À la recherche de l’ornement.

Essai de narratologie picturale

(sur la peinture d’Yves Oppenheim) *

La vague du retour à la peinture qui a marqué la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt était déjà retombée quand Yves Oppenheim, dont on remarquera au passage l’intempestivité, exposa pour la première fois sa peinture. Contrairement à un Jean-Michel Albérola ou d’autres, il n’a pas réinvesti cette discipline sur le mode de la reprise postmoderne ni, tel un Gérard Garouste ou un Robert Combas, n’a fait fond sur le genre particulier de la peinture d’histoire. Cette dernière cependant demeure peut-être son rêve inassouvi, si l’on en croit l’intérêt qu’il lui porte, à moins que ce rêve d’une peinture qui rendrait visible une istoria ne soit réalisé à un autre niveau et par d’autres moyens.

Une bonne part du retour à la peinture en question a cru bon de s’attifer des habits d’un art d’attitude, selon une leçon qui eut pour maître Joseph Beuys. La peinture revenait, oui, mais conceptuelle ! du moins en ce sens qu’elle rapportait de nouvelles istorie, qu’elle reflétait des sortes de dispositifs narratifs (dits conceptuels) organisant les récits hétérogènes de la pratique d’atelier, du politique, de la vie intime, etc. De ce côté Yves Oppenheim lui-même déclarait en 1988 que

« les problématiques traditionnelles de la peinture, […] les sujets conventionnels, […] se prêtent particulièrement bien à un travail conceptuel en raison de leur caractère général qui les rend aussi intemporels qu’abstraits (YO/SP-BP) ** »,

accréditant ainsi la fiction d’une peinture « conceptuelle » ! Il a, depuis, retiré toutes les échelles. Il s’est acharné à pourchasser au sein de sa pratique tout ce qui pouvait de près ou de loin ressembler à un alibi. Ce n’est pas (ou très peu) en s’entourant de quelque méta-discours relatif à l’attitude du peintre qu’il justifie son entreprise. Sans excuse, sa peinture est injustifiable. Et c’est là son côté héroïque.

Le sens ne se construit pas conformément à la logique. Pour cette dernière la négation d’une négation équivaut à une affirmation. La négation de la négation moderniste de la peinture serait alors un retour, des retrouvailles avec la tradition, le métier, le motif, etc. Le sens n’est pas ainsi. La double négation, la dénégation, conserve la mémoire des opérations passées. L’installation du peintre dans la peinture, sa volonté acharnée de régler les comptes au sein de l’atelier, s’assoit sur deux dénégations : celle qui en fait une peinture venant après et à la place du concept, et celle qui l’instaure au lieu et place d’une histoire enrayée. Chez Oppenheim, les traces des opérations antérieures gisent au cœur de la peinture : elles en sont devenues comme le motif profond. Du moins, comme on va le voir, est-ce l’interprétation que l’on peut donner du fait que cette peinture est animée, de façon très particulière, par ce qui ressemble en bien des points à une structure narrative.

Soupçon

Lors de sa première manifestation publique, en 1988, Yves Oppenheim évoquait sa découverte du symbolisme des couleurs :

« Le symbolisme ajoute au signe une dimension autre et une résonance. Il établit des rapports d’ordre suggestif entre les niveaux d’existence et synthétise les aspects contraires. J’ai touché là quelque chose qui me paraissait important et qui a définitivement donné un sens à ce que je faisais. (YO/SP-BP) »

Quatre ans plus tard, un critique avance a contrario que sa peinture « n’est pas un langage [1] ». Ces deux notations ouvrent l’espace d’un débat, l’espace d’une œuvre qui, à bien des égards, peut être tenue pour la mise en scène d’une interrogation sur la place du symbolique et du langage. Ne se manifestant à la fin des années quatre-vingt qu’au terme d’un parcours complexe marqué par la rude école du dessin, le cinéma, la sémiologie, des essais d’art conceptuel, une longue maturation, elle se construit bel et bien sur une connaissance et une expérience de différents langages, tout un savoir des signes. Elle s’instaure comme le lieu d’une dispute sur la pertinence du langage, sa place, sa portée. Comme si avaient été transférées au plan pictural des questions d’une portée plus générale, hypothèse étant faite que la peinture peut en somme les rejouer à sa manière.

Dans les vanités bipartites montrées en 1988, dont chaque côté mimait inégalement la disparition de l’image dans le monochrome, on se souvenait des diptyques de Warhol. Le mouvement d’effacement, conjoint à celui contraire des marques picturales simulant la révélation photographique, ancrait le propos dans une sorte de déconstruction, dont on peut trouver maints exemples similaires dans toutes sortes de peintures sémiotisantes de l’époque [2]. Mais le fait de situer la disparition de l’image dans le matériau lui-même (acrylique, argent), c’est-à-dire dans la substance du signe, rapprochait davantage ces surfaces de celles des panneaux où un Jean-Pierre Bertrand inscrit la trace incertaine d’un processus chimique. En définitive, la voie de la déconstruction n’avait été entrouverte au plan de l’image que pour être aussi vite refermée, ou plutôt rejouée, au plan pictural, sur un mode original qui ne doit rien aux diverses versions de la peinture analytique de la décennie précédente.

La série importante des Paysages, réalisée entre 1986 et 1988, domine les deux premières manifestations publiques (galerie Durand-Dessert et musée d’art moderne de la ville de Paris, 1988). Il s’agit d’une même vue prélevée dans une carte postale, sans doute une calanque de la côte des Maures, où se superposent sur quatre plans une végétation exotique avec de grandes cactées, un bras de mer, une barre déchiquetée de rochers rouges et un ciel bleu comme il se doit. Sans qu’il s’en rendît compte sur le coup, Yves Oppenheim avait choisi une vue assez proche du Madagascar de son enfance. Dans l’ove barré de cactées de la calanque, d’aucun psychanalyste n’aurait pas eu de mal à déceler quelque mer-mère, quelque matrice interdite, et son interprétation aurait fait ses choux gras de la solide dénégation entendue : la volonté déclarée de « trouver l’énergie nécessaire à une tentative (de) critique de l’ego (YO/SP-BP) ». (Histoire personnelle qui n’est recouverte qu’en partie puisque l’artiste avouait récemment (YO/CB) s’être aperçu après coup que les Paysages peints en 1989, lors d’un séjour à La Napoule, avaient les couleurs de son pays natal.) À cela venait s’ajouter un épisode plus récent, celui de son aventure cinématographique [3], épisode lui aussi à demi avoué quand il remarquait, dans ce Paysage, « la saturation du Technicolor (YO/SP-BP) ». À la diégèse filmique, et au récit autobiographique était obstinément substituée la répétition de toile en toile du même motif, une image erratique, rescapée du continuum narratif, coupée, arrachée de tout contexte. Délaissant le temps de la narration, de l’histoire, il se tournait vers celui de la répétition, en faisant appel à l’Orient pour légitimer son entreprise :

En Orient, dans la peinture, la musique, le cinéma, il n’est pas nécessaire qu’il y ait du changement. Il est plus important de tenter de perfectionner un modèle répété indéfiniment par des générations successives. Ainsi l’ego s’efface devant le modèle, en retour le modèle s’efface progressivement et c’est autre chose qui apparaît, quelque chose de singulier qui nous rend plus proches de nous-mêmes et nous donne de la distance par rapport aux choses. Je crois que l’art est connaissance et non pas expression de soi. (YO/SP-BP) »

Il enfourchait ce faisant un cheval qui, somme toute, a servi de monture aussi bien à Warhol qu’aux minimalistes. Dans la réduction de l’histoire personnelle au souvenir écran, à la scène imaginaire, comme dans celle du récit filmique à son décor hollywoodien, la possibilité même d’écrire une histoire (l’histoire ?) se trouvait barrée, le symbolique limité à l’image fragmentaire, ou plutôt déporté vers la peinture qui venait en lieu et place de la dimension narrative expulsée.

Par la suite, sa peinture devait rester longtemps fidèle à la loi de la série : Fruits et Villes (galerie Durand-Dessert, 1992), personnages tronqués, portraits (galerie Hufkens, 1994), Fleurs, Poissons, etc. Les motifs visités appartiennent pour certains à l’histoire classique de la peinture (le genre de la nature morte y domine, mais le portrait n’en est pas absent) pour d’autres à une thématique plus moderniste (telles sont les Villes). Mais le sujet n’accède pas au registre de l’histoire. Le discours pictural se réduit à de seuls lexèmes, à des unités de signification isolées de tout enchaînement, de toute liaison syntaxique. Il y a des citrons, des pommes ou quelque chose qui y ressemble, une ville, des fleurs, etc., desquels on ne peut rien dire sinon qu’ils sont là, consubstantiels à la peinture, faits, comme il sera analysé plus loin, de la même chair. Le lexème hors contexte ne fait pas sens ; objet partiel d’un corps morcelé, il ne se présente que sur fond d’une histoire barrée. En 1996, Oppenheim a peint une grande toile où figure un simple pied [4] ; ou bien ailleurs, à la gouache ou à l’aquarelle, il s’est essayé à faire surgir une main, un bras. Il retrouve de la sorte cette fascination pour le corps démembré qui, au-delà de l’exercice d’observation anatomique, a pu se transfigurer en peinture chez un Géricault ; il approche certaines intuitions d’un Philip Guston. Le recours fréquent au sujet isolé, coupé de tout contexte, est une autre façon de court-circuiter l’histoire.

Ces fruits, ces paysages, ces villes ne doivent pas être tenus pour de seules images. Tout se joue dans leur prise en charge par la peinture, une peinture qui contribue à la crise des effets de reconnaissance que peut comporter tel ou tel énoncé lexical, qui ajoute à la paralysie de l’histoire, qui incarne le soupçon porté sur le langage.

Polémologie

1. Dans ce transfert, dans ce passage au plan pictural, resurgit de façon paradoxale ce qui avait été dénié : l’histoire. C’est depuis la peinture, dans ce qu’elle présuppose de récit sur son propre Faire, que se déploie à nouveau toute une narration – où il n’est parlé rien d’autre que la peinture elle-même. Comme beaucoup de récits, celui-ci met en scène un affrontement, faisant ainsi de la peinture quelque chose de profondément polémologique. Tout se passe comme si Oppenheim n’instituait la peinture que dans l’altérité, comme s’il situait en son sein des adversaires à combattre, ou tout du moins dont il faut retarder la victoire. Ces sortes d’adversaires qui animent l’aventure picturale, et que l’on peut détecter dans son « discours », peuvent être subsumés sous ce que la théorie du récit [5] appelle « anti-sujet » et « opposant », les deux ne se confondant pas.

L’opposant, ou adjuvant négatif, sorte de figure antiphrastique, sert le sujet peintre en travaillant paradoxalement contre lui. On en trouve plusieurs exemples dans la peinture d’Yves Oppenheim. Vers 1989, il fut tenté de faire jouer un rôle d’agent perturbateur au travail sur le motif, afin de bousculer sa pratique de peintre d’images. Il réalisa de la sorte une série de paysages de calanques peints sur le vif. « Il ne s’agissait pas de représenter ce paysage, mais d’expérimenter un état nouveau, qui [mènerait l’artiste] à un travail différent. [Il] s’y trouvait plongé dans un milieu vivant, où la lumière n’est jamais la même, offrant une richesse, une complexité des rapports et des couleurs telles que les idées toutes faites ne fonctionnaient plus. [6] » Autant que le motif, une certaine expérience du paysage était recherchée. Dans le temps passé dans les calanques gisait le secret espoir d’échapper à la logomachie des signes, à l’automatisme de l’atelier. C’était emprunter une voie que bien des artistes en ce siècle ont parcourue, qui consiste à se servir de la vie contre l’art pour, de celui-ci, en relancer le mouvement. Plus que la réaction morale à une textualité auto-référentielle, le travail sur le motif était déjà cette sorte de moyen de lutte qu’Oppenheim va trouver ensuite ailleurs, et de façon moins triviale peut-être – quoiqu’un tel travail sur le motif n’ait rien de méprisable.

Il va ensuite introniser une sorte d’agent retardateur dont l’action principale peut se lire dans la curieuse inversion dont la peinture est le théâtre. L’entre-deux entre figuration et abstraction qui la caractérise en partie ne repose pas sur l’ordre chronologique que la vulgate moderniste a popularisé. Point de passage progressif de la jetée sur fond d’océan au signe abstrait de la croix, ou de l’arbre à la plage oblongue des + et – juxtaposés. Oppenheim commence par l’abstraction et termine par la figure. Il commence par le geste de recouvrement du coulé, entrelaçant les coups de pinceaux, et sa peinture demeure au début vide de tout investissement figuratif : désémantisée. Si l’automatisme doit être référé au surréalisme, il faut dire ici combien l’on est plus près d’Antonin Artaud que d’André Breton, plus du côté de l’inscription de l’énergie que de celle de l’image. Les Poissons d’Oppenheim se tiennent à distance du Poisson soluble de Breton. Ce n’est qu’à partir d’un état de déliaison primitif qu’émergent des figures qui restent prises en grande partie dans leur gangue, dans le milieu qui les a engendrées. Retarder la victoire de l’adversaire consiste sur ce point à laisser se développer une pure pratique de la substance, à suivre le plus longtemps possible la logique d’un signifiant pictural laissé volontairement dans son état d’inarticulation organique. Ce type d’agent retardateur est à tout coup porteur de fortes valeurs modales d’anti-pouvoir.

Il faut compter également avec une sorte d’assistant négatif chargé de contrecarrer le Faire habile du peintre. Tel est le rôle de la contrainte qui consiste dans le rallongement du manche du pinceau par un manche à balai. L’automatisme du mouvement de la main serait sans soute sans cela par trop enclin à parcourir des circuits convenus, à se laisser commander par quelque intention signifiante. Il faut donc rendre le corps gauche, entraver sa liberté de mouvement. Peindre de la main gauche aussi, pourquoi pas ? Et si l’œil a trop tendance à guider la main, à la conduire vers des courbes pré-tracées par trop idéales, retourner la toile ou lui faire faire un quart de tour. Quand Georg Bazelitz peint à l’envers, cela constitue pareillement une contrainte, ce qu’il appelle une Verkrampfung, une crispation volontaire dont il dit avoir trouvé un précédent dans une photographie montrant Ottone Rosai, peintre futuriste florentin, en train de peindre un petit tableau avec un pinceau trop gros [7]. Dans tous les cas, l’action de l’assistant négatif vise à contrecarrer le libre exercice des aptitudes du peintre, n’a d’autre but que sa disqualification momentanée, la suspension de son savoir-faire.

Mais revenons à la série, au fait de peindre la même image, répétée de toile en toile, comme c’était le cas pour le Paysage méditerranéen avec cactées. Chez un Gerhard Richter cela aurait été prétexte à l’exposé du procédé, à sa variation, à une démonstration académique qui, pour être au second degré, n’en finit pas moins par se laisser habiter par le fantasme de la mécanisation industrielle, du grand format, du toujours plus de pouvoir. Il aurait fallu démontrer sa capacité de couvrir de la surface, de saturer le musée. Or, ce n’est pas à une telle modalisation du Faire selon le savoir et le pouvoir qu’Oppenheim lâche la bride. Comme Richter, il insiste sur l’épuisement de la série, mais la modalisation du Faire selon un non-savoir et un non-pouvoir prime chez lui davantage que chez le maître allemand.

L’épuisement est tout autant celui de la peinture, fatiguée, usée d’avoir été travaillée de la sorte que celui du peintre contraint de lâcher prise. Au ne pas pouvoir faire qui était la loi de l’agent contraignant succède un ne plus pouvoir faire (momentané) de la peinture et du peintre, comme s’ils devaient rendre les armes, puisqu’aussi bien ils n’en peuvent plus. La multiplication des opérations, leur superposition, le remords, l’effacement, la reprise, les changements d’angle, ce travail au corps à corps de l’adversaire, cette façon de le pousser dans ses derniers retranchements, de l’user, de l’épuiser, font ressembler l’empoignade picturale à la tauromachie. Il faut, avant de la mettre à mort, fatiguer la bête. Ce n’est pour ainsi dire que quand toute volonté de figurer a été annihilée, quand la bête est prête à rendre l’âme, que le peintre consent, et avec quelles réticences, à lui insuffler un semblant de vie figurative. Alors, seulement, la peinture peut exister au terme de ce combat mené contre ses propres monstres. Cet épuisement stratégique est différent de celui qui repose sur l’assimilation de la peinture terminée à un état de mort, avec pour corollaire la projection de la vie dans le moment exclusif du Faire. Voici a contrario ce que dit par exemple Jasper Johns :

« Je répète peut-être quelque chose que j’ai entendu dire à quelqu’un, mais je crois que je travaille jusqu’à ce que mon énergie se soit épuisée sur la chose en question. Je n’ai plus d’énergie à lui accorder, alors j’arrête.
« Mais le temps que la peinture soit terminée, en général elle est devenue parfaitement ennuyeuse à regarder pour moi.
« Je crois qu’en général j’éprouve l’ennui avant de terminer. Ce doit être parce que je n’ai plus rien d’autre à proposer dans la peinture, plus d’énergie pour la voir autrement. Et alors je pense que la peinture est comme elle est. [8] »

Il est clair que dans son cas, l’épuisement est un terminus ad quem, alors que chez Oppenheim c’est, si l’on peut dire, un terminus a quo, un point de départ, ce à partir de quoi la peinture peut advenir.

On pourrait sans doute détecter d’autres agents négatifs, chargés de missions qui toutes plus ou moins contribuent à repousser, à compliquer la venue de la figure. Quand, par exemple, l’artiste choisit d’emblée un thème défiguré, celui de ces espèces de corps tronqués réduits aux membres inférieurs, et dont il est difficile de déterminer l’appartenance animale ou humaine, il participe de ce vaste mouvement de défiguration, qui remonte à la fin des années quarante, aux Fautrier des Otages ou à d’autres ; il installe la peinture au lieu et place de la parole interdite, du témoignage impossible.

À tout cela s’ajoute parfois le recours volontaire à certaines dissonances. Méfiance à l’égard de l’exploitation de la leçon matissienne, de toute cette peinture hexagonale qui confine au bon goût : « C’est tellement facile de poser un coup de pinceau jaune sur une grande plage grise, ça marche à tous les coups (YO/CB) ». Plutôt les heurts violents de couleurs qui se contrarient, se tuent. Plutôt le dur tracé noir, non pas ce cerne que les expressionnistes empruntaient à la gravure, mais le trait peint faisant retour sur sa trace, se recoupant, formant grille de façon agressive, jusqu’à la saturation inharmonieuse. Comme tous les peintres vraiment intéressés par leur art, Oppenheim en cultive le savoir ; il regarde la peinture de ses prédécesseurs, il possède et entretient la culture d’un regard. Il est ainsi très attentif à la façon dont certains ont pu faire polémiquer des lignes ou des couleurs a priori impossibles à marier : chez Matisse il est à l’affût du risque, de ce qui peut paraître inconfortable, de ce qui sort le maître niçois de l’image du fauteuil (YO/CB).

2. Encore faut-il comprendre à quoi sert toute cette armée tournée contre soi, handicapante, retardatrice, empêcheuse de figurer en rond. Contre quel adversaire est donc montée cette entreprise de réticence, de rétention, d’auto-coercition picturale ? Handicaper le peintre, se méfier de sa saisie mentale, lui adjoindre des prothèses revient, on l’a vu, à faire se rencontrer des forces adverses matérielles. On sent confusément que, dans ce combat, est à l’œuvre un processus dont l’artiste n’est que l‘instrument anonyme, un processus désubjectivisé. On relira ici le long commentaire que Jacques Derrida a donné d’une expression qui se trouve par trois fois sous la plume d’Antonin Artaud. À propos d’un de ses dessins, ce dernier parle du « subjectile qui [l]’a trahi ». Derrida, qui joue de la langue, dit : « forcener le subjectile [9] », en introduisant la connotation de la démence, du reste attendue quant à Artaud. Si le subjectile doit être compris comme sujet au sens de hypokeimenon, de ce qui est couché dessous, à savoir l’ensemble du substrat matériel de la peinture, alors sa posture de forcenée, sa division interne, sa schize, tiendrait dans ce qu’il est fait de (institué par) l’affrontement du véhicule et du support : mise en scène de forces adverses qui jouent à plusieurs niveaux (le sujet et l’objet, le subjectile et le projectile, etc.) et, pour ce qui nous occupe, mise en scène de l’adversité consubstantielle à la peinture. Les forces antagonistes qui animent le subjectile sont déjà à l’œuvre chez Cézanne quand il laisse apparaître les blancs. Et ce récit du blanc revient chez Oppenheim :

« Depuis quelque temps, je travaille un peu différemment. Dans mes précédents tableaux, les couches successives constituées d’entrelacs, de réseaux de traces, aboutissaient, par recouvrements progressifs, à un système de masses colorées, denses où apparaissait, à la fin, un motif.
« Dans mes dernières toiles, le principe reste le même, mais je laisse apparaître la toile par endroits. On voit plus les réseaux de couleurs, le geste. Ce qui laisse l’impression que le tableau a été fait rapidement, comme une esquisse. Il doit donner une sensation d’énergie. Cela a toujours été une de mes préoccupations. (YO/DD) »

Délaissée la plénitude de la représentation, le blanc est la marque de la profondeur, de l’air qui circule entre les touches et vient contredire la surface de la toile. Non pas combat du peintre contre la toile blanche, mais sentiment qu’a le peintre d’être le témoin d’un antagonisme, l’agent d’une lutte entre le véhicule – couleur, pâte ouvrée par le pinceau, le geste – et le support, la toile qui reçoit, absorbe, encaisse, résiste, ou non. Récit amoureux où l’un agit et l’autre pâtit, et que les marques du genre disent suffisamment : le pinceau, la toile.

Quand Artaud parle de trahison, il instaure un véritable anti-sujet qui ramène ceux dont nous parlions plus haut au rôle d’adjuvants négatifs. Or, un tel anti-sujet que le peintre ressent comme une force extérieure est bien présent dans la peinture d’Yves Oppenheim. La prothèse, la Verkrampfung, et tous les opposants intimes que le peintre a distribués sur son parcours (le retard, la fatigue, la défiguration, la dissonance) ne sont que les assistants du sujet dans le combat qu’il mène contre l’anti-sujet. Tel est le rôle qu’Artaud attribue à la maladresse dans sa lutte contre la traîtrise du subjectile. Cet effet de maladresse, dit Jacques Derrida « n’a de sens que dans l’altercation avec le subjectile et avec les forces qui se condensent en lui, qu’il suppose en somme [10] ». Quand Artaud dit :

« … mes dessins maladroits,
« mais si retors,
« et si adroits,
« qui disent merde à ce monde-ci. [11] »,

il projette en face de lui le suppôt d’un complot. « La maladresse, commente encore Derrida, est destinée : à faire violence à tous les suppôts. Le subjectile une fois devenu l’abri solide de tous les suppôts et succubes qui le hantent, la maladresse lui fait la guerre. » Chez Oppenheim, nous pouvons reconnaître le suppôt du complot dans l’adversaire implicite de ceux que nous avons décrits plus haut comme étant des adjuvants négatifs : dans le savoir-trop-bien-dessiner, le savoir-trop-bien-peindre. C’est sur le chemin d’une peinture qui se ferait trop facilement, qui aurait trop d’idées, qui serait trop guidée, trop préformée, qu’il a dressé toute cette population adverse, tout ce peuple perturbateur et contrariant. L’ennemi, c’est « le calice su », comme disait Mallarmé.

Cratylisme syntaxique

La peinture d’Yves Oppenheim n’est pas dénuée d’une certaine véhémence. Elle a même parfois une verve méridionale, haute en couleur. Du reste ne parle-t-on pas de couleurs criardes, d’accords qui hurlent ? L’éloquence viendrait ainsi à la peinture par la couleur. À l’âge de la rhétorique classique, on le soutint avec Roger de Piles, chef de file des rubénistes partisans du coloris, pour aussitôt insister sur le caractère muet de cette éloquence [12]. Cependant, chez notre peintre, force est de constater que la véhémence est aussi gestuelle, que le trait s’enchevêtre comme les mots se bousculent dans une élocution brouillonne. Ça parle des mains autant que ça parle en couleur. Telle serait cette pictura loquens qui tiendrait tout à la fois du geste et de la couleur.

Avec ses entrelacs, ses réseaux, en couches successives, Oppenheim forme au pinceau des traces qui rapprochent sa peinture du dessin puisque, comme celui-ci, elles sont principalement linéaires. Qu’en est-il de la linéarité en peinture ? La peinture serait-elle successive, temporelle, comme le langage, et non pas donnée tout d’un coup, dans l’instant du regard ? Voilà qui mérite examen. La touche, depuis les impressionnistes, en tant que véhicule de l’expression, a été le moyen de renverser la hiérarchie classique du primat du dessin sur la couleur. Que signifie dès lors le recours (le retour) à une couleur déposée de façon linéaire chez des artistes contemporains comme Jackson Pollock, Bram Van Velde ou Willem De Kooning ? J’y verrais pour ma part le signe d’un déplacement de l’ekphrasis. Cet exercice classique consistant à décrire un tableau ne peut plus s’exercer sur le sujet représenté – et le caractère figuratif de la peinture de De Kooning ne change rien à l’affaire. Ce qui peut se décrire, ou du moins se prête à quelque récit, c’est en gros le « comment il a été procédé ». Il y a deux façons d’exhiber la matérialité de la peinture, d’adopter une sorte de cratylisme [13] à son égard : la première identifie la touche colorée à la chose vue (comme Mallarmé veut que la signification du mot en soit portée par la couleur ou le son), la seconde cherche davantage à faire se recouvrir ce que raconte la peinture et les moyens avec lesquels elle le raconte, (comme le rythme général, la musique, peut coller au contenu d’une poésie), seconde façon que nous pouvons nommer « cratylisme syntaxique » [14]. Ce cratylisme porte sur la syntaxe, la phrase, l’argumentation. S’avance un langage aux accents originaires où ce n’est pas le mot qui ressemble à la chose mais le langage tout entier, dans son mouvement narratif, qui ressemble au mouvement, au procès rapporté. La peinture, entendue comme trace linéaire se déroulant à travers la toile, revenant sur ses pas, repassant plusieurs fois sur ses propres traces, les recouvrant, écrivant le récit étagé, feuilleté, de son aventure – dans l’espace comme dans le temps –, matérialiserait ainsi elle-même sa propre histoire. Un cratylisme qui ne se donnerait pas dans l’instant du mot, de la touche, mais au contraire solidifierait le temps, son épaisseur, le spatialiserait. Dans cette peinture le récit trouve un équivalent formel, une mise en scène de sa propre structure. Telle est la « mimologie » retrouvée de cette peinture, qui, une fois liquidée la mimésis classique, fait retour dans l’ordre narratif. Que la liquidation du récit ait été au centre de l’épopée moderne, il n’est que de relire Kandinsky pour s’en convaincre :

« Il faut trouver une forme qui, d’une part exclut l’effet de légendaire et, d’autre part, n’entrave en aucune façon l’effet de la couleur. Pour cela, la forme, le mouvement, la couleur, les objets empruntés à la nature (réels ou non réels), ne doivent pas provoquer un effet extérieur ou un effet de récit lié à l’extérieur [15] »

Il est vrai que Kandinsky ne discréditait la narration externe que pour faire de la forme l’expression d’un mouvement, d’une nécessité intérieure. Point, ligne, plan débouche bel et bien sur une syntaxe, une Grammaire de la création. Jacques Le Rider, qui cite ce même passage, note à propos du cratylisme que « l’écriture moderne porte le deuil et nourrit la nostalgie d’un Âge d’or de la relation transparente entre les mots et les choses [16] ». Le trait vaut pour la peinture. Si donc, en matière de cratylisme syntaxique, la peinture prend la relève du récit, c’est que tous deux possèdent (sont) en profondeur une structure de transformation, avec pour caractéristiques communes : linéarité, mise en place d’actants, modalisation de leurs compétences, relation agonistique, épreuves et modalités liées au Faire, procès en forme de quête, sanction et modalité véridictoire (voir ci-après). « Les structures narratives, disait A. J. Greimas, peuvent se reconnaître ailleurs que dans les manifestations du sens s’effectuant à travers les langues naturelles. [17] »

Le motif, l’opérateur

On doutait, en entrée, que la peinture d’Yves Oppenheim fût en quelque façon « conceptuelle ». Il s’en faut de beaucoup cependant que le peintre ne pense pas, qu’il ne recèle au creux de sa peinture une manière de théorie. Pourquoi, alors même qu’il s’adonne si longuement à des exercices purement abstraits – ou plutôt concrets, pour parler comme van Doesburg, puisqu’il semble s’attarder sur le terrain de la seule manipulation des éléments concrets de la peinture : geste désubjectivisé, court ou long, rapide ou lent, couleur, empâtement et dilution, matité et opacité, glacis et transparence, etc. – pourquoi tient-il autant au motif, pourquoi s’y accroche-t-il avec autant de conviction ? On aurait tort de n’y voir qu’une béquille. S’il se donne tant de mal à trouver périodiquement un nouveau motif, c’est que le motif supporte la construction, non seulement soutient chaque œuvre, mais forme le cœur du dispositif théorique. En quoi le motif apporte-t-il donc quelque chose à la théorie picturale ?

Quand Delacroix, Courbet ou Manet invitent, au Salon, des femmes si non de mœurs douteuses du moins au canon peu académique, on peut bien sûr en expliquer la venue par quelque détermination socio-historique. Mais La Mulâtresse, Les Baigneuses ou Olympia ne sont pas uniquement des figures renvoyant à des personnages réels. Ce sont aussi des figures dont la chair est toute de peinture, striée de hachures peintes, mordorée ou salie par des ombres équivoques, empâtée de médium autant que de graisse. Le modèle non orthodoxe utilisé emporte avec lui à un niveau qui n’est pas iconique certaines innovations picturales, jouant ainsi une partie double, signifiant iconique dont la mimésis se trouve en quelque sorte redoublée au plan stylistique et matériel.

Dans la série des Poissons, déjà citée, l’élément aquatique joue pareillement sur deux tableaux. Comme chez Breton, l’eau de l’aquarelle est bien le véhicule d’une métamorphose, mais, avant d’être celle de l’image, elle est celle des lignes et des couleurs qui se superposent, s’entrecroisent et se mêlent. À cause de cette duplicité, l’aquarelle est un médium d’élection pour le peintre, qui a réalisé au moyen d’elle de nombreuses séries (tout récemment : des Feuilles, des Fruits, des Citrons, des Personnages, des Tulipes, des Bords de mer, des Fleurs en pot, des Champignons). D’un autre côté, dans les grandes peintures à l’huile ou à la tempera réalisées au couteau, n’existent tout d’abord que de larges traces, des plages opaques, mates, sans pouvoir réfléchissant. Bachelard verrait dans l’usage de l’huile ou de la détrempe une imagination matérielle induisant des valeurs de repos, quand l’aquarelle prêterait à des rêveries plus aquatiques. Dans les trois cas cependant l’imagination est celle d’une eau composée, d’une pâte qui lie et délie les éléments. Au plan des images, le recours fréquent à des motifs en nappe rapproche entre eux Fleurs, Poissons et Fruits perdus dans des frondaisons : tous sont pris, immergés, dans un élément qui les noie. Entre l’imaginaire propre au signifiant et celui du signifié, la contamination est certaine. Tous deux obéissent au « schème du matérialisme vraiment intime où la forme est évincée, effacée, dissoute [18] ». Si l’« imagination matérielle » vaut pour son « dynamisme interne », on comprend la labilité des motifs, leur instabilité, leur interchangeabilité, du moins en ce qui concerne ceux qui viennent d’être énumérés et se rapportent à tout élément liant. Cet élément – aquatique pour le cas des Poissons – occupe en somme la même position sémiotique, joue le même rôle que celui attribué par Hubert Damisch au nuage dans la peinture du Corrège. Quand celui-ci voit dans le « graphe » pictural du nuage « l’opérateur d’une liaison entre les différents niveaux ou instances du procès signifiant [qui] fonctionne simultanément au titre d’élément constructif et comme le schème inducteur d’un développement thématique [19] », il décrit un type d’articulation entre plans sémiotiques qu’Oppenheim me semble rechercher dans chacun de ses motifs.

Car il faut étendre l’investigation à l’ensemble des motifs, au-delà du cas des Poissons qui nous ont mis sur la piste. Un tel rapport entre le traitement pictural et le motif choisi se retrouve dans d’autres expériences du peintre, et le caractère expérimental de sa peinture tient sans doute dans la recherche de rapports de ce type. Ainsi, dans les grandes aquarelles réalisées à La Napoule (déjà citées), l’émulsion très diluée contribue à faire vibrer en un même continuum atmosphérique ciel, mer et rochers, ces derniers eux-mêmes étant traités sur un mode quelque peu aquatique. Et quand il ne se sert pas de l’eau, Oppenheim trouve ailleurs, autrement, des motifs qui motivent à leur tour le traitement pictural. Les réalisations à la tempera de 1991, Villes ou Fruits le démontrent suffisamment. Dans les Villes la relation a d’abord été recherchée entre la touche, la trace de brosse, et le pan de chaque bâtiment, avec pour résultat la juxtaposition de cet élément qu’après Georges Didi-Huberman il faut bien nommer un « pan », un « pur symptôme de la peinture », un élément qui vient en avant qui affirme une présence dans la tension même de son appartenance au plan du tableau [20]. Le damier irrégulier constitue l’opérateur commun aux deux niveaux, celui du quadrillage urbain et celui de la constellation des pans de peinture juxtaposés. Pour telle autre Ville sur papier, la liaison visuelle entre les plans éclairés et les lignes, qui enchaînent selon quelque axe de voirie les bâtiments en formant comme autant de fuyantes, a été réalisée en grattant la couche supérieure et en mettant ainsi à nu le dessous plus clair. Dans les grandes compositions avec Fruits [21], la relation est proprement sémantique comme pour l’eau (celle de l’aquarelle et celle des poissons). /Ce qui se pèle/, véritable opérateur de liaison sémiotique, au sens où l’entend Damisch, fournissant au peintre tout uniment le schème inducteur de son motif : le fruit avec sa peau, et la technique mise en œuvre : le désenpâtement par raclage d’une matière préalablement tapée à l’amassette et qui se trouve de la sorte amincie, parée : pelée. Contemporain du thème des Poissons : celui des feuilles. C’est en soulignant de noir avec insistance les bords et les nervures de feuilles au limbe simple, en marquant leur superposition, que sont apparus les premiers entrecroisements, les premières grilles qui violentaient des fonds colorés plus calmes. Ou bien, du treillis incertain, apparaît une femme vue de dos avec le dossier d’un siège. Ailleurs l’entrelacement de la peinture sur elle-même a engendré un arbre avec ses frondaisons. Plus récemment, la reprise en couleurs du dessin des feuilles les a ordonnées en registre, comme d’un régime dont les produits retomberaient. Dans plusieurs séries de fleurs de 1997 (on pense à certains dessins de Piet Mondrian ou d’Ellsworth Kelly), la partie double se joue entre la retombée florale et le mouvement de va-et-vient de la main du peintre qui referme chaque fois sa ligne autour d’un point central d’où les oves, ainsi dessinés, s’évasent en inflorescence. En redoublant la série des gestes identiques, comme par ressaut, le motif se répète en cascade. Le « deux » faisant à la fois étagement et composition.

Dans trois peintures réalisées récemment par Oppenheim, se voient chaque fois deux échelles doubles. Les lucarnes que dessine le quadrillage des montants et des barreaux de ces Échelles déterminent des plages colorées homothétiques, décalées et autonomes, qui semblent flotter dans l’espace, comme si l’armature de l’objet avait servi dans le reste du tableau à y ordonner la couleur. (Un autre opérateur de répartition des couleurs et des lignes a aussi été trouvé dans les Lits, peintures récentes également, dont les possibilités en la matière sont assez voisines des Échelles.) La troisième de ces Échelles est une démonstration particulièrement réussie, dans laquelle le peintre semble avoir condensé et résumé une bonne part de son savoir-faire. Il y mêle une manifestation de la temporalité du procès pictural dont je n’ai pas encore parlé, et qui consiste à appliquer la couleur sur une couche précédente encore fraîche, ce qui revient à salir le tout. Il fait là, à l’huile – qui sèche lentement –, ce que l’acrylique ne permet guère. Car l’opérateur qui motive les deux plans du motif et de l’organisation du substrat pictural, y distribue aussi l’énergie dépensée ; il la répartit dans le temps. Les peintres qui utilisent la peinture à l’huile connaissent bien ce problème de la gestion du temps qui les conduit à la mise en chantier de plusieurs tableaux simultanément. Le temps aussi de savoir arrêter les reprises (on a parlé plus haut de la mise à mort). Le tableau est ainsi un condensé d’investissement énergétique et psychique. De Kooning remarquait, à propos de la Renaissance, que

« plus la peinture évoluait, plus elle se mettait à trembler d’émotion. Et on s’est aperçu très vite que, pour cela, il fallait des milliers et des milliers de coups de pinceaux, comme chacun peut le constater dans la peinture vénitienne. [22] »

Si le motif (le choix du motif, trouver un bon motif, un nouveau motif, etc.) est une préoccupation qui obsède Yves Oppenheim, c’est bien parce qu’il y ressent comme la pierre angulaire qui maintient son édifice. Est-ce, comme semble l’avoir dit beaucoup de peintres, la banalité du sujet (lit, échelle, fleur, pied ou poisson) qui en ferait un bon motif ? Est-ce qu’il faut encore accréditer la thèse soutenue par maint peintre selon laquelle le motif serait indifférent : un prétexte à peindre. « Un objet n’a pas grande part à la valeur et à la réalité de la peinture », dit par exemple Baselitz [23], qui reprend ce faisant l’antienne de l’autonomie de la peinture. Le motif serait-il à ce point arbitraire ? Quand Oppenheim se laisse aussi aller à dire que « le motif n’a pas l’importance que l’on croit (YO/DD) », il faut peut-être entendre l’apophtegme ainsi : il n’a certes pas d’importance en tant que contenu sémantique, mais en tant que signifiant pictural, il en a une. Un motif est bon quand il motive la peinture. Un bon motif est peut-être arbitraire en tant que sujet – ce qui resterait encore à démontrer –, mais il est toujours motivé du point de vue pictural – ce que l’on dit rarement. Un bon motif se prête à la conversion entre le plan proprement iconique et celui plus difficile à cerner de la figuration picturale. Il sert de passeur entre les schèmes figuratifs et le procès matériel, physique, énergétique qui implique le peintre dans l’œuvre. Un bon motif est la manifestation en surface de l’opérateur syntaxique qui fait parler la peinture. Non seulement il se laisse traduire en peinture, mais il parle peinture. Quand un peintre poursuit inlassablement, pour un temps, le même motif, celui-ci lui parle comme par avance l’idiome peinture, mais le peintre en le reprenant le fait évoluer. Chaque motif repris réalise ainsi la peinture ; et le rapport entre le motif générique et son traitement particulier est le même que celui qu’entretient la langue avec l’occurrence de la parole. Et bien sûr, du motif et de la peinture, il en est comme de la poule et l’œuf.

Que gagne-t-on à trouver un bon motif ? – Un pouvoir. Le motif élu accroît le potentiel du peintre. Adjuvant positif, matériel, porteur de l’opérateur syntaxique, il joue le rôle tenu dans les contes traditionnels par la potion magique ou le talisman. Non pas objet de la quête, mais ce qui dote le héros des pouvoirs nécessaires pour accomplir sa mission.

Ornement et vérité

Revenons encore une fois sur la structure tressée, entrelacée, tissée, de maintes peintures. Jacques Lacan [24] a cru trouver dans de telles structures (par l’entremise de la peinture de François Rouan) l’illustration de sa propre nodologie. Hubert Damisch, qui aura l’occasion d’apporter un commentaire au texte lacanien [25], s’était auparavant arrêté sur les entrelacs de Jackson Pollock [26]. Pour Oppenheim l’entrelacs est de l’ordre de l’ornement (YO/CB) ; ainsi ne sépare-t-il pas le motif de l’acception qu’a ce terme dans les arts appliqués, et cela ne le gêne pas. En employant un tel mot, il touche à ce point où le vocabulaire hésite pour désigner ce qu’il en est de l’organisation du donné pictural, à ce point où le terme « style », qui peu paraître usé, revient sous la plume du sémioticien quand il veut parler de cette autre face de l’activité de l’opérateur qu’il décrivait plus haut, et quand il dit tout aussi bien « viser l’image dans sa texture et son épaisseur de peinture [27] ».

Oppenheim ne peint pas (plus) sur le motif, disions-nous. « Motif », cela peut donc ne pas être lié à un référent extérieur ; un motif décoratif, on le sait, pourra même être abstrait. Mais l’on aura beau citer Alois Riegl qui l’a requalifié en tant que tel, en y voyant un Kunstwollen, une intention artistique [28], on ne fera pas que le terme, pour le sens commun, ne se rapporte à l’ordre des arts appliqués tenu pour secondaire. « Ornement » a un sort un peu différent ; c’est, dit le Larousse, « ce qui ajoute à l’agrément », et le Robert : « ce qui s’ajoute à un ensemble pour lui donner un certain caractère ». En requalifiant le mot, Oppenheim lui fait faire en quelque sorte le chemin inverse de « motif ». Cézanne lui-même valorisait le décoratif, du moins d’après Maurice Denis et Émile Bernard, lequel parle à son sujet de « l’élévation de la forme vers une conception décorative [29] ». Matisse disait : « décoratif supérieur ». Tout l’œuvre de Jean Dubuffet, qui intéresse beaucoup notre artiste, dénote un souci de l’ornement qui mériterait de longs développements [30]. Baselitz, de son côté, explique comment, après avoir commencé quelque chose au point central (aveugle ?), il ne traite plus que la surface et en recherche l’illimitation :

« Je m’intéresse depuis longtemps aux déroulements d’ornements, c’est-à-dire à des choses qui n’ont pas de limites, où un ornement forme une surface, que l’on puisse lire, avec une figuration qui serait inscrite, intégrée, incorporée dedans. [31] »

Il retient le processus de métamorphose qui fait que, du dehors, l’ornement vient intégrer le dedans de la figure. En tant qu’il (s’)ajoute, comme disent nos dictionnaires, qu’il est un supplément, l’ornement se prête aux considérations sur l’origine et la vérité initiées par Jacques Derrida, qui lui aussi en rappelle l’intégration : il va chercher chez Kant, le terme « Parergon », et commente longuement la structure supplémentaire de tout « à côté de l’œuvre » ; il souligne que l’auteur de la troisième Critique pose d’emblée que c’est « un mixte de dehors et de dedans, mais un mixte qui n’est pas un mélange ou une demi-mesure, un dehors qui est appelé au-dedans du dedans pour le constituer en dedans [32] ». Si, comme le dit Jacques Soulillou, « la pensée qui veut établir une limite entre l’ornement et ce qui le porte, redoublée d’une opposition entre ornement et superflu [33] » est conduite à une « aporie », entraînée qu’elle est vers une régression sans fin, il faut bien reconnaître que la qualification de l’ornement au titre du principal, l’extension de sa législation à toute la surface, ne peut se faire que sur fond d’une tâche aveugle. Il n’y a plus de principal (œuvre, origine) qui serait la vérité du secondaire, mais le seul secondaire, l’accessoire au titre du principal et qui ne peut désigner l’origine qu’après coup.

Per Kirkeby pose au commencement la mort, la perte de soi-même :

« On commence à un endroit quelconque […] Le commencement est toujours sa propre mort. Peut-être contient-il toujours le noyau de quelque chose – mais jamais de ce que l’on considère soi-même comme noyau – de cette chose qu’il faut reconquérir. Mais il faut d’abord l’avoir déjà perdu pour pouvoir le reconquérir. Il faut donc perdre quelque chose que l’on ne connaît pas et partir en guerre sans raison. [34]

C’est voir dans le combat du peintre une lutte avec l’ange. Oppenheim, de son côté, pense que certaines couleurs, certaines ambiances lui viennent du fond de sa mémoire, images remontées de son enfance, qu’il ne retrouve que parce qu’il les a perdues :

« Le tableau, c’est comme une archéologie de soi-même. Peindre, c’est affronter physiquement son inconscient et le temps est un facteur important. Travailler longtemps sur une toile fait apparaître des images successives. Je les découvre moi-même et j’en conserve une à un moment donné. Mais cette dernière image contient en elle toutes les autres. (YO/DD) »

Mais il dit aussi ce faisant quelque chose de plus sur le moment de conclure, moment qui donne son sens au combat, rétrospectivement. Le résultat ordonne à rebours tout ce qui l’a précédé, de la même façon que, pour la théorie narrative, la logique du récit veut que ce soit de son terme final que se déduisent tous les épisodes qui précèdent, l’ordre ainsi disposé étant l’inverse de l’ordre temporel.

Ce n’est pas sans appréhension qu’on visitera pour terminer ce lieu du commentaire : le problème de la vérité en peinture [35]. On se demandera en vertu de quel Paragone obscur Yves Oppenheim en est venu à délaisser le récit filmique pour un discours tout autre, celui de la peinture. Certes le cinéaste épris de sémiologie devait bien concevoir que le dire filmique n’avait rien de transparent, que la vérité y était l’objet d’une construction. Mais en passant à la peinture, il envisage le récit d’une tout autre manière, en dehors de ce que Roland Barthes appelait, en 1968, l’« effet de réel ». La vérité se déporte et va se nicher au creux de la peinture : authenticité du geste, justesse du rapport entre le motif et le style, etc. Elle demeure, comme dans toute structure narrative, le moment de la sanction au terme du récit. Ce qui est constaté vrai est alors l’ensemble des opérations de peinture pour autant qu’elles se donnent à lire dans l’unicité d’une même venue, d’un même procès : il faut que tous les supposés gestes que le regard déduit de la matière, des traits et des couleurs, se fassent sentir, paraissent être les traces d’un combat mené à bout ; il faut que la peinture soit comme un triomphe, donne l’illusion d’une victoire.

La vérité, l’effet mission accomplie qui accompagne toute fin de récit, se rapporte ici au procès pictural lui-même qui, en montrant ce qui ailleurs se raconterait, dit la vérité, ne saurait mentir : voyez comme cela a été fait, suivez le mouvement de l’ensemble, saisissez mes gestes, leurs vitesses, leurs arrêts, leurs repentirs. À prendre bien sûr comme un effet de vérité, ce que démontre l’anecdote suivante : La première des trois grandes compositions avec échelles réalisées cette année se laisse commenter de façon trompeuse, comme j’ai pu le constater sur photographie. Les tâches jaunes qui me semblaient passer derrière et avoir été faites avant les barreaux de la grande échelle masquent en fait un complexe de coups de pinceaux de plusieurs couleurs que le peintre a jugé bon d’assagir en le recouvrant après coup. En contournant les barreaux il donne l’illusion d’un ordre d’exécution inverse. Telle serait la vérité de l’ornement, supplémentaire, reconstruite. Aussi y a-t-il quelque illusion à rechercher l’opérateur véritable qui a engendré en partie double telle construction stylistique et tel motif. Car à bien l’écouter même le récit du peintre qui pose un Faire à l’origine, précédant la venue du motif, peut être mis en doute. Si motifs, ornement, savoir-faire, styles précèdent d’une certaine manière (et peu importe l’ordre) toujours le peintre qui en a mémorisé les occurrences précédentes, ils sont aussi, d’un autre côté, toujours donnés à la fin, au terme du procès, l’ordonnant comme par un effet d’optique. Ce trait est un signe tangible supplémentaire de la structure narrative qui anime la peinture en profondeur.

***

Yves Oppenheim, lisant une partie de ce texte, exprima sa gêne en trouvant le mot « héroïque » à la fin du second paragraphe. Au terme de notre parcours, je suis en mesure de justifier cet emploi. Le peintre, si l’on m’a suivi, a bien toutes les caractéristiques d’un héros, et ceci n’est en rien une affirmation romantique, ou pire une flagornerie. C’est qu’il est pris dans une structure narrative où il tient la place du sujet principal. La théorie narrative, qui a forgé ses concepts à partir de l’analyse des contes Russes de Vladimir Propp, y a trouvé « héros », terme dont elle continue d’user pour désigner ce sujet.

Résumons. Le sentiment que quelque chose de l’histoire n’était dénié que pour être rejoué ailleurs nous a ouvert la voie. Le déroulement du geste, les qualités de la trace nous indiquaient un ordonnancement linéaire et temporel. Le caractère polémologique de certains faits et gestes était frappant et nous avons pu identifier en face du héros un adversaire à combattre. Nous avons pu doter le premier de deux types de compétences, celles antiphrastiques de ses adjuvants négatifs que nous avons reconnus dans toute une série de comportements, et celle positive consistant en l’acquisition du bon motif. Nous avons reconnu sous ce motif un opérateur puissant servant de passeur entre les plans sémiotiques. Pour l’œuvre, le moment final, est celui du jugement. Le destinataire (qui par syncrétisme se partage entre l’artiste et le public) doit être en mesure de reconnaître l’objet de la quête, de vérifier si la mission a bien été accomplie. Quand la peinture n’est pas bonne, elle peut être reprise ; parfois le mal est jugé irrémédiable et la peinture détruite ; quand ça tient, quand le peintre a trouvé ce qu’il cherchait, il considère qu’il peut arrêter, conclure. Car comme dans tout récit, il y a bien un objet de la quête, que le mot « ornement » semble désigner faute de mieux. Ce n’est qu’en possession de l’ornement que nous jugeons rétroactivement de la vérité du motif, et que nous projetons dans celui-ci une « intention d’art ».

Références

* Publié sous le titre « À la recherche de l’ornement » in catalogue de l’exposition Yves Oppenheim, Nantes, musée des Beaux-Arts / Doles, musée des Beaux-Arts, 1998. Ce texte intègre, largement remanié, un premier « Petit essai de polémologie picturale » écrit pour l’exposition d’Yves Oppenheim à Châtellerault, en 1997, et dont seule une partie avait été publiée dans le catalogue, sous le titre « Fatiguer la peinture ».

** Propos d’Yves Oppenheim cités :

– « Entretien », propos recueillis par Suzanne Pagé et Béatrice Parent, in catalogue Yves Oppenheim, Paris, ARC, musée d’art moderne de la Ville, 1988. (YO/SP-BP)

– « Yves Oppenheim, Interview », propos recueillis par Dominique David, Nantes, musée des Beaux-Arts, 1998. (YO/DD)

– Diverses communications orales, 1996-98. (YO/CB).

Notes

[1]. Alain Cueff, préface du catalogue Yves Oppenheim, Paris, galerie Durand-Dessert, 1992.

[2]. Que l’on pense par exemple à certains artistes de la galerie new-yorkaise Metro Picture.

[3]. Yves Oppenheim a réalisé au milieu des années soixante-dix les décors de l’Affiche rouge, film tourné sur le groupe de résistants parisiens du même nom, composé pour l’essentiel de juifs et d’arméniens ; il a été également co-scénariste de La Barricade du point du jour, un des premiers films sur la commune.

[4]. Collection du Fonds régional d’art contemporain de Franche-Comté.

[5]. Pour un exposé récent de la théorie du récit à laquelle je me réfère, et qui est celle de l’École de sémiotique de Paris, cf. Joseph Courtés, Sémiotique narrative et discursive, Paris, Hachette, 1993.

[6]. Manuel Jover, « Yves Oppenheim », in Beaux-Arts Magazine, n° 99, Paris, mars 1992.

[7]. Propos de Baselitz [Bâle, 1983] rapporté par Dieter Koepplin, « Über das Gewicht der Zeichnungen von Georg Baselitz », in Georg Baselitz. Zeichnungen 1958-1983, Bâle, Kunstmuseum, 1984, p. 140.

[8]. Jasper Johns, in David Sylvester, « Entretien avec Jasper Johns » [1965], trad. Jeanne Bouniort, Artstudio n° 12, Paris, printemps 1989.

[9]. Jacques Derrida, « Forcener le subjctile », in Paule Thévenin, Jacques Derrida, Antonin Artaud. Dessins et portraits, Paris, Gallimard, 1986, p. 55-108.

[10]. Idem, Ibidem, p. 79.

[11]. Cité par Derrida, ibidem, p. 81.

[12]. Cf. Jacqueline Lichtenstein, La couleur éloquente, Paris, Flammarion, 1989.

[13]. De Cratyle, personnage du dialogue platonicien du même nom, soutenant la théorie selon laquelle, dans le langage parfait des origines, les mots ressemblaient aux choses.

[14]. Sur le cratylisme dans la littérature, cf. Gérard Genette, Mimologiques, Voyage en Cratylie, Paris, Le Seuil, 1976.

[15]. 1911. Cité par Jean-Paul Bouillon, « Narration, description, événement dans la genèse de l’abstraction Kandinskienne », in Peinture et Rhétorique, Actes du colloque de l’Académie de France à Rome, 10-11 juin 1993, sous la dir. de Nicolas Bonfait, Paris, R.M.N., 1994.

[16]. Jacques Le Rider, Les couleurs et les mots, Paris, PUF, 1997, p. 55 sq.

[17]. Algirdas Julien Greimas, « Éléments d’une grammaire narrative », in L’Homme, t. ix, n° 3, Paris, 1969 ; repris in Du Sens, Paris, Le Seuil, 1970, p. 158.

[18]. Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, Paris, José Corti, 1942, p. 142.

[19]. Hubert Damisch, Théorie du nuage – pour une histoire de la peinture, Paris, Le Seuil, 1972, p. 34.

[20]. Cf. La peinture incarnée, Paris, Minuit : « Le pan », p. 28-61.

[21]. Comme les quatre peintures à la tempera sur papier, du Fonds national d’art contemporain déposées au musée de Nîmes, ou celle sur toile du Fonds régional d’art contemporain de Languedoc-Roussillon.

[22]. Cité par David Rosan (The Meaning of the Mark : Leonardo and Titien, The Spencer Museum of Art, University of Kansas, 1988 ; trad. franç. Jeanne Bouniort, La trace de l’artiste, Paris, Gallimard, 1993, p. 123), qui voit surtout dans la trace du pinceau une « manifestation de la personnalité de l’artiste.

[23]. « Entretien avec Jean-Louis Froment et Jean-Marc Poinsot », in catalogue Baselitz. Sculptures, C.A.P.C. musée d’art contemporain de Bordeaux, 1983.

[24]. Notes publiées in catalogue François Rouan – peintures, dessins, Marseille, musée Cantini, 1978.

[25]. « La peinture est un vrai trois [1983], Fenêtre jaune cadmium, Paris, Le Seuil, 1984, p. 275 sq.

[26]. « La figure et l’entrelacs » [1959], ibidem, p. 74-91.

[27]. Hubert Damish, op. cit.

[28]. Alois Riegl, Stilfragen, 1893 ; trad. franç. Henri-Alexis Baatsch, Françoise Rolland, Questions de style, Paris, Hazan, 1992.

[29]. Émile Bernard, « Paul Cézanne », L’Occident, juillet 1904. Repris in Conversations avec Cézanne, Paris, Macula, 1978, édition critique présentée par P. Michael Doran dont on lira la note 10 p. 191.

[30]. Oppenheim a reconnu ce souci lors de l’exposition de Jean Dubuffet à la Galerie nationale du Jeu de Paume (YO/CB).

[31]. Georg Baselitz, Charabia et basta. Entretiens avec Éric Darragon (trad. franç. Laurent Cassagnau), Paris, L’Arche, 1996, p. 76 .

[32]. Jacques Derrida La vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1978 : « Le parergon », p. 74, et passim.

[33]. Jacques Soulillou, Le Décoratif, Paris, Klincksieck, p. 18.

[34]. Per Kirkeby, Excursions & Expéditions, Grenoble, Centre national d’art contemporain, 1992, p. 115.

[35]. « Je vous dois la vérité en peinture » est un mot de Cézanne. Francois Wahl (Introduction an discours du tableau, Paris, Le Seuil, 1996, p. 53-69 et 125-200), reconnaît à la peinture une vérité intrinsèque qui ne vient que de son langage, mais il infère cependant celle-ci à une structure phrastique : dès lors la vérité tient à l’existence d’un sujet et d’un prédicat. Ce n’est pas exactement en ce sens que la vérité est posée si l’on se tient au plan de la structure narrative, telle que nous en reprenons ici l’analyse.