-Marc Poinsot [35], qui le fait remonter à décembre 1968, « les bases d’un débat qui a largement été repris par Daniel Buren dans Repères […] et par L. Cane et D. Dezeuze dans leur texte commun Pour un programme théorique pictural ». Sous la plume de ce participant actif à la revue Tel Quel, pour la première fois sans doute, et sous réserve d’inventaire, la « déconstruction » se trouve donc exportée de la critique littéraire à la critique d’art. Peinture et « réalité » fait également fond sur la « clôture métaphysique » chère à l’heideggerianisme français, et récuse toute assimilation de l’art au réel (en réponse au titre et au propos de l’exposition L’art du réel que venait de présenter le Centre national d’art contemporain). Appliquée au domaine de la peinture, la déconstruction pour Pleynet doit porter sur la relation spéculaire.

En dépit de sa conception pour ainsi dire schapiriennne du champ pictural, Supports-Surfaces va s’affronter un temps au problème du contexte. L’été 1969 eut lieu à Coaraze, dans l’arrière pays niçois, une manifestation en plein air qui comportait des travaux de Daniel Dezeuze, Bernard Pagès, Patrick Saytour et Claude Viallat. À propos de cette manifestation, Daniel Dezeuze rappellera les critiques adressées au Land Art (telles qu’elles ont été citées plus haut) :

« En effet, les « lieux culturels » continuent à exercer leur contrôle actif dans la mesure où ils s’assurent de la diffusion du témoignage photographique ou filmé des interventions de l’artiste dans des lieux isolés, vierges de tout commerce humain (le désert), ou banals de trop de commerce humain (la rue). Aussi, la « transgression culturelle » ne peut-être ici qu’illusoire […] [36] »

La récupération est certes due à « l’impuissance de la pratique picturale à opérer sur des réalités économiques et sociales », mais il est cependant vain selon Dezeuze de la dramatiser.

« […] La problématique du « contexte culturel » fait jouer un pseudo-radicalisme à de faux radicaux […] »

Car en définitive il faut envisager la peinture comme « une activité ayant un niveau spécifique ». Dezeuze sauve donc l’art des effets du contexte au nom du pouvoir de résistance qu’il possède en tant qu’activité ayant lieu « dans l’ordre du savoir », conformément à ce qu’avait avancé Pleynet dans le texte précité. Dans Shmeiwtikh, paru en 1969, Julia Kristeva attribue le même pouvoir aux « pratiques signifiantes » :

« Faisant éclater la surface de la langue, le texte est l’“objet” qui permettra de briser la mécanique conceptuelle qui met en place une linéarité historique, et de lire une histoire stratifiée : à temporalité coupée, récursive, dialectique, irréductible à un sens unique mais faite de pratiques signifiantes dont la série plurielle reste sans origine ni fin. Une autre histoire se profilera ainsi, qui sous-tend l’histoire linéaire […] [37] »

Bref, si l’on s’en tient à la déconstruction du spéculaire, il n’y a pas lieu de poser isolément le problème du contexte culturel.

Certains membres de Supports-Surfaces continueront cependant à tester des contextes « autres ». Ainsi durant l’été 1970.

« L’expérience consistait à :
« 1° Déposer systématiquement notre travail dans un nombre de lieux théoriquement limité, afin d’analyser les effets de l’environnement sur les pièces présentées.
« 2° Placer ce travail au milieu d’un public dont la présence ne dépendait pas de notre venue, non averti de nos intentions, et qui restait libre de percevoir ou d’ignorer notre démarche. [38] »

Pour Patrick Saytour, auteur des lignes qui précèdent, l’ignorance d’une partie du public paraît donc en quelque sorte programmée. Le thème du public qui reste libre de son ignorance éventuelle est le même que chez Buren. L’opposition entre les tenants d’une « pratique spécifique » (incluse dans le champ de la connaissance) et ceux qui en sont extérieurs rappelle celle faite par Buren entre le badaud et le spécialiste. Supports-Surfaces, cependant, ne fera pas fond sur cette dialectique. Dès février 1970, Daniel Dezeuze semble douter de l’intérêt de poursuivre ce genre d’entreprise :

« Je pense que notre peinture est aussi peu à sa place dans une galerie qu’en plein air. Si l’espace nous intéresse actuellement comme moyen de libération, systématiser le procédé et concevoir notre peinture en fonction de l’extérieur – comme d’autres concevaient la leur pour la galerie – serait une erreur de parcours.
« Pour qu’elle garde son autonomie par rapport à l’environnement, il faut, à la limite, qu’elle ne soit chez elle nulle part. [39] »

La dialectique du public et du non public, pour employer le jargon de l’action culturelle, n’a en effet guère d’intérêt, une fois posée une autonomie de la pratique signifiante telle qu’elle soit indifférente au lieu. Les expositions en plein air ne se justifient à la limite qu’en vertu d’un questionnement qui demeure intrinsèque. La problématique du contexte n’a, pour Supports-Surfaces, qu’une incidence latérale. Pour ce mouvement, le champ questionnable et questionné demeure, par excellence, le champ pictural.

III

Joseph Kosuth

L’art conceptuel a pu paraître le dernier avatar de l’art pour l’art (art for art sake). La formule « Art as idea as idea » de Joseph Kosuth, ou l’énoncé de Sol LeWitt selon lequel « Toutes les idées sont de l’art si elles sont concernées par l’art et tombent dans les conventions de l’art [40] » semblent l’induire. De plus il se présente bel est bien, selon la belle expression de Jean-Marc Poinsot, comme un « déni d’exposition [41] ». Pourtant, l’interrogation sur le contexte n’en est pas absente.

Pour nombre d’artistes de l’art conceptuel, en tout cas, pour Kosuth et Art & Language, la philosophie analytique anglo-saxonne a servi d’arrière plan théorique. Kosuth déclare explicitement dans Art after Philosophy que « l’art est semblable à une proposition analytique ». Pour définir cette analyticité, il se réfère à la lecture qu’Ayer donne de la distinction kantienne entre propositions analytiques et propositions synthétiques : « une proposition [étant] analytique lorsque sa validité dépend seulement de la définition des symboles qu’elle contient ». Que les propositions artistiques n’aient pas un caractère de fait, ne soient pas synthétiques, ne trouvent pas leur validité dans l’expérience, bref soient tautologiques, que l’art n’existe « que pour son propre compte », n’interdit pas d’en explorer toutes les modalités. Le concept d’art « doit être considéré dans sa totalité ». Du fait que l’art ait pour tâche de questionner la nature de l’art, sans présupposer ses matériaux ni ses qualités « morphologiques », il découle donc non seulement que l’« investigation » a lieu « au sein du contexte artistique », mais aussi qu’elle porte sur ce contexte qui est sa « nature » :

« L’Art existe seulement dans un contexte, qui est sa nature – il n’a pas d’autres qualités. [42]

Aussi le contexte est-il paradoxalement conçu de façon intrinsèque, comme absorbé par l’art. Kosuth décrit même très explicitement ce mouvement d’absorption par cercles concentriques :

« Chaque élément d’une proposition (artistique) est seulement celui qui fonctionne à l’intérieur d’un plus grand cadre, (la proposition) », et chaque proposition est seulement un élément qui fonctionne à l’intérieur d’un plus grand cadre (l’investigation), et chaque investigation est seulement un élément qui fonctionne à l’intérieur d’un plus grand cadre (mon art), et mon art est seulement un élément qui fonctionne à l’intérieur d’un plus grand cadre (le concept “art”), et le concept art est un concept qui a une signification particulière en un temps particulier, mais qui existe seulement en tant qu’idée dont se servent des artistes vivant, et qui finalement n’existe que comme information. [43] »

Dans la Sixième Investigation, l’interrogation porte ainsi sur plusieurs propositions appelées indifféremment « contexte » ou « niveau ». On se souvient que cette dernière désignation avait été forgée par Russel afin de réduire les ambiguïtés du langage ordinaire.Dans cette assimilation des problèmes de contexte à des problème de niveau logique, le présupposé logiciste est flagrant.

De ce que le contexte spécifique ne puisse être qu’artistique découlent plusieurs points. Le premier concerne la critique d’un art « réactif », qui brouille les pistes alors qu’il n’a pas rompu avec l’idée d’un matériaux déterminé (Earth Works, Antiform, Process Art…) :

« En dernière analyse, de telles propositions artistiques deviennent interchangeables avec la peinture et la sculpture. Beaucoup d’artistes qui travaillent à l’extérieur (dans les déserts, les forêts, etc.) apportent maintenant aux galeries et aux musées de superbes agrandissements photographiques en couleurs (peintures) ou des sacs de grains, des tas de terre, et même jusqu’à un arbre entier déraciné (sculpture). On brouille la proposition artistique jusqu’à la rendre invisible. [44] »

Le second point porte sur la conception que l’artiste se fait du spectateur. L’art doit être assimilé à un travail scientifique, et l’entreprise analytique ne suppose pas de public séparé, mais la circulation d’une information à l’intérieur d’une même communauté d’artistes (analogue à la communauté scientifique). Sur ces deux points, la comparaison avec la position burenienne est assez parlante. Si la charge contre les travaux en extérieur, portée au même moment – début 1970 – par les deux artistes, est assez semblable, la réduction logiciste du contexte chez l’un s’oppose à la dialectique des « points de vue » chez l’autre, qui ne conçoit pas le spectateur comme une instance logique. Ils utilisent certes, tous deux, la même image des limites concentriques, mais leurs présupposés sont forts différents.

Art & Language

Dans le numéro 2 de la revue Art-Language, Michael Thompson avance sans rire que « l’art conceptuel, en détachant l’art de l’objet d’art, se détache de la bourgeoisie, brise l’alignement de l’art sur la structure sociale présente », que cet art « attente au pouvoir au plus haut niveau [45] ». Cette pensée un peu naïve, pour laquelle l’art « dématérialisé » échapperait au marché, traîne un peu partout à propos de l’art conceptuel, dans la critique de l’époque, et sous la plume de certains artistes. L’éditorialiste du premier numéro de la revue, en mai 1969 [46], envisage « une aire périphérique » entre les catégories « artiste » et « théoricien de l’art ». Il renverse la hiérarchie entre la théorie et l’art, estimant que « la catégorie “art-théorie” est une catégorie que la catégorie “art” pourrait développer pour la comprendre ». Au delà de la légitimation superficielle de la dématérialisation, était donc en jeu le même pouvoir de non récupération que Julia Kristeva attribuait aux pratiques signifiantes, Marcelin Pleynet à l’art en tant qu’objet de connaissance, ou Daniel Buren à la pratique-théorique. Dans leur fameux texte La dématérialisation de l’art [47], publié au début de 1968, Lucy Lippard et John Chandler, qui notent que « l’atelier de l’artiste se transforme en bureau », adoptent l’idée d’une accélération de l’évolution historique et de la venue d’une ère « scientifique, post-esthétique ». Sur ce point, les œuvres d’un Bernar Venet, qui, à partir de 1966, prirent pour contenu des informations scientifiques, donnaient la température de la fascination diffuse de l’art pour les formes monologiques du discours.

En faisant retour sur elle-même pour analyser son propre statut en tant qu’art, l’Introduction d’Art-Language se présente comme une démonstration de la méthode :

« Cet éditorial peut-il être estimé comme une œuvre d’art à l’intérieur du cadre (framework) établi des conventions de l‘art visuel ? »

Dans la question de la reconnaissance, l’éditorialiste distingue la voie du Ready-made, consistant à mettre un « objet étranger aux caractéristiques visuelles attendues à l’intérieur du cadre du milieu de l’art » de celle que Terry Atkinson et David Bainbridge ont mis en œuvre dans Air conditioning et dans Air show, œuvres de 1967.

Leur texte de réflexion sur ces deux œuvres, paru la même année, s’intitule Frameworks [48]. Les deux auteurs y considèrent que le « contexte visuel », faisant appel à des critères de reconnaissance et d’identification traditionnels, est somme toute secondaire. Ainsi la délimitation de la colonne d’air par un parallélépipède matérialisé :

« De toute façon, les questions de délimitation sont principalement d’ordre externe et de nature pratique. »

Ils prennent argument de théories descriptives de la matière pour montrer que la mention d’une entité ne correspond pas forcément à une représentation. Le concept utilisé pour cette même œuvre, « l’usage d’une déclaration en tant que technique pour faire de l’art », entraîne donc que la seule mention d’une chose suffit « pour qu’elle soit prise en compte ».

La distinction de Strawson entre la mention et l’usage semble ordonner un certain glissement entre ce texte sur le « cadre de travail », et l’Introduction, deux ans plus tard. Dans le premier la seule « mention » permet de justifier le statut conceptuel de l’œuvre tout en intégrant manifestement, comme facteurs entrant en jeu, ceux dont s’occupera la pragmatique. « Arguer d’une distinction entre la construction de la théorie […] et la situation d’observation est [alors] sans intérêt » pour Art & Language. Dans le second, Art & Language insiste davantage sur « l’usage linguistique de l’art plastique », sur « l’usage du langage à l’intérieur de la société [49] ».

Il y a quelque ironie à ce que le point de départ d’Atkinson et Bainbridge soit la construction d’un modèle, celui d’une « situation de non-exposition », un pur volume d’air défini par ses paramètres climatiques, qui ressemble comme deux gouttes d’eau au « cube blanc », à l’espace neutre (voulu comme tel) de la galerie d’avant-garde. Cependant le contexte est conçu comme une variable interne. (Kosuth, on l’a vu, adoptera le même parti pris dans Art after Philosophy.) Le « cadre (de travail) donné » est un « contexte construit ». La variation du contexte ne porte jamais que sur « l’introduction interne de nouveaux termes descriptifs ».

« […] Un cadre (de travail) n’est pas une invitation à poser des questions externes »

Quand, par exemple, Mel Ramsden examine (dans le numéro 2 de la revue) le champ opératoire des concepts artistiques qu’il décrit comme « un réseau dans lequel les galeries, les conventions sociales, la critique d’art doivent tous être pris en compte [50] », l’approche du champ de l’art reste analytique ; les données contextuelles étant tenues pour des variables qui prennent leur sens en fonction de la « position syntagmatique » qu’elles occupent dans la proposition artistique.

L’entreprise d’Art & Language participe de fait du double courant de la philosophie du langage ordinaire (initiée par le Wittgenstein des jeux de langage), et de la pragmatique (qui se développe à partir des travaux de P. F. Strawson et John L. Austin). La notion d’« usage du langage », lue dans les Investigations de Wittgenstein, fut cependant adoptée non sans être mêlée à l’idée de « l’art en tant que pratique », qui venait elle du marxisme (Bainbridge était membre du parti communiste [51]).

Art & Language s’est « institué centre de production collective en mai 1968 [52] ». Le groupe, qui se conçoit comme une « communauté de conversation », constituera entre autres un Index, présenté à la Documenta de Cassel en 1972 [53]. Cet Index reprend l’idée du Card File de Robert Morris (1962) en la vidant de toute connotation existentialiste, et se présente comme un outil évolutif de repérage interne des sujets abordés par le groupe. Il fournit :

« 1. des moyens d’information et de procédure de recherche documentaire pour le spectateur, et 2. les moyens de d’une réflexion interne et consciente à la communauté d’Art-Language ».

Si la référence porte bien sur une donnée sociale, « la conversation des uns avec les autres », elle n’en est pas moins constituée de données internes. C’est peu dire que le groupe véhicule une synthèse inusitée entre deux conceptions du contexte artistique et socio-historique ; l’une, centripète, linguistique, héritée de l’empirisme logique et l’autre, plus centrifuge, plus sociologique, concevant le groupe artistique comme une communauté de travail et l’art comme une production matérialiste. C’est que « travail », qui a des accents très marxisants rime aussi avec « investigation analytique », au sens de Wittgenstein. Quand le groupe déclare à Catherine Millet que « le langage est un moyen de conserver [le] travail dans un contexte d’investigation et de questionnement [54] », il fait sienne une triple adéquation, celle entre le travail, au sens matérialiste et marxiste du terme, l’investigation analytique du langage et le contexte de l’art.

Lawrence Weiner

On connaît de Lawrence Weiner la proposition générique suivante, qui remonte à la fin de 1968 :

« 1. L’artiste peut construire la pièce
« 2. La pièce peut être fabriquée [par quelqu’un d’autre]
« 3. La pièce n’a pas besoin d’être réalisée »

Souvent reprise, commentée, diversement traduite, elle semble reposer sur un partage épistémologique entre l’énoncé et sa vérification, le coup de génie de Weiner, si l’on peut dire, étant de mettre les deux sur le même plan. L’écho du débat sur la vérification des énoncés appartenant au langage observationnel (distingué du langage théorique pure par le positivisme logique), qui court de Carnap à Popper en passant par Hempel, s’y fait sentir, sans qu’il soit établi que Weiner y puisât directement. Pour Weiner sa triple proposition n’a de sens qu’« en relation avec un usage probable à l’intérieur de la culture (occidentale) », selon les termes du chapeau dont il finit par la coiffer :

« En dehors du contexte de l’art ces trois conditions deviennent tout à fait stupides [55] »

L’art est une « chose hautement spécialisée », déclare Weiner dans l’entretien de 1971 dont est extrait l’énoncé précédent. Il s’agit de « maintenir une dialectique avec la culture », l’artiste préférant s’appeler un « dialecticien culturel ». S’il a réussi à « inscrire son art dans la culture », à y « pénétrer », cela fait de lui un « fouteur couronné de succès ». On retrouve la conscience d’une appartenance à un cercle distinct, effectuant un travail spécialisé, entr’aperçu chez Buren, Art & Language et d’autres. La vérification, la réalisation de la pièce par d’autres, reste le moyen symbolique de mettre en scène le contexte artistique, et en aucune façon ne verse dans l’idée romantique d’une prise en charge de l’art par n’importe qui. Une conception restreinte de l’autre le maintient dans le cercle du monde de l’art qui n’en est pas moins réel :

« L’“espace” dans lequel je travaille [fait remarquer Weiner à propos de la péniche dans laquelle il vit] est le contexte culturel dans son entier. C’est un espace réel plutôt qu’un espace esthétique restreint. »

L’engagement de l’artiste, qui se déclare « fondamentalement marxiste », et « matérialiste », réside dans sa volonté, à l’intérieur de ce cercle, de ne rien imposer, la position contraire, celle de l’artiste expressionniste produisant un objet unique étant « fasciste ».

Victor Burgin

25 feet two hours, de Victor Burgin, est également un fichier. Il contient les photographies successives du déplacement de ce même fichier. Sa comparaison avec l’Index d’Art & Language révèle une différence notable dans la notion d’index. Alors que la référence de ce dernier réside dans l’ensemble des conversations du groupe, celle de 25 feet two hours se limite au processus de mise en espace de l’objet présenté. L’artiste expliquera cependant plus tard qu’il a d’abord commencé a ranger des énoncés[56] dans un fichier, et que ce qui relie ces prémices à l’œuvre de 1969 était de :

« souligner la contingence de l’objet et la primauté de l’acte d’observation. L’idée originale du fichier était qu’il représenterait en gros une classification des types de perception [perceptual act-types] et de situation, qui distinguerait par exemple entre les perceptions qui impliquent beaucoup de mouvement corporels et les types d’observation plus passifs, entre les repérages intérieurs et extérieurs. [57]

La réflexion théorique dont il accompagna ce travail fut publiée dans la livraison d’octobre 1969 de Studio International [58]. Le titre, Esthétique situationnelle, indique clairement combien par la tautologie apparente, par la forme réflexive de la pièce repliée sur elle-même et son propre procès, Burgin vise en définitive la situation de lecture. Contre la tendance software de l’art conceptuel, Burgin y fait porter l’accent sur le présent de l’acte de perception, qu’il compare à l’acte de fabrication matérielle – y voyant pareillement un « comportement » (au nom d’une conception qu’il emprunte à la psychologie béhavioriste), une expérience physique, qui ne se limite pas au contexte de l’art comme il le dit dans l’entretien précité :

« Toute cette notion de “contexte artistique” me semble totalement mythique […] Je suis moins concerné par le mythe du développement évolutif et historique de l’art que par le fait de regarder avec les instruments de l’art à l’intérieur du contexte social en son entier, ou si vous préférez à l’intérieur du contexte des autres mythes. »

Autrement dit, Burgin, tout en utilisant des formes réflexives de l’art conceptuel vise un contexte extérieur à l’art proprement dit.

Attaqué par Michael Baldwin dans le numéro qui précédait, Burgin précisera sa position dans la livraison de l’été 1972 d’Art-Language. Il voit dans les entreprises logicistes et analytiques le dernier avatar de l’art pour l’art.

« Un aspect important de ce que l’on peut appeler “le problème de la légitimation” dans l’art est celui de l’usage de l’art. »

La position logique tourne à l’« ésotérisme » et il y a « divorce entre le problème de la légitimation et la question de l’usage ». La notion conventionnelle de réalité dans la société est bien « produite par le langage », comme les linguiste l’on montré ; mais l’art est concerné par le langage des signes qui établissent « une médiation avec le monde physique ». Il ne relève pas d’une démarche « analytique et descriptive (celui de la linguistique scientifique), mais synthétique et normative ».

« […] Il a plus à voir avec les phénomène de connotation que de dénotation »

Les facteurs « extérieurs à l’art », tout spécialement les facteurs « sociaux » doivent donc être pris en considération. On doit aller au-delà de ce que l’art contient en tant qu’art.

Performative/Narrative, de 1971, fait directement référence au concept central de la théorie des actes de langage élaborée en 1962 par Austin [59]. Intéressé aussi bien par les phénomènes de connotation que par la performativité du langage, Burgin dès lors orientera ses recherches autour des relations du texte et de l’image, et de leur impact, de leur puissance idéologique ; les médias et la publicité lui fourniront en quelque sorte le champ privilégié auquel il entend s’affronter à l’aide de l’outil artistique, le champ qu’il s’attachera à déconstruire à sa façon.

On retrouve, en 1976, comme un écho de son opposition à Art & Language dans un texte du groupe en question qui s’en prend violemment au « mal français », et tient la sémiologie (sont englobées sous ce terme les productions de Lévi-Strauss, Barthes, Althusser et Foucault) pour une nouvelle forme de petite vérole.

IV

Dan Graham

Shema, qui a été publié dans différentes revue et catalogues, à partir de la fin de 1966, démontre que l’absorption analytique du contexte, dont il a été question chez Kosuth et Art & Language, se rencontre également très tôt chez Dan Graham, pourtant crédité à l’ordinaire d’une position plus historiciste. Cette œuvre consiste en un dispositif tautologique reflétant les données grammaticales et typographiques de la page où il est imprimé :

« [Cette page] se définit elle-même comme lieu dans la mesure où elle définit les limites et les contingences de son emplacement (contexte délimitant, contenu délimité). Elle est sa propre mesure – en tant que lieu. Elle donne sa propre mesure – d’elle-même en tant que lieu […]
« L’information (Des systèmes d’information, in-formation) existe quelque part, à mi-chemin entre le matériaux et le concept, sans être aucun des deux. [60] »

L’idée d’une certaine dématérialisation du concept est présente. Cependant l’information, se charge de vertus d’extériorité par rapport à l’art. « Ce n’est pas de “l’art pour l’art”. Son médium est information », dit Dan Graham à propos de Shema. Chez lui, la tautologie semble donc faire place à d’autres préoccupations, à moins que l’on ne doive considérer qu’elle ne fait que suivre la pente interne à un art conceptuel qui oscilla, dès le début, entre une pure dématérialisation est la manifestation matérielle du concept (l’information) – pour finalement être emporté par le mode de présentation. Les articles (Homes for America), comme les petites annonces passées dans les revues (Detumescence) manifestent à cet égard un attrait pour les médias que Dan Graham dira plus tard lui être venu du Pop Art et de Warhol :

« Les magazines déterminent un espace, un cadre de référence à la fois extérieur et intérieur à ce que l’on définit comme « art ».

Je voulais faire un Pop Art littéralement jetable (une idée à laquelle l’œuvre de Warhol faisait allusion) […] je voulais créer un art que l’on ne puisse ni reproduire ni exposer dans une galerie ou un musée […] Le faire apparaître dans des pages de magazines impliquait qu’il puissent être « lu » en juxtaposition avec le reste du magazine reproductions, critiques, comptes rendus. Il pouvait aussi fonctionner en tant que critique du magazine (en rapport avec la structure de la galerie). [61] »

Dans une note de 1969 sur ses petites annonces, il utilise les mêmes mots context et frameworks que l’on trouve sous la plume de Buren, Kosuth ou Art & Language :

« L’art est un signe social. Les revues — tout les systèmes de contexte dans le système de l’art – font partie d’un cadre (de travail) économique et social (qui détermine en partie le cadre psychologique) [62] »

Sociologie et psychologie colorent fortement cet art, qui fait son lit entre autres de l’opposition public/privé. Detumescence entendait ainsi rendre publiques des impressions tenues d’habitude pour privées :

« La publicité, rend public – publicise – un besoin privé et, par conséquence, déplace les catégories de cette relation. […Elle] fonctionne comme exposition. Il y a une relation entre la forme publique d’une pièce privée et l’exposition publique […] »

De fait, les performances réalisées à partir de 1969 vont surtout explorer la situation relationnelle entre l’artiste (cameraman) et le spectateur. Dan Graham a eu l’occasion, depuis, de rappeler l’atmosphère post-soixante-huitarde dans laquelle elles ont vu le jour.

« Ces performances avaient pour fondement quelques unes des utopies psycho-sociologiques du moment, qui semblaient se présenter comme des alternatives au pouvoir établi ou aux théories couramment admises.
« […] Ce qui m’intéressait aussi c’était d’illustrer les idées de psychologues comme R. D. Laing ou Gregory Bateson.
« […] L’objet de la performance était la croyance thérapeutique que la notion d’individu était politique. La prise de conscience dans des groupes de femmes et, ce que j’appris de groupes de rencontres psychologiques par les médias, se combinaient dans ces performances avec une croyance dans l’élévation du niveau de conscience par l’interaction sociale à l’intérieur d’une communauté restreinte, propre au monde de l’art new-yorkais, qui permettrait de résoudre les problèmes économiques et politiques […] Le monde de l’art en tant que communauté pouvait être emblématique d’une société en général. [63] »

Une telle lecture rétrospective peut être mise en relation avec des publications contemporaines des performances en question. En 1968 paraissait le livre de Théodore Roszak sur la contre-culture [64] qui dissolvait le problème politique en une vague « résistance de la jeunesse » au « totalitarisme technocratique », et voyait en elle le moteur d’une possible « innovation culturelle ». Herbert Marcuse, quant à lui, constatait en 1969 que même l’art la plus radical n’arrive pas à rompre avec le déjà vu du quotidien, et « reconstitue une “communauté” fallacieuse à l’intérieur de la société [65] ». Lui aussi projetait dans l’avenir un « ethos esthétique socialiste » pour lequel « l’art aura perdu son empire privilégié et aliéné sur l’imagination, le beau, le rêve ».

Marcel Broodthaers

Broodthaers dépassa le seul jeu de la mise en abîme du signe plastique et du langage, auquel Magritte l’avait initié, et se montra d’emblée sensible aux conditions sociale et historiques de son apparition. Le concept de « vision du monde » avancé par Goldmann (Pour une sociologie du roman, 1964), dont il suivit le séminaire, supposait une analogie de structure entre le monde crée par l’écrivain et son contexte : « la réalité sociale au sein de laquelle elle a été produite ». Mais surtout les considérations de cet auteur sur la noblesse de robe au XVIIe siècle, dans son étude sur la vision janséniste (Le Dieu caché, 1955), décrivait une situation paradoxale – celle d’un groupe contestant l’état monarchique dont il dépendait pourtant économiquement – qui n’était pas sans rappeler à Broodthaers celle de l’art contemporain. Il lut également Roland Barthes dont les analyses des messages connotés le raffermirent sans doute dans son sentiment pessimiste quant à la maîtrise finale de la signification de ses propres œuvres.

Broodthaers formula le projet du Musée d’art moderne (section xixe siècle) Département des aigles, qui vit le jour à Bruxelles en septembre 1968 – une idée, dira-t-il plus tard « née de mai 1968 ». Des éléments manipulés à l’ordinaire dans une manifestation, il ne retenait que les plus secondaires : caisse, étiquettes, cartes postales, etc. Constatant que l’art ne valait que par les instances secondaires de la consécration muséographique, il entendait par l’introduction d’un facteur d’entropie, en révéler l’impasse ; il pensait sans doute que la logique du pire était la meilleur des stratégies. C’est le sens qu’il donnait à l’inversion de la formule de Joseph Kosuth « Art as Idea as Idea » transformée par lui en « art comme production comme production »,

« L’on retrouve peut-être dans la tactique choisie pour engager la manœuvre sur le terrain, une forme authentique de remise en question de l’art, de sa circulation, etc. Ce qui, indistinctement à tous les points de vue, justifie la continuité et l’expansion de la production. Reste l’art comme production, comme production. [66] »

N’avait-il pas fait imprimé sur le carton de sa première exposition un ironique « Moi aussi, je me suis demandé si je ne pourrais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie » ? Pour lui, remarque Benjamin Buchloh, « l’art ne pouvait maintenir et retrouver sa fonction de révélateur que s’il était capable de reconnaître pleinement le degré de son état d’aliénation, en faisant de son état de réification, l’objet même de son discours [67] ».

En fermant son Musée d’art moderne, en octobre 1972, Broodthaers indiquait de façon auto-ironique, la force du vecteur entropique :

« Fondé en 1968 à Bruxelles sous la pression des vues politiques du moment, ce musée ferme ses portes à Documenta. Il sera passé d’une forme héroïque et solitaire, à une forme voisine de la consécration […]
« Il est donc logique qu’à présent il se fige dans l’ennui. [68] »

Poursuivant cette analyse de l’obsolescence artistique, de ce qu’il nomme la « réification », il écrira en 1975 :

« Je ne crois pas qu’il soit possible de définir l’art sérieusement autrement qu’à la lumière d’un facteur constant – nommément la transformation de l’art en marchandise [69] »

Au contraire de Smithson pour qui l’entropie trahissait l’appartenance foncière de l’œuvre au contexte naturel, ce facteur provient donc pour Broodthaers d’un insurmontable contexte économique et social.

L’œuvre ouverte

Plusieurs expositions, peu après soixante-huit, intégrèrent des travaux conceptuels dans une approche plus transitive de l’information et de la communication. Ce fut le cas de Information (Musée d’art moderne de New York) et de Software (Musée juif), toutes deux en 1970. Le commissaire de la première, Kynaston L. McShine, ne retient de la question (dans son essai pour le catalogue) que le fait pour l’art d’« accroître son audience auprès d’un plus large public ». Dans le texte de présentation de la seconde, Jack Burnham, non sans créditer Les Levine de la trouvaille du titre, cite un mathématicien qui compare notre conception des machines à la dualité corps/esprit :

« Une zone concerne les données mécaniques, géométriques et physiques, l’autre a affaire avec des choses comme la finalité, la signification et les interactions sociales. [70] »

Pour tous deux la référence va à Marshall McLuhan et au global village.

La théorie de l’information était au centre des considération d’Umberto Eco, sur l’Œuvre ouverte, dont l’ouvrage, paru en 1962, rapidement traduit, sera souvent cité. Eco y renversait la hiérarchie établie par Shannon et Weaver entre signification et information : selon leur théorie, l’information est assimilée à un bruit qui entraîne la déperdition de la signification ; facteur d’incertitude, elle est source d’entropie. Eco défendait au contraire la valeur positive de l’incertitude, qu’il situait dans l’interprétation, dans les opérations de transaction effectuées par le spectateur entre plusieurs possibilités. Il donnait ainsi une légitimation scientifique non seulement à la plurivocité de l’œuvre, mais aussi à la « participation du spectateur ».

Pour mesurer la portée du mot « contexte », il faut se rappeler qu’avant de s’y substituer, il est d’abord entré en concurrence avec le mot « environnement » que la génération des années soixante avait davantage prisé (le livre bilan de Kaprow Assemblage, Environments & Happenings, remonte à 1965). De Kaprow au GRAV la participation du spectateur avait été à l’ordre du jour [71]. L’exposition Cinétisme, Spectacle, Environnement, à la Maison de la culture de Grenoble, en 1968, fut l’occasion pour le GRAV, auto-dissout peu après, de produire son dernier environnement collectif. En 1967 François Morellet, alors membre du groupe, écrivait :

« […] Il paraît nécessaire que l’art de demain fasse appel à la mise en condition et au temps dirigé, principalement si nous voulons essayer de toucher d’autres spectateurs que le petit groupe d’esthètes cultivés et raffinés formant jusqu’ici la majorité de notre public. [72] »

En 1971, dans son fameux texte sur « l’art de déballer son pique-nique », la relation s’inverse ironiquement :

« Les arts plastiques doivent permettre au spectateur de trouver ce qu’il veut, c’est-à-dire ce qu’il amène lui-même […] [73] »

Hans Haacke

Il est intéressant de comparer l’avant-dernier environnement collectif du GRAV, celui réalisé à la fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, en 1968, et la performance de Hans Haacke dans cette même institution, deux ans après. Le spectateur y était moins impliqué de façon ludique qu’interpellé par la communication qui lui était faite d’informations économiques sur le propre contexte de la fondation privée dans lequel il se trouvait. Auparavant, les travaux de Hans Haacke avaient bel et bien participé du vaste courant de l’art systématique, et de ses tendances cinétiques et technologiques dont maints représentants avaient produit des environnements.

Interviewé par Jack Burnham [74], en 1967, il met sur le même plan ses pièces qui « requièrent la participation du spectateur », et celles « qui se modifient indépendamment […] par réaction avec l’environnement ». Le dialogue qui clôt la discussion est particulièrement éclairant. L’artiste y évoquant un environnement climatique, sans limite, proche du vide de Klein, et des champs colorés de Rothko :

« J. B. – Si vous pouviez concevoir un environnement artistique idéal de votre cru, à quoi ressemblerait-il ?
« H. H. – Nous parlons ici de l’utopie. Il serait de dimensions fantastiques.
« J. B. – Une sorte de maison de verre à la Philip Johnson avec un environnement climatique hermétiquement bouclé à l’intérieur ?
« H. H. – Je ne pense pas. Je préférerais quelque chose de non limité comme l’océan, le désert, le Grand Canyon, ou même de proportions interstellaires.
« J. B. – Tout simplement une sorte de Happening climatique flottant dans l’espace comme un nuage. Peut-être comme les surfaces colorées dans une peinture de Rothko ?
« H. H. – Probablement.
« J. B – Je crois que nous avons déjà cela ; cela s’appelle la pluie, le givre, le brouillard, etc.
« H. H. – J’ai effectivement songé à signer la pluie, l’océan, le brouillard, etc., tout comme Duchamp signant un porte-bouteilles ou Yves Klein décrétant que le 27 novembre 1960 serait un « Théâtre du vide » à l’échelle mondiale. […] »

A propos de ses Condensation Cubes (1963-1965), il dira en 1972 :

« J’étais passionné par la communication tenue à l’intérieur de ce qui ressemblait à un environnement fermé, et par la complexité des conditions corrélées déterminant un processus météorologique. [75] »

En 1969 il livre des considérations à propos de la neige à New York. Pour les artistes formalistes, écrit-il c’est « un dessin en noir et blanc, une composition tridimensionnelle » (on pense à certaines œuvres du Land Art) :

« Une autre attitude consiste à la considérer comme partie d’un grand système météorologique, déterminé par l’humidité, la température, la pression de l’air, la vitesse et la direction du vent, aussi bien que les caractéristiques topographiques de la terre. Tous ces facteurs sont corrélés et chacun d’eux affecte les autres. Adopter une telle attitude devrait conduire à travailler des stratégies qui puisse exposer le fonctionnement et les conséquences de ces processus interdépendants. [76] »

Il est curieux de constater que c’est pareillement une « situation climatique » qui sert de point de départ aux considérations d’Art & Language sur le contexte et à Hans Haacke, qui passe ainsi des systèmes clos aux systèmes en plein air, aux « systèmes ouverts, en temps réel ». Il reconnaît à ce sujet sa dette à l’égard du fondateur de la Théorie générale des systèmes, Ludwig von Bertalanffy, dont l’œuvre fut publiée à New York en 1968.

Jack Burnham rapporte des lettres de l’artiste, du début de 1968, qui montre combien cependant il était envahi de doute à l’égard de l’art, y compris de l’art cinético-environnemental engagé :

« Absolument rien en vérité ne peut être changé par quelque peinture, sculpture ou Happening que vous puissiez produire au niveau qui compte, le niveau politique. […] L’art est totalement inapte en tant qu’outil politique. […] Tout à coup ça m’emmerde. Je suis aussi en train de me demander pourquoi diable je travaille dans ce champ. [77] »

Il finit par donner un autre contenu que celui de phénomène physique à la notion de système en temps réel. Pour deux expositions de groupe, en 1969 et 1970, ce « temps réel » devint celui de l’information mondiale, transmise aux visiteurs par télétype. La sociologie, l’économie, lui fournirent parallèlement la forme de l’enquête documentaire, qu’il conduisit par la suite méticuleusement avec un raffinement inquisitorial. Le glissement de l’investigation sur les systèmes à celui sur le contexte de l’art se fit sans révision conceptuelle autre que le changement de contenu. En 1971 les deux artistes censurés au musée Guggenheim, dans des circonstances différentes, seront Haacke et Buren. Les deux affaires portaient sur le contexte du musée dont les artistes avaient testé les limites.

Hans Haacke n’est certes pas le premier à avoir donné au terme « système » un contenu social. On trouve le rencontre par exemple, on l’a vu, sous la plume de Buren. « Système » désigne le tout de la société, chez maints protagonistes de la scène politique et culturelle autour de soixante-huit – l’enquête lexicologique qui fixerait précisément les dates de cette mode fait défaut – jusqu’à ne plus posséder qu’un pouvoir descriptif, aussi vague que sa connotation est péjorative. A contrario, Haacke conserve toujours au terme un contenu précis, même s’il n’exclue pas que le système de l’art décrit prenne place dans le tout social. Le contenu restreint est plutôt pour lui celui de l’industrie culturelle (il renvoie au passage aux analyses de Hans Magnus Enzensberger). Il rencontrera les analyses de Howard Becker, que l’on connaît surtout depuis la publication de son Art Worlds en 1982. Or, dès 1975, ce sociologue créditait Hans Haacke d’une théorie implicite du monde de l’art [78] :

« La théorie décrit à la fois l’organisation du monde de l’art contemporain et le processus par lequel il se maintient. […]
« [C’est] comme un monde organisé autour d’un conflit endémique entre d’une part les intérêts de ceux qui produisent l’art et le large public qui les soutient idéologiquement, et d’autre part ceux du très petit groupe de gens riches et de politiciens qui fournissent la masse d’argent nécessaire pour soutenir le système. Agissant par l’intermédiaire de fonctionnaires institutionnels, comme les directeurs de musée, ceux qui contrôlent le système le font de façon diverse afin de contrôler l’output des artistes et de diminuer et transformer le contenu politique de leur travail. »

Becker attribue donc à Haacke la description du monde de l’art comme un système relativement clos, où le problème politique se traduit en celui du contrôle de l’output – la théorie générale des systèmes fournissant de toute évidence le modèle, encore en 1975, à une date où les premiers travaux cinétiques de l’artiste semblent bien loin. Becker, de plus, essaie de tracer la ligne de démarcation entre la sociologie de l’art implicite de Haacke et celle qui serait plus scientifique. Il la voit dans la façon dont l’artiste provoque des réactions, perturbe donc le système de l’intérieur (le « temps réel » évoqué plus haut). Le titre Framing and being framed, adopté par Haacke pour la publication de ses travaux en 1975, traduit bien cette idée de réponse, d’inter-relation, de retournement de la situation, qui anime son œuvre. Ce titre, en outre, file une fois de plus la métaphore du cadre et de l’encadrement. D’origine allemande, Haacke pensait peut-être au Rahmen germanique – employé du reste par Daniel Buren pour titre de la version de Limites critiques incluse dans la boîte-catalogue éditée par le musée de Mönchengladbach en 1971. Cadre, Rahmen ou frame, la limite qui sert de modèle est toujours celle très matérielle du champ pictural – comme si, à travers la métaphore, la critique à l’œuvre supposait dans tous les cas une certaine clôture de la représentation.

L’art sociologique

Apparu en 1974, le Collectif d’art sociologique invoque d’emblée une nouvelle sensibilité dont les « cadres [sont] ceux du rapport de l’homme à la société qui le produit » et se définit « en tant que pratique opérant dans le champ social [79] ». Dans le second manifeste (1975), la « question philosophique du sens » se pose dans « un système social », contre lui. Les artistes de ce collectif auront l’occasion de se situer tant à l’égard de Hans Haacke que de Art & Language.

Dans son livre Théorie de l’art sociologique, Hervé Fischer s’arrête longuement sur Haacke, le créditant d’un art qu’on ne peut réduire au seul militantisme. Il note cependant :

« [La] prospection d’ensemble de ses démarches sur les différents « systèmes » physiques, biologiques et sociaux est moins centrée que la notre sur la réalité sociale surdéterminante. [80] »

L’empirisme de Haacke lui ferait manquer l’analyse idéologique de l’art. C’est que de part et d’autre la notion de système n’est pas la même. Fischer, dans son manifeste de 1972, invoque la « société globale [81] ». Au tout limité que Haacke perturbe, s’oppose la totalité visée par l’art sociologique au nom de la critique de l’autonomie de l’art. L’enquête de Haacke reste tournée vers le milieu de l’art, voire retournée contre. Les enquêtes de l’art sociologique, initiées par Jean-Paul Thénot, s’orientent vers le champ social. De même, la « communication » dont la caméra de Fred Forest est l’instrument se veut effective. On est loin de la « discussion » de Art & Language, et de sa fonction interne.

L’art d’un Conrad Atkinson [82], qui entend « peindre le système », et dont la première œuvre sociologique est une sorte d’enquête participation réalisée à l’occasion d’une grève dans une usine, montre bien cet autre parti pris qui consiste à diriger le vecteur de l’analyse vers l’extérieur de l’art.

***

La discussion implicite sur le « contexte de l’art » se ramifie donc en exploitant toutes les ambiguïtés d’une expression qui peut aller jusqu’à se transformer en « art du contexte » par inversion du génitif. Plutôt que de renvoyer le contexte à une insurmontable altérité, la possibilité paradoxale d’en faire le « propre » de l’art est explorée. Les métaphores du cadre et du champ trahissent l’enracinement de la discussion dans une tradition artistique, et même au-delà, marquent le sentiment d’une sorte de donnée anthropologique de la notion, dont un Meyer Schapiro a fourni somme toute la clé, avec son analyse du champ pictural, et ses aperçus sur les origines culturelles du fond lisse préparé et délimité. Il est vrai que Framework rencontré chez certains protagonistes, avec son ambivalence entre le cadre et le travail, permettait de se maintenir à égale distance du monde de l’art et du champ social.

D’un autre côté il ne peut nous échapper que le contexte historique se profile en arrière plan de la discussion. Qu’il suffise de rappeler, pour les États-Unis, les mouvements contre la guerre du Vietnam, pour l’égalité des droits (Martin Luther King est assassiné en 1968), les révoltes étudiantes de 1964-1965 sur le campus de Berkeley, en France, le « mai flamboyant » relayé par le « mai rampant » du début des années soixante-dix. Les figures identificatrices sont celles de Che Guevara et de Mao Zedong. La tonalité générale du discours à l’intérieur même de la scène artistique est engagée, souvent marxisante. La plupart des artistes dont les propos viennent d’être évoqués n’ont sans doute pas été insensible à ce contexte historique. Pour mesurer toute la portée de leurs tentatives, il faut se rappeler le discours ambiant sur « L’Abolition de l’art [83] », auquel on l’a vu du reste certains des artistes dont il a été question ne sont pas demeurés insensibles. Edgar Morin constatant peu après la fin des événement de 1968 le caractère problématique de la poursuite du mouvement notait :

« Cette prodigieuse vitalité ne s’est pas encore tarie, fin mai. Mais on voit déjà apparaître les signes de la dégénérescence […] les peintres, acteurs, metteurs en scène, écrivains et étudiants portés aux arts et lettres, refont sous forme encore plus caricaturale et rapide le cycle bien connu qui va à la recherche d’un art prolétarien, aboutit à quelques dogmes intimidants, soit sur l’art au service de la révolution, soit sur la révolution au service de l’art, soit sur l’art-révolution, soit sur la révolution-art… [84] »

La tentation est en effet toujours présente de résoudre le problème du contexte, comme par un coup de baguette magique, en déclarant de façon performative la subordination totale du champ artistique au champ socio-historique, ou en annonçant sa disparition prochaine. Il faudrait citer ici toutes les déclaration sur « l’abolition de l’art ». Il faudrait longuement examiner le geste qui consiste, tout en effaçant la distinction d’un champ propre, à en exporter corrélativement les traits, les comportements, les vertus, sous la bannière de la créativité. Il faudrait dire à cet égard toute l’originalité et l’importance respective du discours situationniste, plus ancien mais combien influent en soixante-huit, et de celui de Joseph Beuys qui marquera davantage les années soixante-dix (selon une aire sans doute plus limitée – malgré qu’il en ait – au milieu de l’art). Il faut bien constater que la plupart des œuvres évoquées plus haut ne se soumettent pas à de telles valences centrifuges, et ce n’est certainement pas d’elles que l’on peut attendre un quelconque contenu cognitif précis du contexte socio-historique dans lequel elles s’inscrivent. Autrement dit ce n’est pas dans la transitivité de leur discours à l’égard de la réalité que réside leur originalité.

Leurs auteurs ont tous, avec une réussite inégale, mis en œuvre des théories implicites du contexte, qui sous-entendent à divers degré un donné restreint, limité et relativement maîtrisé, participant de leur construction d’ensemble et intégré à ce titre, d’une façon ou d’une autre, dans leurs propositions conceptualo-plastiques. Ces théories centripètes ou dialectiques peuvent être rapprochées d’autres plus explicitement conceptualisées, élaborées dans le champ de la linguistique et de la sémiotique. Quelques repères suffiront au parallèle. A partir du schéma de la communication de Roman Jakobson (1960) – reconnaissant parmi les facteurs en jeu le « contexte », et décomptant comme une des fonctions du langage la fonction référentielle qui lui est liée –, la discussion a couru sur le point de savoir si le contexte était linguistique ou extra-linguistique, c’est-à-dire situationnel. En 1968, Barthes publie une courte étude, L’effet de réel [85], dans laquelle il parle de « l’illusion référentielle ». D’un autre côté, depuis que Benveniste et Jakobson avaient attiré l’attention sur les déictiques et les phénomènes d’embrayage propres à l’énonciation, la question s’est aussi posée de la réalité des fameuses coordonnées spatio-temporelles de l’acte d’énonciation. En 1974, Julia Kristeva parlera de « l’embarrassante question de l’extra-linguistique [86] ». En 1979, le dictionnaire raisonné des sciences du langage rédigé par Greimas et Courtés alertera sur la confusion fréquente entre l’énonciation et l’énonciation énoncée qui simule à l’intérieur du discours ces coordonnées. En s’orientant vers l’idée d’une « construction sémiotique du contexte », la théorie linguistique et sémiotique a tourné autour des mêmes problèmes que les artistes qui, autour de 1968 et selon leurs voies propres, ont véhiculé par leurs œuvres une conception plus ou moins constructiviste du contexte.

Ces artistes pour leur part n’ont pas peu contribué à la compréhension des liens de l’histoire avec le réel. En manipulant des données contextuelles au même titre que les données textuelles, voire en reléguant celles-ci au second plan, en faisant de celles-ci l’objet d’une élaboration à l’intérieur même du champ artistique, ils démontraient implicitement, à leur façon, combien le réel pouvait être l’objet d’une mise en scène, « non pas vraie mais vraisemblable » – pour reprendre les termes de Roland Barthes qui, vers la fin de 1968, à propos des « événements de mai », s’interrogeait sur l’« écriture de l’événement [87] ».

Les mots « contexte », « cadre », « limites », « référence », « champ », « système », dont le leitmotiv se fait entendre autour de 1968, trahissent un singulier souci. Comme si l’art, de façon quelque peu apotropaïque, entendait conjurer son autre. Comme si ces mots figuraient autant de fantômes de l’histoire. On ne saurait cependant les réduire à ce seul statut d’ombres. Ils participent positivement de l’élaboration de formes d’art acceptant la manipulation de paramètres contextuels, de formes qui supposent qu’on puisse désormais articuler le contexte à l’intérieur même de la proposition artistique. Ils manifestent la contribution de certains artistes à l’élaboration de modèles théoriques du contexte, avec les moyens propres de l’art, ou plutôt de l’intérieur de son champ. Le discours déclarant l’instance du réel présente dans l’art – qui fait retour ces dernières années – ne saurait être tenu sans se référer à cette discussion sur le contexte, discussion dont il demeure, en partie, le débiteur.

Notes

[1]. La méthode adoptée ici, en limitant l’analyse aux énoncés discursifs produits dans cette période, n’a pas permis d’intégrer certains artistes. Je pense en particulier à Michael Asher. Pour Daniel Buren, le matériel était si nombreux que je me suis arrêté en 1970.

[2]. Introduction à la modernité, Paris, Minuit, 1962, p. 168 et 167.

[3]. « Twelve Rules for a new Academy », in Art News, New York, mai 1957.

[4]. Cf. Barbara Rose, « Introduction », in Art as Art – The selected writings of Ad Reinhardt, New York, Wiking Press, 1975.

[5]. Art as Art – The selected writings […], op. cit., p. 120. : « [The context of art] ».

[6]. Robert Morris, « Notes on sculpture », in Artforum, New York, février 1966, octobre 1967, été 1967.

[7]. « Entropy and the New Monuments », in Artforum vol. v, n° 10, New York, juin 1966.

[8]. « Quasi-infinities and the Waning of Space », in Arts Magazine vol. xli, n° 1, New York, nov. 1966.

[9]. The Shape of Time – Remarks on the history of things, New Haven, Yale University Press, 1962. Trad. franç. : Yana Korner et Carole Naggar, Paris, Champ libre, 1973.

[10]. « A museum of Language in the Vicinity of Art », in Art International, vol. xii, n° 3, mars 1968.

[11]. « Art and Dialectics », in The Writings of Robert Smithson, textes réunis et présentés par Nancy Holt, New York University Press, 1979.

[12]. « Sculpture in the Expanded Field », in October n° 8, New York, printemps 1979.

[13]. Cf. Pierre Bourdieu, « La production de la croyance : contribution à une économie des biens symboliques », in Actes de la recherche en sciences sociales n° 13, Paris, février 1977. Le propos est développé dans La distinction – critique sociale du jugement (Paris, Minuit, 1979), cf. en particulier le chap. iv : « La dynamique des champs »

[14]. Les échos du débat sur cette catégorie sont nombreux du colloque de Cerisy de 1959 Genèse et structure (publié en 1965), au n° spécial de la revue des Annales, en 1971.

[15]. L’écriture et la différence, Paris, Le Seuil, 1967., p. 435.

[16]. La voix et le phénomène, Paris, PUF, 1967, p. 116.

[17]. Différence et répétition, Paris, PUF, 1968.

[18]. Les textes de Daniel Buren sont cités d’après l’édition donnée par Jean-Marc Poinsot : Daniel Buren, Les Écrits (1965-1990), Bordeaux, C.A.P.C., Musée d’art contemporain, 1991.

[19]. Bulletin d’information du salon de la Jeune Peinture, n°1er Paris, juin 1965.

[20]. In entretien radiodiffusé de Bruce Glarner avec Stella et Judd, chaîne WPAI-FM, février 1964. Cet entretien sera publié in Art News, sept. 1966, puis inclus en 1968 dans l’anthologie de Gregory Battcock sur l’art minimal.

[21]. Publié in Les Lettres françaises, Paris, 13 mars 1968.

[22]. L’idée que « ce qui finalement fait la différence […], c’est une certaine théorie de l’art », que l’art requiert « une atmosphère de théorie artistique, une connaissance de l’histoire de l’art : un monde de l’art » se trouve chez Arthur Danto (« The Artworld », The Journal of Philosophy, LXI), dès 1964.

[23]. Entretien avec André Parinaud, Galerie des arts n° 50, Paris, févr. 1968.

[24]. Entretien avec Gérald Gassiot-Talabot, Opus international n° 12, Paris, juin 1969.

[25]. In catalogue Konzeption/conception, Leverkussen, Städtischen Museum, octobre 1969.

[26]. Mise en garde, op. cit.

[27]. « Faut-il enseigner l’art ? », Galerie des Arts n°57, Paris, oct. 1968. Ce sera encore le leitmotiv du début de Il pleut, il neige, il peint, et de Non nova sed nove, publiés en 1970.

[28]. Lénine et la philosophie, conférence prononcée devant la Société française de philosophie, et qui s’ouvrait par ces mots : « Mon discours ne sera pas philosophique ».

[29]. « De la grammatologie », in Critique, Paris, déc. 1965 – janv. 1966. Le livre du même nom sera publié en 1967 (Paris, Minuit).

[30]. Daniel Buren, « Il Pleut, il Neige, il Peint », in Art Magazine, New York, avril 1970.

[31]. Luc Ferry et Alain Renaut, La pensée 68 – Essai sur l’anti-humanisme contemporain, Paris, Gallimard, 1985. Je laisse de côté le problème de savoir en quoi tout ceci ne serait qu’un « heideggerianisme français », jugement qui semble tout de même un peu court.

[32]. « Mise en garde n° 3 », in VH 101 n° 1, Paris, printemps 1970.

[33]. « On some Problems in the Semiotic of visual Art, Field and Vehicle in Image-Signs », conférence, 2e colloque international de sémiotique, Kazimierz (Pologne), septembre 1966, publié in Semiotica, I, 3, 1969. Trad. franç. Critique, n° 315-316, août-septembre 1973.

[34]. Compte rendu de l’exposition L’Art du Réel, in Art international, 1969. Republié en appendice de L’enseignement de la peinture (Paris, Le Seuil, 1971).

[35]. Supports-surfaces, Paris, Limage 2, 1983. La remarque, en ce qui concerne Daniel Buren doit être modulée. Comme on l’a vu plus haut, ce n’est pas de Repères (paru en janvier 1971), mais de la première version de mise en garde (parue en octobre 1969) que date sa première référence à la déconstruction derridienne. De plus, il ne cite pas la « pratique signifiante » de Kristeva, et s’en tient sur ce sujet à Althusser.

[36]. Catalogue Dezeuze, Pagès, Saytour, Valensi, Viallat, Paris, Foyer international d’accueil de la Ville de Paris, mars 1970.

[37]. Julia Kristeva, Shmeiwtikh – Recherches pour une sémanalyse, Paris, Le Seuil, 1969, p. 13.

[38]. Patrick Saytour, « L’expérience consistait à […] », in Été 70 – Dezeuze Pages, Saytour, Valensi, Viallat, plaquette compte rendu, s. l. n. d. [mai 1971].

[39]. Daniel Dezeuze, Lettre à Claude Viallat du 10-02-70, citée par Jean-Marc Poinsot (Supports-Surfaces, Paris, Limage 2, 1983).

[40]. Sol Le Witt, « Sentences on conceptual art », Art-Language vol I, n° 1, Leamington Spa (Warwickshire), Art & Language Press, mai 1969, p. 12, n° 17.

[41]. Jean-Marc Poinsot, « déni d’exposition », in catalogue Art conceptuel I, Bordeaux, capcMusée d’art contemporain, 1988.

[42]. Joseph Kosuth, introduction de Function, Turin, Sperone, 1970.

[43]. Joseph Kosuth, « At its most strict […] », in catalogue Information, New York, MOMA, 1970.

[44]. Joseph Kosuth, « Introductory note by the american editor », Art-Language vol. I, n° 2, Chiping Norton (Oxon.), mai 1969, p. 1.

[45]. « Conceptual Art : Category & Action », Art-Language vol. i, n° 2, Chiping Norton (Oxon.), mai 1969, p. 82.

[46]. « Introduction », in Art-Language, vol. i, n° 1, Leamington Spa (Warwickshire), mai 1969.

[47]. in Art International, vol xii, n° 2, févr. 1968.

[48]. Frameworks – Air Conditioning, Coventry, Art & Language Press, 1967.

[49]. « Introduction », in Art-Language vol. i, n° 1, Leamington Spa (Warwickshire), mai 1969.

[50]. Mel Ramsden, « Notes on Genealogies », Art-Language vol. i n° 2, op. cit., p. 88.

[51]. Cf. Charles Harrison & Fred Orton, A provisional History of Art & Language, Paris, édit. Éric Fabre, 1982.

[52]. Paul Wood, « Art & Language : la lutte avec l’ange », in catalogue Art & Language, Paris, galerie nationale du Jeu de Paume, 1993.

[53]. Cf. Art-Language, « Mapping and filing » et « The Index » (catalogue de l’exposition The New Art, Londres, Arts Council of Great Britain, 1972, p. 14-19).

[54]. Entretien réalisé en août 1971, publié in, Chroniques de l’Art vivant n° 25, Paris, nov. 1971.

[55]. Lawrence Weiner, in « at Amsterdam », entretien réalisé par Liza Bear le 15 mai 1971, Avalanche n° 4, New York, printemps 1972, p. 64 sq.

[56]. Cf. la publication de ceux-ci in VH 101 n°3, Paris, automne 1970, p. 33 et 35.

[57]. Victor Burgin, entretien avec Anne Seymour in catalogue de l’exposition The New Art, Londres, Arts Council of Great Britain, 1972, p. 74-78. SI l’on comprend bien l’historique qu’en donne Burgin dans cet entretien, la datation 1967-68 de 25 feet two hours semble résulter de la confusion avec ce premier fichier. En tout état de cause sa première présentation ne remonte qu’à 1969, à la galerie Konrad Fischer, à Dusseldorf. Cf. catalogue de l’exposition L’art conceptuel, une perspective, Paris, Musée d’art moderne de la Ville, 1989, p. 141.

[58]. « Situational Aesthetics », Studio International n° 178, Londres, oct. 1969

[59]. John Langshaw Austin, How to do Things with Words, Oxford University Press, 1962.

[60]. Dan Graham, « Afterthoughts, Shema (march, 1966) », in Dan Graham, Londres, Lisson Publications, et Cologne, Koenig, 1972.

[61]. Dan Graham, « My works for Magazines Pages “A history of Conceptual Art” », in catalogue Dan Graham, Perth, Art Gallery of Western Australia, 1985.

[62]. Dan Graham, « Magazine Ads », in Dan Graham, Londres/Cologne, 1972, op. cit.

[63]. Dan Graham, « Performance : End of the 60’s », in catalogue Dan Graham, Art Gallery of Western Australia, op. cit.

[64]. The Making of a counter Culture, New York, Doubleday and C°, 1968.

[65]. Herbert Marcuse, An Essay on Liberation, Boston, Beacon Press, 1969. Cité d’après la trad. de Jean Baptiste Grasset, Paris, 1969.

[66]. Marcel Broodthaers, entretien avec Irmeline Lebeer, in catalogue Marcel Broodthaers – du 27-9-1974 au 3-11-1974, Bruxelles, Société des expositions du Palais des Beaux-Arts, 1974.

[67]. Benjamin H.D. Buchloh, « Formalisme et historicité », in Formalisme et historicité – Autoritarisme et régression, Paris édit. Territoires, trad. franç. de Claude Gintz, p. 28.

[68]. Marcel Broodthaers, texte publié à l’occasion de la fermeture du Musée d’art moderne, 1972

[69]. Marcel Broodthaers, « To be a straight thinker or not to be – To be blind », in catalogue Marcel Broodthaers, Oxford, Museum of Modern Art, 1975

[70]. Jack Burnham, « Notes on art and information processing », in catalogue Software – Information technology : its new meaning for art, New York, The Jewish Museum, 1970.

[71]. Pour une vue d’ensemble cf. Frank Popper, Art – Action – Participation, t. i, Le déclin de l’objet, Paris, Le Chêne, 1974, p. 23 sq. : « La nouvelle participation du spectateur ».

[72]. François Morellet, « Mise en condition du spectateur », in catalogue Lumière et mouvement, Paris, Musée d’art moderne de la Ville, 1967.

[73]. François Morellet, « Du spectateur au spectateur, ou l’art de déballer son pique-nique »,

[74]. Jack W. Burnham, « Questions à Hans Haacke », in Robho n° 2, Paris, novembre-décembre 1967.

[75]. Hans Haacke, « Provisional remarks », in Hans Haacke : Werkmonograpie, Cologne, Dumont Schauberg, 1972.

[76]. Hans Haacke, « Statements », in Ursula Meyer éd., Conceptual Art, New York, Dutton, 1972.

[77]. Cité par Jacques Burnham, « Steps in the Formulation of Real-Time Political Art », in Hans Haacke, Framing and being framed, Halifax, The Press of the Novia College of Art and Design/New York University Press, 1975.

[78]. Howard S. Becker, « Social Science and the Work of Hans Haacke », in Hans Haacke, Framing and Being Framed – 7 Works 1970-1975, op. cit. p. 148 sq. : « Haacke’s Theory of Art World ».

[79]. Hervé Fischer, Fred Forest, Jean-Paul Thénot, « Manifeste de l’art sociologique », in Le Monde, Paris, 10 octobre 1974.

[80]. Hervé Fischer, Théorie de l’art sociologique, Paris, Casterman, 1977, p. 49-52.

[81]. Hervé Fischer, « Pour une pratique artistique socio-pédagogique », in Artitudes international, n° 1, Paris, octobre-novembre 1972.

[82]. Cf. le catalogue Conrad Atkinson – Picturing the System, Londres, Pluto Press/I.C.A., 1981.

[83]. Titre d’un pamphlet publié en 1968 par Alain Jouffroy.

[84]. « La commune étudiante », in Edgar Morin, Claude Lefort, Jean-Marc Coudray, Mai 1968 : La Brèche – Premières réflexions sur les événements. Paris, Fayard, 1968, p. 29-30.

[85]. in Communication, n° 11, Paris, 1968.

[86]. Julia Kristeva, La révolution du langage poétique, Paris, Le Seuil, 1974, p. 17.

[87]. Roland Barthes, « L’écriture de l’événement », in Communication, n° 12, Paris, 1968.