Ventilation

Les Gazes de Daniel Dezeuze (1977-1981), l’histoire en filigrane

(Publié in cat. de l’exposition Daniel Dezeuze. Gazes découpées et peintes(œuvres 1977-1981), (18 avril-4juin 2003), Dijon, Frac de Bourgogne, 2004, p. 7-26. — « Daniel Dezeuze’s Gauzes (1977-1981), history between the lines », trad. en anglais par Simon Pleasance, ibidem, p. 65-85.)

Au printemps 2003, Daniel Dezeuze expose dans les salles du Fonds régional d’art contemporain de Bourgogne un ensemble rétrospectif de Gazes, des œuvres remontant aux années 1977-1981. L’accrochage, réalisé par ses soins, reprend sinon la lettre du moins l’esprit de leurs présentations successives de l’époque : le début de la série a été montré pour la première fois à Paris, rue du Grenier Saint-Lazare, à la galerie Yvon Lambert, en novembre 1977, la fin, au même endroit, en mai 1981 ; des ensembles intermédiaires ont été vus en 1978, à Milan, Cologne et Bruxelles, en 1979, à Liège, et en 1980, à La Haye, Saint-Étienne et Les Sables-d’Olonne [1]. Déjà, se remarquaient alors la présence diaphane des œuvres dans des salles toutes blanches, leur dispersion tous azimuts sans qu’une hauteur ou un emplacement soient privilégiés, ainsi que l’effet pelliculaire d’adhésion de la peinture au mur dû à la semi-transparence et à la minceur des supports. L’aspect commémoratif de l’exposition dijonnaise ne doit pas masquer cependant qu’elle reconstitue un mode de présentation qui n’a jamais existé comme tel : les expositions primitives ne comportaient pas un aussi grand nombre d’œuvres ; la disposition d’ensemble matérialise de plus l’écart entre le début et la fin de la série, en épinglant les premières pièces dans les petites salles de droite en entrant, et les dernières, colorées, de plus grand format et nécessitant plus de recul, dans la grande salle de gauche. Avec l’écriture élégante de leurs découpes, leurs surlignages de papier adhésif, leurs traits au crayon-feutre, leurs rares chiffres et lettres, leurs maigres imprégnations de bitume ou de couleur aussi, les Gazes se distinguent par la variété aléatoire de leurs formes et laissent deviner les opérations successives et plus ou moins complexes à l’origine de chacune d’elles. Leur nombre, de plus, nous introduit dans le temps de l’atelier, nous indique comme la durée de leur fabrique. Enfin, par leur adhérence à un lieu dont la blancheur surprenante, à la fois sèche et éblouissante, se trouve comme renforcée, elles se voient aussi comme un ensemble. Car en définitive, au-delà ou en dépit de leurs individualités dispersées, du libre jeu de leurs tracés, de leurs découpes variées et de leurs subtiles modulations, c’est bien aussi le tout absorbant de leur exposition qui prévaut.

Un moment de l’œuvre

Replacées dans l’évolution de l’œuvre [2] de Dezeuze, les Gazes incarnent un pic de légèreté, de transparence et d’évanescence. Certes, les œuvres des années Supports/Surfaces étaient déjà ajourées, souvent souples, mais les Gazes, de ce point de vue, apparaissent comme une surenchère qui ne sera pas dépassée. Le pic dont il est question traverse du reste la série elle-même : Entre les Gazes, si discrètes, exposées en 1977 chez Lambert, et celles de 1979-1980, qui illustrent par exemple l’ouvrage de Christian Prigent, Comme la peinture (publié par cette même galerie en 1983), se remarque le retour de formats plus grands et de formes plus compactes, le passage de marques maigres de bitume à des effleurements colorés davantage étendus et prégnants. La suite de l’œuvre ne contredit pas cette tendance. Les Portes, Diptyques et Morceaux de bois de 1982-1983, tout en poursuivant la pratique de la découpe, s’affirment franchement lourds, pleins et opaques ; l’usage de charnières réintroduit des considérations sur le fonctionnement et la manipulation des objets, que l’artiste avait esquissées auparavant dans les Extensibles (1968), les Claies (1969), les Échelles en bois souple (1971-1975) ou les Accordéons en bois de placage (1975). Après les Gazes, en outre, les éléments figuratifs, les réemplois, seront le lot d’une œuvre qui aura tendance à évoluer dans un univers beaucoup moins abstrait, davantage figuratif, comme en témoignent les séries des Armes (1985-1988), Objets de cueillette (1992-1995), Peintures sur chevalets (1995-1998) ou encore les Poulies, exposées tout récemment [3].

Sur le terrain de la légèreté et de la transparence, mais aussi sur celui de l’accrochage, quelques essais antérieurs annoncent les conclusions radicales auxquelles l’artiste a abouti avec les Gazes. En 1973, lors de sa deuxième exposition chez Lambert, Dezeuze a présenté un mur de plus d’une vingtaine d’étroites échelles [4], improprement dites Échelles de tarlatane, qui, comme cela fut parfois le cas pour les échelles faites avec des bandes de bois de placage agrafées, étaient accrochées au mur verticalement avec un reste au sol négligemment enchevêtré. Découpées dans un tissu de fibre de verre pour moustiquaire, légèrement teintées, ces Échelles dépassaient en matière de légèreté et de discrétion toutes les œuvres précédentes de l’artiste. Le format réduit, un autre trait propre aux premières Gazes, se rencontre par ailleurs dans deux séries de petites pièces de 1971, les Plaquettes de terre cuite et les Carreaux de bois pyrogravés. Quant à l’accrochage tous azimuts des Gazes au mur, on notera qu’en 1975, lors de la troisième exposition de l’artiste à la galerie Lambert, le mur de gauche, en entrant était occupé par trois Triangulations, et que la première était fixée dans le coin supérieur gauche, à une hauteur inusitée. Les Gazes de 1977, cumulent donc des caractéristiques déjà apparues précédemment de façon isolée, caractéristiques qui disparaîtront par la suite. C’est dire que, dans l’œuvre, elles ramassent un acquis, mais aussi constituent une sorte de point de rebroussement, un moment dont le sens reste à analyser.

L’artiste

Approcher ce sens implique de dépasser le saisissement silencieux, la posture du spectateur pris par l’exposition, et de rapporter paradoxalement les Gazes aux énoncés qui les accompagnent. Encore faut-il définir le registre de ces énoncés liés aux repères de l’artiste, à ses amours intellectuelles, à sa bibliothèque virtuelle, aux réseaux de pensées qui l’ont nourri, même si les œuvres, elles, se donnent a contrario, d’emblée, dans une parfaite réserve à l’égard de toute déclaration.

La position de Dezeuze vers 1977-1978 n’est pas le calque exact de celle de ses ex-compagnons de Supports/Surfaces, si tant est que ceux-ci aient jamais obéi à une quelconque norme collective. Parmi tous, il apparaît davantage marqué au fer des sciences humaines. Dans Supports/Surfaces, avec Devade et d’autres, il prend volontiers la posture du théoricien [5]. Il le doit sans doute à sa formation particulière, à ses études principales qu’il fit en Lettres, à l’université de Montpellier [6]. Il suit concurremment les cours de l’École des beaux-arts de cette même ville en auditeur libre. (Son père, le peintre Georges Dezeuze [7], y exerce les fonctions de professeur de dessin.) Plus jeune, il croise là certains de ceux qui animeront Supports/Surfaces : il n’a que treize ans quand Claude Viallat entre dans cette école, Jean Azémard et Vincent Bioulès sont ses aînés de quatre ans ; François Rouan est plus jeune [8]. Les dates de naissance de ceux que l’on perçoit comme appartenant à une même génération artistique s’étalent en fait de 1935 à 1947 [9], et Dezeuze fait partie du groupe des plus jeunes [10]. Quand ses aînés et ses pairs rejoindront les Beaux-Arts de Paris et seront amenés à rencontrer (entre autres) les Buraglio, Buren et Parmentier [11], il poursuivra ses études de Lettres : il obtient sa licence en juin 1962 ; hispanisant, il part alors en Espagne, puis au Mexique, où il prépare un D.E.S. sur l’urbanisation de Mexico, soutenu en juin 1965 à Montpellier. Après deux ans de coopération au Canada, où il travaille au Consulat général de Toronto tout en enseignant dans le département de français de l’Université, il s’installe à Paris (octobre 1967) et y entame un doctorat de troisième cycle, en littérature comparée, sur le poète Vicente Huidobro, qu’il soutiendra en mars 1970. (Il retournera l’été enseigner le français au Canada, en 1968 à Toronto à nouveau, et en 1969 et 1970 à l’université McGill de Montréal.) Il est ensuite question qu’il enseigne au nouveau centre universitaire de Vincennes, mais cela ne se fera pas. C’est dire qu’au début de sa carrière d’artiste, les Lettres constituent pour lui « plus qu’un jardin secret [12] ». Pour compléter cet examen comparatif des décalages entre la carrière de Dezeuze et celle d’autres artistes, il faut ajouter qu’il commence à exposer dès l’âge de vingt et un ans, en Espagne [13], puis au Mexique [14], dans un style gestuel et expressionniste, comme beaucoup, mais qu’au Canada, où il bénéficie aussi d’un atelier [15], sa peinture évolue vers un style pop’, puis hard edge. En 1970, de tous les peintres de Supports/Surfaces, il est le seul à avoir visité les galeries et musées new-yorkais [16].

Le résumé succinct de ces années de formations, nous conduit à examiner les repères de Dezeuze sur le double plan de l’art et des sciences humaines.

Postminimalisme ?

Réalisées durant les mois qui précédèrent, les premières Gazes furent donc présentées en novembre 1977, rue du Grenier Saint-Lazare. Le premier commentaire, qui ne sera publié qu’au mois d’avril suivant, est écrit par Christian Prigent [17]. Avec les Gazes, on est selon lui « dans la ruine d’un récit », l’aspect fragmentaire domine, « il y a des bribes de sens et elles font signe pour l’œil », elles font « archipel ». Le morcellement interdit « l’identification narcissique », la « reconnaissance » : l’œil est conduit de bas en haut et latéralement, la scène n’est pas homogène. On se trouve de la sorte à l’opposé de « l’imagerie théologique », de la « démonstration pieuse », qui veut « tout enclore ». Le jeu formel des vides et des pleins, promu au rang de métaphore, devient sous la plume du commentateur une sorte de dialectique entre la vacuité et la plénitude du sens. Dans ce « travail sur l’écran minimal », « c’est de la fresque qu’il s’agit » :

« Problème d’espace “en volume” (donc d’accrochage), de marquage présignifiant, d’alternance plein/vide, d’excès de la stricte perception scopique des problèmes plastiques. Tout se lie en une proposition d’organisation d’espace qui fait selon moi retour sur la proposition dénotée “fresque”. Effet-fresque : retournement actif d’une liaison historiquement codée qui unifie l’ambition plastique, l’adhésion pieuse, la légalité pleine du discours, la résorption narcissique. On erre dans ce retournement. Il nettoie, avive, fait beauté. »

Avec un tel commentaire, et comme aux beaux jours de Supports/Surfaces, Prigent poursuit une lecture de l’œuvre qui en fait à la fois l’agent d’un travail théorique et critique, et l’objet d’une pratique avant-gardiste visant à déconstruire la scénographie de la représentation, partie prenante du « logocentrisme occidental ».

À l’occasion de cette même première exposition des Gazes, l’artiste accorde un entretien à Chantal Béret [18] ; publié au mois de juin suivant dans Art Press. Il s’ouvre (§ 1) sur « l’effet-Lascaux ». Dezeuze, qui a déjà eu droit à « l’effet-fresque » sous la plume de Christian Prigent, reconnaît en réponse s’être occupé de “pariétalité” dans les années 1971-1972, mais l’exposition présente n’est pas selon lui « particulièrement centrée sur des données rupestres », qui supposeraient obscurité et rituel, « l’effet Lascaux en est absent ».

« L’espace où j’ai exposé se situe aux antipodes de cette conception : des murs blancs aveuglant sous un éclairage intense révulsent la pupille qui doit “voyager” d’une peinture à l’autre (lesquelles sont accrochées en décalages marqués) sans possibilité de focalisation, alors que les peintures portent en elles-mêmes les signes d’une focalisation extrême : axes, points de fuite, triangles ou carrés centrés dans des cercles, etc. »

Il accepte cependant le constat d’un « “éclatement” à la fois de l’œuvre et du regard ». La seconde question (§ 2) porte sur l’« accrochage » : souci de la scénographie, répond Dezeuze, mais, contrairement aux postminimalistes, pas d’« orchestration spectaculaire ». La troisième question (§ 3) tombe à nouveau à côté : le processus de travail s’organiserait-il « autour de la distorsion de la figure géométrique » ?

« Je préférerai, objecte Dezeuze, le terme de “flottement” à celui de “distorsion” géométrique qui pose des problèmes d’optique où je ne me situe pas. La découpe des ciseaux et le trait jouent en terme de flottements alternés et réciproques. Cette découpe ne coïncide pas avec le dessin initial dans la mesure où elle permet, par sa netteté, de compenser le remplissage “béat” vers lequel tend tout collage. Ce dernier, taillé finement, se transforme en trait, chevauché à son tour par d’autres traits (au marqueur “feutre” cette fois). À travers ce jeu empirique et souple (j’ai allégé au maximum l’appareillage instrumental : gaze, ruban adhésif PVC, ciseaux et marqueurs), on peut entrevoir que la géométrie n’a pas valeur de loi et ne peut apparaître comme structure de renfermement pour une subjectivité en action ; car la subjectivité se dessine elle-même au fur et à mesure, au gré du geste et de certains hasards. Évidemment lorsque j’utilisais des lamelles de bois dont la découpe était déterminée par l’usinage, je pouvais avoir l’impression de moins de liberté à ce niveau et en faire porter le poids à la structure géométrique qui n’a rien d’oppressif. »

La quatrième question (§ 4) relève non moins du quiproquo. L’œuvre et le mur tendent à se confondre, n’y aurait-il pas entre eux une « relation “mimétique” » ? À quoi Dezeuze fait remarquer que le travail du trait et de la découpe déstabilise cette « relation “mimétique” » :

« À partir d’une abstraction classique à caractère “mimétique” (blanc sur blanc), s’effectue une suite de réactions “a contrario” par traits (de la découpe ou du marquage au feutre). Ainsi le dessin, tout en utilisant l’espace du mur, le met en état non pas d’exaltation mais d’instabilité. »

Arrive ensuite (§ 5) une longue digression sur le dessin. Il faut dire qu’une revue vient de consacrer une livraison entière à l’artiste, largement illustrée d’extraits de ses « Feuilles de carnets [19] ». Dezeuze revalorise cet « à côté de la peinture », refusant d’en faire un genre secondaire. Le dessin n’est pas un lieu de relance, mais un « chaos plutôt drolatique de par sa gratuité ».

On retiendra de ces premières déclarations deux points. Tout d’abord, le terme de « fresque » avancé par Prigent suppose que soit minée l’autonomie de l’œuvre : dans quelle mesure devient-elle tributaire de l’architecture, cela reste à déterminer. La sorte de no man’s land générique où se situent les Gazes, ensuite, rend quant à elle incertaine la référence centrale à la peinture et à sa déconstruction ; comme si le genre mineur du dessin venait travailler le genre majeur, tenu pour paradigmatique de toute représentation dans la vulgate déconstructionniste. Le matériau utilisé, lui-même, concourt à ce double déplacement.

Techniquement la gaze est un coton tissé, à trame régulière, mais lâche. Le maintien des fils à distance les uns des autres s’obtient par une armure [20] particulière, dans laquelle la chaîne est constituée de fils fixes et de fils de tour qui, à chaque foule, passent alternativement à droite et à gauche des premiers, ce qui permet de lier fortement chaîne et trame, alors même que le tissu n’est pas serré. La gaze se trouve dans le commerce en rouleaux de différentes largeurs. Différentes sortes sont utilisées en médecine (pansement, compresses) ; en petite largeur, les plâtriers s’en servent pour renforcer joints et fissures. Amidonnée elle prend le nom de tarlatane — dans celle-ci les couturiers découpent traditionnellement leurs patrons. C’est cette dernière sorte de gaze, disponible notamment en rouleaux de soixante centimètres de large, que Dezeuze a utilisée.

Dezeuze n’est pas le premier artiste à utiliser la gaze amidonnée. Noël Dolla [21] avait déjà présenté des rouleaux de tarlatane en 1971, à l’exposition Supports/Surfaces au Théâtre de Nice et à la Biennale de Paris, au parc floral de Vincennes. Ces rouleaux, descendant du plafond ou suspendus en vague dans l’espace, étaient ponctués de petits cercles peints, orange et noir, orange et bleu, etc. En 1975, il a exposé chez Paul Maenz, à Cologne [22], des rouleaux de tarlatanes teints par trempage, qui pendaient le long des murs avec le reste enroulé au sol, certains étroits, d’autres plus larges. En 1979, il réalisera encore toute une série de Tarlatanes teintées, repliées sur elles-mêmes inégalement de façon à former des sortes de polygones irréguliers au mur. Dans ces derniers travaux, la forme finale ne provient pas comme chez Dezeuze d’une découpe aux ciseaux, la couleur, obtenue par trempage, est plus opacifiante, la transparence, quant à elle jouant autant entre les différentes couches qu’avec le mur. Dolla qui a troué des supports, à différentes reprises — toile plastique (1969), palissade (1970) — ne l’a pas fait sur ses tarlatanes. Il n’a pas poussé l’exploitation de leur transparence au point où l’a fait Dezeuze, ni n’en a fait l’objet de découpes ni le support de traces proches du dessin, car tel n’était pas son propos.

Plutôt que « tarlatane », Dezeuze a choisi de dénommer « gazes » ses travaux de 1977-1981. Si le choix a le mérite stratégique de distinguer sa série des œuvres antérieures de son collègue, on notera cependant d’autres déterminations plus sémantiques. Entre « gaze » et « tarlatane » — deux mots dont l’étymologie est incertaine, arabe pour le premier, portugaise pour le second, d’après Warburg —, l’usage commun est plutôt flottant. Aussi faut-il compter avec la double connotation que Dezeuze a sans doute ressentie dans le mot « gaze » : le gaz, d’abord, c’est-à-dire l’état de la matière le moins solide, le plus immatériel qui soit ; to gaze, ensuite, c’est-à-dire « regarder », qu’en bon angliciste il ne manquait pas non plus d’entendre. Le mot choisi recèle ainsi, à peine chiffré, le programme de la série  : regarder quelque chose d’aérien.

À bien des égards, les Gazes semblent donc vouloir fuir la lourde matérialité de la peinture. C’est bien pourtant un programme centré sur celle-ci qui s’énonçait au départ. Dans un catalogue d’exposition de groupe, en 1968, Dezeuze énonce un credo qui ne fait que réactiver celui du formalisme :

« Car la peinture n’est pas un système d’information contenant la “réalité extérieure” et la “réalité intérieure”.
Elle n’est pas contenant et n’a donc ni contenu, ni message, ni signification [23]. »

Credo repris un an après dans le catalogue de La Peinture en question, une exposition qui préfigure Supports/Surfaces  :

« L’objet de la peinture, c’est la peinture elle-même et les tableaux exposés ne se rapportent qu’à eux-mêmes [24]. »

On ne rappellera pas ici les textes « terroricistes » qui martelaient le principe de la référence centrale de la peinture, et de la « coupure cézannienne ». En 1972, dans un numéro d’Artitudes que François Pluchart avait malicieusement intitulé « Cézanne, on s’en fout ! », Dezeuze pouvait encore rappeler — dans l’adversité — qu’au contraire il fallait « partir de Cézanne » :

« Comme l’a dit Pleynet, la peinture est faite de limites et du sens de certaines limites dans un code spécifique à notre histoire occidentale. Dans la mesure où Gina Pane et Journiac ne saisissent pas ces limites, ils échappent à la spécificité de la peinture et peuvent faire et font souvent, passez-moi le mot : du n’importe quoi [25]. »

Le formalisme de Dezeuze, comme celui de ses collègues de Supports/Surfaces, n’est cependant pas celui de Greenberg. Tout en accréditant pour certains le thème de la picturalité (painterly), leurs multiples excursi vers des pratiques artisanales — « rustiques », dira Jean Clair — ou ethnographiques, démontrent qu’ils investissent un lieu moins marqué et plus complexe que celui de la peinture dite analytique ou fondamentale qui, à la même époque, fleurit à l’échelle internationale, même si certains anciens supports-surfaciens se laisseront parfois annexer sous ce label [26] — ce qui ne fut pas le cas de Dezeuze.

Parmi les notes de Dezeuze [27], figure notamment des réflexions à propos d’une exposition de Robert Morris. Ce même artiste, dont il remarque les « formes molles » est encore cité dans la première ébauche [28] du texte qu’il signera avec Louis Cane dans le premier numéro de Peinture, cahiers théoriques. C’est indiquer une filiation qui se situe du côté du postminimalisme [29]. Marcelin Pleynet [30], à cet égard, ne s’est pas trompé : dans un texte qu’il donne sur l’œuvre de Dezeuze, en 1975, il rapproche ainsi Supports/Surfaces de Eccentric Abstraction [31], nom d’une exposition organisée par Lucy R. Lippard en 1966. Cette référence est importante si l’on compte que l’exposition en question s’ouvrit en septembre, peu avant le voyage de Marcelin Pleynet aux USA, voyage au retour duquel il donna pour les Lettres françaises, la revue communiste dirigée par Louis Aragon [32], une série d’articles sur l’art américain : début 1968, Dezeuze, qui avait remarqué ces articles [33], envoya à la revue Tel Quel, dont Pleynet était le secrétaire, un texte sur Duchamp et Pollock [34] ; c’est ainsi qu’il fut amené à rencontrer ce critique en avril de cette même année.

Dezeuze peut se reconnaître en partie dans le moment postminimaliste en raison de l’introduction de facteurs temporels, de l’accent mis sur le processus davantage que sur la forme. Il en est ainsi de la référence à Fontana (plusieurs fois cité), dont la toile tailladée apparaît comme un modèle direct pour un artiste qui, dès ses œuvres de 1967, comme en témoignent les Toiles ajourées qui précèdent les Châssis avec feuille de plastique tendue, ne va cesser de « trouer » la peinture. La référence à Pollock, que Dezeuze a l’occasion de rappeler à l’époque même de la première exposition des Gazes, va dans le même sens :

« [Il] a pensé le geste en terme d’énergie, d’énergie de pensée, et c’est cela qui est important : il n’y a pas un point focal avec du vide autour à garnir mais des aires « énergétiques » qui s’interfèrent. Cela n’a rien à voir avec l’esthétique de l’image ni même avec l’esthétique tout court [35]. »

Notons à ce sujet que « Pour un programme théorique pictural [36] », signé en 1970 avec Cane, sorte de vulgate de la déconstruction supports-surfacienne où étaient repérés les éléments constitutifs de la peinture, « outil, support, médium », tenait ceux-ci pour « surdéterminés » par un quatrième terme, « le geste ».

Dans l’entretien de 1978, nous apprenons de Chantal Béret (§ 2) que Dezeuze s’est situé par rapport aux « postminimalistes paradoxaux ». Le problème de la « théâtralité » (qui remonte à la condamnation des minimalistes, sous ce chef, par Michael Fried [37], dans un article de 1967 souvent cité) ressurgit. Si Dezeuze qualifie de « paradoxaux » les postminimalistes, c’est parce qu’il discerne chez eux deux valeurs contradictoires : s’ils essaient d’échapper à la monochromie et à la répétition, ce à quoi pour sa part il ne peut qu’applaudir, ils conservent cependant selon lui, dans leur art de l’installation, une forme de mise en scène (c’est-à-dire un espace focalisé comme un théâtre à l’italienne ou une peinture obéissant aux règles de la perspective).

Sur ce point, un autre « postminimaliste » nous vient à l’esprit, Richard Tuttle, dont certaines œuvres sont très proches de cette non-spectacularité recherchée par Dezeuze. Cet artiste américain a eu sa première exposition en France en 1972, dans la même galerie que celle de notre artiste. Il a alors déjà à son actif plusieurs réalisations dont il est difficile de penser qu’elles ont été sans influence sur les Gazes  : de petites pièces de bois peint (1965), des formes polygonales de tissu teinté fixées au mur (1967), des octogones de tissu ou de papier pareillement épinglés (1967). Il vient juste de commencer, en 1971, la série des Wire Pieces, petites installations murales réalisées avec des traits de crayon et du fil de fer, série qu’il poursuivra jusqu’en 1974. Ces dernières œuvres, sans conteste, sont les plus proches de cette légèreté, de cette place laissée aux vides, de cette discrétion, qui caractérisent les Gazes. Une légèreté à rapprocher de la « maigreur » que Dezeuze, en 1970, disait rechercher dans la peinture [38] :

« Prenons, par exemple, dans la peinture actuelle, cette maigreur (au sens de métier) qui est non-stratification, non point révélation d’une essence, mais désorganisation de toute machinerie (des couches “croustillantes” du médium) et, dans un sens, formulation qu’il n’y a ni deus, ni savoir-faire, ni sachant-tout ; ou alors tout simplement, ce débordement du tableau comme unité vers la question de la série et du nombre. »

Le débordement par la série et le nombre, n’étaient pas non plus sans quelques antécédents minimalistes ou postminimalistes. 1966 est aussi l’année où a lieu une exposition comme Systemic Painting [39], et la mise en série, déjà présente dans l’art systématique et le minimalisme, va continuer à être dans les dix années qui suivent la forme de maints travaux.

La dernière avant-garde

Dans l’entretien de 1978, Dezeuze, critique (§ 6) la boulimie de références culturelles étalée dans certaines peintures : outre Bioulès, il vise sans doute un autre de ses ex-collègues de Supports/Surfaces, Louis Cane qui, dans le catalogue de son exposition récente au Centre Georges Pompidou [40], fait pêle-mêle référence à Uccello, Giotto, Velasquez et Lascaux. À un tel « savoir confucéen », il oppose l’« ignorance taoïste ». L’entretien se termine par l’évocation du travail sur le motif de Vincent Bioulès qui expose au même moment sa série des fontaines d’Aix [41] et donne ainsi l’impression, selon ses propres dires, « de retourner sa veste [42] ». Dezeuze, à juste titre, fait remarquer que ce n’est pas une « volte-face », Bioulès n’ayant jamais quitté la pratique de la figuration. Marcelin Pleynet, qui commente au même moment, dans un long article, ce « retour », le rapporte encore au « retour sur la question de la modernité amorcé en France il y a une quinzaine d’années [43] ». La remise en question de l’avant-gardisme est éludée. Les signes d’un retour en force de la peinture figurative ne sont pas encore apparus massivement, et le changement de Zeitgeist du postmodernisme n’est pas encore nommé comme tel — le livre de Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne ne paraîtra qu’en septembre 1979 [44]. Les expositions enregistrant le changement dans l’air du temps n’auront lieu qu’au début des années 1980, les plus connues étant, dans l’hexagone, Après le classicisme (Musée d’art et d’industrie, Saint-Étienne, 21 novembre 1980-10 janvier 1981), Baroque 81 (ARC, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 1er octobre-15 novembre 1981), et au plan international, A New Spirit in Painting (Royal Academy, Londres, 1981) et Zeitgeist (Martin-Gropius-Bau, Berlin, 1982). En France, dans un premier temps, on a d’abord éprouvé le besoin de dresser le bilan de la décennie passée. Les trois volets de l’exposition Tendances de l’art en France [45], qui opposent — je simplifie — peinture-peinture, figuration narrative et art d’attitude, ménagent bien une troisième voie, mais celle-ci était connue au moins depuis la Documenta de Cassel de 1972 : aucune nouvelle perspective d’interprétation n’est ouverte.

En 1977, l’exposition de Bioulès, qui constitue un indice important du Zeitgeist à venir, n’est pourtant pas un signe isolé. Il en existe chez d’autres membres de l’ex groupe Supports/Surfaces. Louis Cane, dans l’exposition citée plus haut, transforme ses pans monochromes en figurations de pans de murs ou d’arcatures, en reprenant le cadre architectural de tableaux du quattrocento. Bernard Pagès et Claude Viallat libèrent une couleur de plus en plus luxuriante. Le premier, dès 1975, met en avant la richesse visuelle des conglomérats de maçonneries qui maintiennent ses assemblages, puis en vient à teindre ses mortiers ; il réalise parallèlement une première expérience de mur peint et entaillé [46]. Quant au second, il a remplacé le drap débité au mètre pour des supports d’usages variés de formes diverses — chemise, stores, parasols, toiles de tente, bâches, etc. —, le rectangle abstrait faisant place à des surfaces possédant une unité de signification différenciée et une orientation propre [47] ; sa peinture en demi-pâte, déplacée au pinceau sur la totalité de chaque élément, acquiert un côté de plus en plus charnel.

Les remises en question de leurs anciens partis pris, qui apparaissent de façon plus ou moins nette chez les artistes qui viennent d’être cités, sont contemporaines d’une crise de l’idée d’avant-garde qui peut se repérer tant dans le champ culturel que politique à la même époque. Entre l’après 1968 — c’est-à-dire durant la période des manifestations qui eurent lieu sous le label « Supports/Surfaces », et vit le début de l’aventure de la revue Peinture, cahiers théoriques — et 1977, que s’est-il donc passé sur ce double registre ? La position de Daniel Dezeuze entre 1969 et 1972 est assez proche de celle du groupe Tel Quel :

« Le mouvement idéologique était à ce moment-là très complexe et je me permets de vous renvoyer à l’éditorial du n° 1 de Peinture, cahiers théoriques où coexistent les références au P.C.F. en même temps que celles à la pensée-mao-tsé-toung : coexistence impensable, mais que nous arrivions à penser ! Quelques mois plus tard le mouvement de juin 1971 trancha cette ambiguïté…
Nous étions liés à Tel Quel par des liens amicaux car Tel Quel nous avait beaucoup aidé à lancer Peinture, cahiers théoriques […][48] »

Comme Cane et Devade, Dezeuze s’est inscrit au parti communiste[49] — en ce qui le concerne, à l’époque de la candidature de Jacques Duclos à la présidence de la République [50]. La coexistence des références dont parle Dezeuze se rencontre alors chez Sollers et les telqueliens. Ces derniers, en soixante-huit, se sont tenus à distance des événements [51]. Ils entretiennent des liens (réels ou illusoires) avec le Parti jusqu’en septembre 1971, où ils prennent prétexte, pour rompre, du refus de diffusion du livre de Macciocchi, De la Chine, à la fête de L’Humanité [52]. En mars 1972, paraît le premier numéro du bulletin du « mouvement de juin 1971 [53] ». Il reproduit une lettre, signée des membres de Supports/Surfaces [54], adressée à François Mathey, lui signifiant leur refus de participer à « l’Expo Pompidou ». Dans le numéro suivant, Dezeuze y signe un appel « Sur la responsabilité du militant », qui condamne la réaction du P.C.F. au meurtre de Pierre Overney, militant maoïste abattu par un vigile aux portes de l’usine Renault de Billancourt, le 25 du mois précédent. Cette livraison reproduit également la lettre de démission du Parti de Christian Prigent (animateur de la revue TXT, laquelle s’est alignée sur les positions de Tel Quel), qui donnera à partir de 1974 plusieurs textes sur l’œuvre de Dezeuze (dont celui sur les Gazes et le livre de 1983, tous deux cités plus haut). Le 22 juin 1972, Dezeuze[55], peu après Bioulès, démissionne à son tour de Peinture, cahiers théoriques, laissant Cane et Devade seuls maîtres à bord : la revue poursuivra son compagnonnage avec Tel Quel et, un temps, son aventure sinophile. C’est à la même époque que Dezeuze finit par s’éloigner du Parti [56]. Il n’ira pas militer aux côtés des maos, mais manifestera cependant au moins jusqu’en 1974, des sentiments pro-maoïstes : c’est ainsi qu’en février 1974, les trois piliers de Supports/Surfaces, Dezeuze, Saytour et Viallat, se retrouvant pour une exposition à la Maison de la culture de Rennes, signent une préface au catalogue qui se termine par la déclaration suivante :

« Conscients de la décadence des impérialismes, sur les bases de la pensée mao-tsé-toung, nous pensons que la peinture, petite vis dans un grand mécanisme, ne peut ignorer les mouvements de la matière dans ses multiples significations[57]. »

Même si l’on admet que le texte est dû au rédacteur de la plaquette, Christian Prigent — je pense pour ma part qu’il comporte au moins des passages de Dezeuze —, il semble bien que les signataires se soient prêtés à une surenchère « pour ne pas passer comme étant moins engagés que ceux de Peinture, cahiers théoriques [58] ». Mais ces derniers accents provinciaux sont déjà bien loin des années de fièvre militante parisiennes.

À l’occasion du vingtième anniversaire de Supports/Surfaces, que salue en 1991 une exposition au musée de Saint-Étienne [59], Dezeuze reviendra sur la notion d’avant-garde :

« Comme tous les mouvements qui se sont succédé depuis le début du siècle, nous étions animés par l’idée de l’avant-garde, ce qui implique que nous voulions nous constituer en groupe et imposer notre vision. Et, rétrospectivement, je crois qu’on peut dire que support(s)-surface(s) a été la dernière avant-garde. Cela apparaît à la fois comme exemplaire et comme un peu tragique, il y a dans ce groupe un certain romantisme, une utopie, que l’on ne retrouvera plus par la suite et qui, en eux-mêmes, constituent des curiosités esthétiques[60]. »

Remisant le romantisme du mouvement auquel il a participé au rayon des « curiosités esthétiques », y épinglant combien la vieille idée de l’avant-garde y brûle de ses derniers feux, combien elle supposait de raison prosélyte et satisfaite d’elle-même, Dezeuze fait alors preuve d’une belle ironie distanciatrice. C’est que comme tous les artistes, bon gré mal gré, il a été touché par le reflux de cette idée, reflux qui s’amorce dès l’après soixante-huit, et qui est à peu près partout enregistré à la fin de la décennie qui suit, tant sur le plan artistique que sur celui du maoïsme (a), et plus généralement du communisme (b).

(a) Comme le remarquent les rédacteurs du Débat, « le corpus des témoignages et reliques de la maolâtrie française est destiné à rester l’un des plus étonnants exemples de fabrication d’une mythologie collective de notre histoire. […] la particularité, somme toute rare, qui rend ce moment chinois si intéressant pour l’analyse, c’est qu’il a fonctionné comme un fantasme pur [61] ». Rappelons quelques moments de cette sinophilie ou maolâtrie. La Grande Révolution culturelle prolétarienne (G.R.C.P.) a été lancée par Mao Tsé-Toung en avril 1966. Le maoïsme français se constitue pour une grande part autour des élèves de Louis Althusser, à l’École Normale de la rue d’Ulm, et dès la fin de cette même année des exclus de l’U.E.C. [62], créent l’U.J.C.(M.-L.) [63]. La traduction française du bréviaire maoïste de la G.R.C.P., le Petit Livre rouge, est publiée en mars 1967. Dès 1971, Simon Leys, grand sinologue, amoureux de la Chine et observateur bien informé, dénonce l’horreur de la Révolution culturelle [64]. Dans le n° 2/3 de Tel Quel, mouvement de juin 1971, informations, Simon Leys et Louis Gernet, autre sinologue compétent seront renvoyés à leurs études [65] ! L’aveuglement politique sur lequel il nous est facile de dauber aujourd’hui ne doit pas masquer la fantastique opération de projection dans laquelle des intellectuels allaient chercher dans la culture chinoise ce dont ils avaient besoin pour leurs thèses, en un mélange constant de rêves sincères et de connaissances peu affermies. Nombres, le roman de Sollers paru en avril 1968 intègre déjà des idéogrammes chinois. Dans l’après soixante-huit Tel Quel met en place un groupe d’études théoriques, organisateur entre autres de conférences [66]. Lors de la première séance, le 16 octobre, la communication de Sollers se termine par un développement sur « la question orientale [67] », il y convoque tour à tour Ezra Pound et Eisenstein, mais aussi Rothko et Pollock. Se demander ce qu’est le « chinois en nous », remarque-t-il, est une autre façon d’interroger « ce qui n’est pas déjà parlé en nous ». Daniel Dezeuze [68] sera un auditeur assidu des séances du G.E.T. Avant même la rupture avec le P.C., Sollers [69] publie un commentaire d’un ancien texte de Mao sur la contradiction empli d’idéogrammes. Marcelin Pleynet [70], commentant l’exposition de Dezeuze chez Yvon Lambert, cite le système de classification de la civilisation chinoise, d’après Marcel Granet. Faisant suite aux prises de position de l’automne 1971, la sinophilie de Tel Quel s’étale au printemps 1972, avec la sortie d’un numéro double sur la Chine ; le bouquet (presque) final se situe en 1974 où, du 11 avril au 3 mai, Philippe Sollers se rend en Chine accompagné de Julia Kristeva, Roland Barthes, François Wahl et Marcelin Pleynet… En 1976, le son de cloche a complètement changé, Sollers [71] finissant par découvrir la réalité sinistre de la G.R.C.P., que ceux qu’il conspuait précédemment avaient dénoncée depuis belle lurette.

Le maoïsme de Dezeuze, à l’instar de celui des telqueliens, fut de la sorte un étrange mélange d’intérêt culturel et d’illusion politique. Pour la plupart des intellectuels maoïstes — maoïstes de cœur sinon d’action —, la Chine fut un pays davantage rêvé qu’observé réellement. Sous le terme de « révolution culturelle », beaucoup de glissements étaient possibles : en 1972, par exemple, le colloque sur Artaud et Bataille, organisé par Tel Quel, se nomme « Vers une révolution culturelle [72] ». Dezeuze, dont l’intérêt pour la culture chinoise ne s’est pas démenti, n’ira pas en Chine au cours de ces années de ferveur maoïste. Il ne finira par y aller qu’en 1987, à une époque où il aura eu le temps de dégriser.

(b) La désillusion, cependant fut loin d’être circonscrite au maoïsme. En décembre 1973, le texte russe de l’Archipel du Goulag est publié à Paris [73]. « En France, remarque André Glucksman, on en est encore à éplucher le marxisme pour trouver l’erreur, la virgule de travers chez Marx, Engels, Lénine ou Staline, qui expliquerait la catastrophe soviétique. Ce réconfort, l’erreur théorique dont il suffit de purger la doctrine pour repartir comme en 14, Soljénitsyne nous le refuse [74]. » Du côté de Tel Quel [75], on pense encore que le problème n’est pas celui du communisme mais du seul stalinisme ; mieux qu’il est possible de le déborder sur la gauche. En 1976, les Nouveaux Philosophes occupent le devant de la scène culturelle [76]. En décembre 1977, Philippe Sollers donne une conférence sur la « Crise de l’avant-garde ? [77] », et diagnostique la fin concomitante du marxisme et de la psychanalyse.

En 1978, Dezeuze n’est plus certes ni communiste ni maoïste. Cependant, il ne chante pas, à l’instar de Sollers, la mort des avant-gardes ; il n’a pas adopté le langage des Nouveaux Philosophes. Revenant dix ans après sur mai soixante-huit, il exprime la gêne de la situation en un étonnant déni, un oxymore selon lequel si l’utopie est morte, elle n’en est pas moins à retrouver :

« Dans une large mesure la nuit s’est refermée sur ces événements, c’est donc à tâtons que l’on doit reprendre la quête de ce qu’en un éclair il nous a été donné de pressentir [78]. »

En 1980, il éprouvera encore le besoin de marquer le pas :

« [La théorie marxiste] je ne crois pas qu’on puisse la reléguer au magasin des accessoires aussi facilement qu’une certaine mode le croit [79]. »

Il n’en demeure pas moins que les Gazes sont contemporaines de ce tournant des années 1977-1978 [80]. On peut, à suivre de près le discours contemporain de l’artiste, mesurer combien ses partis pris sont l’objet de réévaluations, juger à quel point, dans les Gazes, l’histoire se lit en filigrane.

Déliaisons théoriques

Les études de Lettres comptent pour beaucoup dans les rencontres de Daniel Dezeuze qui, installé à Paris à partir de 1967, va suivre de près l’activité intellectuelle de la capitale. Curieux de ce qui se publie, mais aussi, en amont, de ce qui se dit dans des séminaires ou conférences, il va y puiser une partie non négligeable de son miel. On a vu comment il était entré en contact avec Marcelin Pleynet. Celui-ci visitera son atelier, puis lui présentera Devade, à l’origine poète, et déjà proche de Tel Quel (dont il intégrera le Comité de rédaction en 1971). Dezeuze sera alors en position de servir de plaque tournante entre Tel Quel et les autres artistes qui vont former Supports/Surfaces. Louis Cane rapporte ainsi que c’est Daniel Dezeuze, rencontré en 1967, qui lui parle de Tel Quel et qui lui présente Marcelin Pleynet, l’année suivante [81]. La première mention d’un de ces artistes, par Pleynet, portera cependant sur Claude Viallat, dont Pleynet commentera les toiles sans châssis qu’il a pu voir chez Jean Fournier [82].

Encore aujourd’hui, Dezeuze juge que l’époque de la fin des années 1960 et du début des années 1970 fut celle d’une extraordinaire floraison de publications importantes dans l’ordre de la philosophie et des sciences humaines [83]. Il s’est nourri de ces lectures, et il en conserve un souvenir enthousiaste.

  1. Pratique-théorie. La première référence, partagée avec nombre d’autres membres de Supports/Surfaces, est celle qui est faite à Althusser, dont deux concepts sont cités plusieurs fois en 1970 [84] : la « pratique théorique » et la « coupure épistémologique » (ce second pris chez Bachelard). Chez Althusser, comme chez Mao-Tsé-Toung, la génération de Dezeuze trouvait une justification politique à la peinture. Elle se raccrochait à cette remarque que « dans certaines occasions les superstructures pouvaient influencer l’infrastructure ». Dans l’introduction de son ouvrage de 1971, L’Enseignement de la peinture[85], dont les supports/surfaciens partageront largement les analyses, Marcelin Pleynet donnera de cette conception, paradoxale du point de vue marxiste, une formulation adaptée à la peinture, en tant que « champ spécifique ». C’est encore Althusser qui dans un texte de 1964 avait rapproché la science marxiste de la science psychanalytique, et à Tel Quel, comme à Peinture, cahiers théoriques, et plus généralement chez Supports/Surfaces, on ne va pas perdre de vue ce lien. On en trouve encore l’écho dans l’entretien d’Art Press de 1978, où surgit (§ 5) une question sur les rapports entre œuvre, théorie et politique : « Dans vos derniers écrits, la fiction absorbe la théorie et efface le politique de son “poste de commandement”. Un autre effet du délié qui se repère là aussi ? » — question qu’il faut décortiquer précisément pour lui donner tout son poids historique. « Mettre la politique au poste de commandement » était un mot d’ordre largement admis dans les milieux communistes et gauchistes de mai 1968. Dans la pensée d’Althusser, au prix de quelques contorsions, « mettre la théorie à la même place » n’est pas contradictoire. C’est en raison même de son passé althussérien que Dezeuze peut reprendre cet amalgame facilement, et cette fois renvoyer dos à dos les deux attitudes, réglant en partie de la sorte ses comptes avec ce passé :

« Mais qu’importe ce qui est au “poste de commandement“, puisque c’est ce dernier terme qui permet à quoi que ce soit de surgir et de se présenter comme instance suprême, autour de laquelle se dégagent des tentatives de monopolisation, et qu’elle permet justement une position stratégique de contrôle et de sommation. Formule donc d’éveils d’appétits variés qui s’inscrit dans la notion de prise de pouvoir telle que peut la définir la théorie marxiste et ses alternatives culturelles : soit les pratiques signifiantes ne sont qu’une “petite vis dans un grand engrenage” (selon la formule consacrée) et le sujet se croise les bras devant des processus structurels qui le dépassent, soit nous assistons à une dynamisation à outrance d’un sujet artisan et garant d’un pouvoir qui l’absorbe dans un activisme de pitre hégélien capable de réunir thèse-antithèse-synthèse et de faire réponse à tout. Ainsi donc l’homme orchestre des théories totalisantes rythme son propre tintamarre sur les allées du pouvoir (”politique au poste de commandement”) et du savoir analytique (“discours analytique au poste de commandement”). D’où mon intérêt pour la fiction et tout ce qui désamorce ces processus discursifs […] »

Dans cette critique du « poste de commandement » on entend le mot d’un ancien élève d’Althusser qui dès 1974 diagnostiquait à son sujet un « discours de l’ordre dans le lexique de la subversion [86] ». En 1978, Dezeuze remet donc en question ce discours du maître et sa prétention à l’analyse fédératrice. Il refuse d’être la petite vis dans le grand engrenage. Il cherche à désamorcer les processus totalisants, d’où ce terme de « délié » qui vient fort à propos dans la bouche de son interlocutrice, qui l’emprunte à la livraison de Gramma [87] déjà citée. Car il s’agit bien de dénouer le système de pensée précédant. La psychanalyse, à cet égard, occupe une place ambiguë : en tant que partie intégrante du discours totalisant althussérien, elle est récusée : ce ne serait qu’un discours de remplacement qui viendrait une fois de plus au poste de commandement ; cependant c’est bien à elle qu’est empruntée la technique de la déliaison, même si cet emprunt est dénié. D’Althusser à Lacan, Dezeuze a suivi, sans que cela ne soit très explicite, le même chemin que les telqueliens ou même sur le plan politique, les maoïstes [88]. Pour tous, quoique de façons très diverses, c’est souvent le retour sur soi de l’analyse qui a pu permettre de sortir de l’impasse où la logique des discours théoriques avait pu conduire. En 1976 cependant, Dezeuze fait encore de la psychanalyse un rouage de l’althussérisme. Et ce n’est pas de sortie de la théorie qu’il s’agit, mais seulement de ses excès :

« Ce qu’on appelle “théorie” tient beaucoup plus de l’expérimentation que d’une adresse au prolétariat.
[…] Que la théorie ait pu devenir l’objet d’un hermétisme universitaire peut donc se comprendre aisément ; mais ce n’est pas une raison pour la liquider allègrement ou la méconnaître. […] la jonction de Marx et Freud qu’elle entamait dans le cadre de l’althussérisme reste un point fort et vivace envers lequel on ne peut biaiser. […]
La pratique politique, quant à moi, penchait plus vers la mystique que vers les chemins de la prise du pouvoir. […] À ce niveau la psychanalyse éclaire l’importance qu’il y a à démêler en premier lieu les divers éléments intériorisés en chacun de nous par la pression de l’histoire [89]. »

En 1971, Dezeuze traverse une crise dépressive, courte mais sévère [90]. Contrairement à Bioulès (qui avait déjà sauté le pas) ou à Cane (qui le fera en 1973), il n’entrera pas en analyse. Tout se passe comme si la déliaison avait été recherchée par lui du sein même de la pratique artistique, comme si c’était celle-ci qui avait opéré l’analyse, et permis la sortie du « terroricisme ». Les Gazes, si libres de toute attache discursive pesante, semblent en l’occurrence en avance sur le discours contemporain de leur auteur.

  1. construction. La seconde référence massive va à Derrida. Elle est partout et la « déconstruction » est le maître mot qui domine les textes de 1969 à 1971. L’homologation des thèses marxistes et de celles de la Grammatologie apparaît dans le recueil collectif Théorie d’ensemble publié par Tel Quel à l’automne 1968 [91]. On trouve sous la plume de Cane et Dezeuze l’écho direct de ce rapprochement dans le texte de mai 1970, déjà cité [92] ; ils y ajoutent du reste un autre coup de force, celui de transposer la déconstruction textuelle au domaine de la peinture, en homologuant l’espace de la représentation picturale au logocentrisme, tous deux assimilés à l’idéologie. « L’écriture généralisée (ou la peinture généralisée) semblait donc un concept à retenir [93]. » Leur texte milite pour une « science des surfaces » et le scientisme n’en est pas absent. On le retrouve dans le texte que donne Dezeuze à l’automne de cette même année, pour le catalogue de l’exposition collective à l’ARC :

« À la surface “à remplir”, à la mise en scène d’un “Logos” premier et d’un Nom propriétaire d’une parcelle du langage, s’opposent la répétition des vides, les signes en leur matérialité, le non-investissement des propositions par une signature.
La disparition du tableau ne s‘effectue qu’à travers l’insistance de ce qui a constitué et constitue le “tableau”. »

En mai 1971, dans le catalogue de sa première exposition chez Lambert, il publie un texte qui s’ouvre par une référence au stade du miroir de Lacan (constitution du je). Depuis Euclide, et sa géométrie ne concevant les figures que dans un espace homogène, le dessin est déterminé comme contour et contribue à fabriquer des essences. L’équivalent pour la peinture du « logocentrisme » derridien est donc l’ « euclidocentrisme » :

« L’histoire de la peinture en Occident, jusqu’à Cézanne, apparaît comme un affinage de la localisation des essences (figures, objets) et de leur fixation (fétichisme) […] Dans la mesure où le plan est le lieu de disjonction où s’embraye le symbolique et s’organise l’économie spéculaire qui constitue le Sujet, les structures euclidiennes viennent renforcer ce processus. Une Topologie ensembliste portant à la fois sur des structures non euclidiennes et sur l’espace dans et pour lequel se constitue le Sujet, peut permettre au corpus scripto-pictural de se redistribuer selon l’ordre des signifiants et de se transformer sur la base de sa matérialité [94]. »

(Air du temps, Jean Clair, dans son ouvrage de 1972, consacrera un paragraphe à « Topologie et psychanalyse [95] ».) En 1976, plus prudent, Dezeuze remarquera :

« […] j’ai évoqué en effet le terme de “topologie”, mais je n’ai pas une connaissance scientifique suffisante pour en saisir les implications profondes. Par ailleurs, il se peut, qu’à cet endroit, l’on puisse tomber dans un formalisme pire que celui qui a entouré, picturalement parlant, la géométrie traditionnelle. Donc je posais une question et c’est par la pratique que j’essaie de répondre [96]. »

En doutant de l’homologation de la topologie picturale à la topologie comme science, il défaisait ainsi quelque peu le lien originaire unissant l’espace de ses œuvres à celui de la déconstruction.

  1. Anaphore. C’est que dès 1971, il s’éloigne en partie de vues strictement analytiques, la déconstruction étant davantage prise comme procédé productif. C’est du moins la conséquence que semble en tirer Pleynet qui parle à ce propos d’un « nouveau grand espace », comme si la positivité de l’œuvre produite et à produire devait l’emporter sur l’analyse du double terrain clos du logocentrisme et de la scène de la représentation picturale. On se souviendra à ce sujet que Vicente Huidobro, poète chilien sur lequel Dezeuze fit sa thèse, est l’auteur d’un manifeste créationniste [97]. C’est chez Julia Kristeva, autre autorité influente de ces années d’effervescence intellectuelle — dont les travaux se sont moins laissés résumer par quelque formule — qu’il faut aller chercher la théorie de ce créationnisme, énoncée en l’occurrence dans la langue de la sémiotique alors naissante. Si elle est citée dès 1970 à propos des « pratiques sémiotiques [98] », on retiendra surtout son chapitre sur le geste dans Shmeiwtikº, son premier ouvrage publié dans la collection « Tel Quel  », à l’automne 1969. Celui-ci est encore donné en référence par Dezeuze au début de 1978, dans son entretien avec Pleynet [99], juste après qu’il a commenté la gestualité chez Pollock. Il y a aussi chez Kristeva, qui a suivi de près l’élaboration du roman de Philippe Sollers Nombres[100] (publié peu avant mai soixante-huit), de nombreux développements sur la numération [101]. Dans celle-ci, elle voit un système de signes antérieurs à l’écriture, le fait de disposer des signifiants avant même d’y placer des signifiés ; elle va pour l’occasion chercher ses exemples dans les cultures orientales. Sollers, en parsemant son roman d’idéogrammes chinois, a placé son lecteur occidental devant des « chiffres », des « différentiels vides ». Kristeva dessine ainsi une sorte de théorie de la production textuelle comme création. Créer du sens, de ce point de vue, c’est, en un geste qu’elle qualifie d’anaphorique, disposer des signifiants dans l’espace, le scander, le nombrer. On entend un écho de ces thèmes chez Dezeuze, dès 1970, lorsqu’il parle du « débordement du tableau comme unité vers la question de la série et du nombre [102]. » Il est vrai qu’il a aussi sur le sujet toute une culture qui lui vient du minimalisme et de l’art conceptuel. (On a cité plus haut l’exposition Systemic Painting). Parmi les « postminimalistes paradoxaux », il nomme Mel Bochner [103], qui (de façon très didactique par rapport au sujet qui nous occupe) conçoit à l’époque des installations dans lesquelles il ponctue l’espace de cailloux ou y inscrit des mesures. Une photographie publiée en décembre 1972 montre cet artiste curieusement couché au sol pour disposer ses marques, comme si, dans sa numération, tenue pour « conceptuelle », il était bien question de geste [104]. Chez Dezeuze, à l’époque, la gestualité et le nombre sont encore cependant raccordés sans continuité véritable. C’est encore comme il l’avoue malgré lui la série qui fait nombre. Quant au geste il est davantage dans des peintures à surface transformable que dans l’exécution :

« La gestualité dans mon travail ? Je l’ai ressentie dans un premier temps en termes de tension, rigidité, extensibilité (formats-gigognes), puis souplesse (lames de bois) et cassure [105]. »

Les Gazes de 1977, au contraire, portent au plus haut niveau cette gestualité, non pas celle du dripping ou de l’Action Painting, mais celle, plus discrète, de la découpe et du marquage, gestualité que le déploiement et la dispersion dans l’espace décuplent. À cet égard, pour qualifier l’art des Gazes, l’anaphore de Kristeva s’offre a posteriori comme une des dénominations les plus justes. Quant à la dispersion murale des Gazes, le terme de « dissémination », titre du dernier ouvrage que Jacques Derrida [106] publie dans la collection « Tel Quel », au moment même où le maoïsme du groupe l’éloigne de ce dernier, il prend aussi son départ du roman de Sollers, Nombres. Le livre du philosophe s’ouvre par une considération sur le corps du lecteur qui, face au roman, ne peut trouver sa place. Dezeuze, quant à lui, souligne que dans les Gazes, « ce qui est en jeu, c’est l’impossibilité faite au regard de “faire prise” [107] ». Le texte derridien, collage de citations, inclut vers son milieu un extrait du Coup de dé de Mallarmé, poème qui est aussi, en tant que construction anaphorique, une théorie en acte de la création poétique elle-même. Et l’on se souviendra ici — toujours en pensant aux Gazes — que, dans ce geste créatif, « les blancs assument l’importance ».

  1. Écriture-peinture. Ce travail d’espacement et de dispersion non linéaire trouve son principal appui dans la Grammatologie de Derrida et dans le concept d’écriture généralisée que le philosophe oppose au logocentrisme. Daniel Dezeuze, s’y réfère explicitement à plusieurs reprises. Là aussi, il opère un déplacement, en exportant le concept derridien d’écriture dans le champ de l’art. Il faut, comme il l’écrit en 1971 :

« Envisager l’art comme […] écriture, et non plus comme artifice [108]. »

L’écriture est encore au centre de la livraison de Gramma [109], déjà citée, consacrée en 1977 à Dezeuze. (Cette revue manifestait par son titre sa filiation derridienne.) Il est à remarquer que des 7 numéros publiés entre 1974 et 1977, c’est le seul consacré à un artiste. Les trois commentateurs y vont donc de l’amalgame écriture-peinture : « Écrivant, le peintre pose ou repose à sa manière la question d’écrire… » (Alain Coulange), « Le dessin fait écriture de par sa finitude qui ponctue et découpe l’espace… » (Christian Prigent), « écrire c’est d’abord marquer, tracer, creuser, gratter, graver, inciser, inscrire, sculpter… » (Christian Limousin). Cependant, ce n’est pas à la peinture que la revue est consacrée, mais bien aux dessins de Dezeuze. Dans l’entretien d’Art Press, l’année suivante, il émet quelque réserve à l’égard du genre (§ 4) :

« En ce qui me concerne, ce que j’ai pu dessiner revient à une simple expérience, celle qui m’obligea à réunir des “feuilles de carnet” pour creuser avec les gens de Gramma cette question de l’écriture-peinture qui allait faire l’objet d’une publication. Ainsi mes dessins sont venus sous les projecteurs, pour ainsi dire, et je souhaite qu’ils en soient bien loin maintenant ; car rien de plus désolant finalement que ces recueils qu’on appelle “graphics” et qui évacuent de par leur constitution exhaustive le fond chaotique qui caractérise le dessin — et sous-tend le langage pictural.
Oui, le dessin c’est le chaos avant, pendant et après… Si vous en faites un lieu de “relance”, vous lui accordez une finalité qu’il n’a sûrement pas. Chaos donc plutôt drolatique de par sa gratuité, son irrévérence, sa fuite en avant qu’on ne cesse d’interroger. »

Cette réserve sera exprimée clairement comme défiance de l’écriture-peinture d’obédience derridienne, dix ans plus tard :

« Pour en revenir au dessin, cette question a beaucoup souffert de l’inflation de cette notion d’écriture généralisée qui émanait des travaux de Derrida ou de Barthes. Dans ce concert, à travers la calligraphie, la gestualité, l’inscription du corps, le dessin se reliait naturellement à l’écriture mais aussi pouvait s’y diluer, ce qui m’a fait dire que “si tout est dessin, rien n’est dessin” [110]. »

Les premières Gazes sont contemporaines de ces « Feuilles de carnet ». Le glissement qui s’y ressent, de l’écriture-peinture au dessin, ne se limite cependant pas à cette publication, ni n’est non plus un épiphénomène ponctuel. Dans toutes les œuvres antérieures, des Châssis vides, et des Échelles, aux Plaquettes pyrogravées, en passant par les Colombages et les Triangulations, le dessin est toujours présent, soit comme procédure directe soit comme prégnance visuelle graphique des pièces. Contrairement à Devade, Viallat ou Bioulès, Dezeuze n’a pas choisi la voie de la couleur pour relancer la déconstruction ou en sortir :

« Dans les années 70 il y eut en France la découverte du grand chromatisme américain, celui de la « postpainterly painting ». Dans le cercle restreint où j’évoluais la couleur fut alors programmée comme un mot d’ordre des plus impératifs. C’est à ce moment précis que j’opposais aux grandes plages colorées de mes collègues de minuscules plaques de terre cuite et enfumée […]
Ainsi c’est en teinture et en « lisière » que j’ai joué la couleur, sans superposition puisqu’il y avait absorption par capillarité, sans focalisation puisqu’un excentrement permanent vers les rebords était exercé.
La couleur est l’apparence pure ; elle fonctionnerait plutôt du côté de l’irisation. On ne peut en faire un bloc cerné, celui de la peinture monochrome [111]. »

Dans les premières Gazes, mais aussi dans les dernières, la couleur reste discrète, passée légèrement, teintant à peine, plus proche du lavis que de la peinture. Elle est passée sans repentir. Comme la découpe, et les autres procédures de marquage, elle obéit à un impératif de rapidité d’exécution dont le modèle serait celui de la calligraphie chinoise. « Les idéogrammes s’imposent avec tout le poids de leur présence physique. Signes présence, et non signes-outils, ils frappent par leur puissance emblématique et le rythme gestuel qu’ils comportent [112]. » Le calligraphe et le peintre ne se servent-il pas du même instrument, le pinceau ?

  1. Vide. La maolâtrie française des années 1966-1975 ne doit pas masquer l’intérêt réel que des intellectuels ou des artistes ont alors porté à la Chine et à sa culture. Pour beaucoup, le moment politique passé, cet intérêt n’est pas retombé. Dans la Grammatologie, Derrida avait déjà eu l’occasion de se pencher sur l’écriture chinoise. On a noté plus haut le cas de Sollers, féru d’idéogrammes. Cane et Devade, dans Peinture, cahiers théoriques, publieront deux textes importants de théorie picturale chinoise, la traduction par Pierre Ryckmans des Écrits de Shi Tao[113], et la réédition de la traduction de Raphaël Petrucci, des Enseignements de la peinture du Jardin grand comme un grain de moutarde[114]. Le goût de Dezeuze pour la Chine dépasse non moins le moment maoïste, il ne se limite pas non plus à la seule problématique de l’écriture. Dès 1969, il parle de « l’afflux oriental (calligraphie, peinture chinoise) [115] ». En 1978, il prononce une conférence sur « La notion de non-représentation chez Tchouang Tseu [116] » : le Wou Wei, le « ne pas intervenir dans le cours naturel des choses », s’oppose au créationnisme [117] ; la transcendance du Tao tenu pour irreprésentable débouche sur « cette esthétique de l’ineffable que tous les courants mystiques, quels qu’ils soient, partagent » ; l’iconoclasme contemporain, lui, « confond l’impossibilité de figurer la transcendance avec l’impossibilité de la fréquenter ». La notion d’hétérogène transcendantal, ignorée par l’Occident, pourrait réactiver les pratiques signifiantes actuelles :

« La notion d’une énergie fluctuante, contenue dans la philosophie de Tchouang Tseu, peut relancer au niveau d’un corpus pictural en voie de ressassement, un nouveau geste et un nouvel imaginaire qui contribueront à poursuivre cette histoire fragile et si menacée de l’homme intérieur. »

Dezeuze évoque au passage la notion de vide en peinture qui ne prendra corps que dans le taoïsme tardif influencé par le bouddhisme. C’est alors — notons la contemporanéité — le thème central du livre que François Cheng [118] prépare sur l’esthétique chinoise. En 1980, il revient sur la « voie » chinoise :

« La “tabula rasa” picturale que j’ai expérimentée aurait pu me mener à une impasse. C’est par chance que je fus amené à expérimenter une autre voie et à approfondir ce vide sensible que la vieille Chine avait érigé en principe universel. La trame large des claies, ou fine des ajourements, joue avec cette notion de vide générateur de sens, mais au point même où ce sens n’a pas encore pris la tournure d’une profération. Finalement en face d’un tableau nous voyons l’être (la substance), mais c’est en fait le non-être qui nous regarde [119]. »

Peu regardant sur l’orthodoxie de son interprétation, il mélange allègrement le vide taoïste avec le non-être de la philosophie occidentale, et termine par un détournement d’une formule de Lacan. On commence à sentir combien sa boîte à outil intellectuelle est au service de son art. Ce n’est plus le support de la peinture qui est en jeu, au sens où le rouleau, en 1970-1974, apportait de Chine une autre topologie. Entaillées, évidées, perforées, espacées, les Gazes sont de part en part structurées par le vide. La référence chinoise, renouvelée, vient sur le sujet conforter a posteriori une poétique du vide à l’œuvre, du reste, depuis 1967 — tout en y ajoutant des considérations sur la transcendance hétérogène, qu’il reste à éclaircir. Cette référence est d’autant plus active qu’elle permet de fédérer et de réorienter simultanément plusieurs thèmes passés. Il en est ainsi du nombre, qui réapparaît dans maintes Gazes, comme seule inscription. Dans l’entretien d’Art Press, Dezeuze place ces œuvres « sous le signe topographique de la Marelle du grand Yu », reproduite en marge [120]. Il en est de même du thème de la dépersonnalisation de la création qui, en 1968 s’enracinait dans ses lectures structuralistes (mort de l’auteur, chantée par Barthes), et se trouve pointé maintenant sous les atours du non-savoir, sous-tendant le Wou Wei.

  1. Estrangement. Replacée dans le discours de la déconstruction de l’idéologie occidentale, la sinophilie n’est qu’un cas — sans doute le plus aigu — d’une recherche de l’exotisme qui n’a rien de touristique. Dezeuze indique ainsi, en 1971, tout un horizon, qui va du Mexique, visité en 1964 et 1965, à l’Orient en général :

« C’est dans un même mouvement que ce retour critique nous amène aux “rebords” extérieurs de cette culture occidentale vers les “autres” cultures.
Certaines pratiques du groupe Supports/Surfaces peuvent en effet se référer aux pliages et déploiements des surfaces souples chez les peuples nomades, aux graphies orientales, à la sparterie indienne, aux quipus incas, aux idéogrammes chinois [121]. »

Il répétera encore en 1976 :

« Le musée de l’Indien, à New York, bien qu’il sente le rempaillage, m’avait autant, si ce n’est plus, intéressé que le Musée d’Art Moderne et autres Whitney de cette même ville [122]. »

Au cours des années Supports/Surfaces, l’exotisme permit d’introduire des procédures qui par leur étrangeté venaient déconstruire la technique picturale traditionnelle : supports, médiums, outils et gestes. Au fil du temps, il est devenu un procédé d’« estrangement » plus personnel :

« L’intérêt que je porte à la peinture chinoise me donne la liberté de prendre un point de vue extérieur à l’histoire de notre art et d’en faire des estimations synthétiques. Quand bien même elles peuvent sembler abruptes, elles s’appuient sur une tentative modeste de comparer deux sensibilités différentes qui m’émerveillent [123]. »

  1. Le Gai savoir. En 1978, les références althussériennes, derridiennes, kristeviennes, barthésiennes, telqueliennes, et sinophiles ont toutes été retravaillées au gré d’un contexte qui a profondément changé. Il faut de plus ajouter à la complexité de l’univers intellectuel de Dezeuze, le caractère quelque peu éclectique de ses références. Il l’explique aujourd’hui en notant combien, après le meurtre de Pierre Overney qui donna un coup d’arrêt au gauchisme, la recherche de « bouées théoriques » devint importante [124]. Mais c’est aussi l’ensemble de la production intellectuelle de son époque dans laquelle il va puiser. Son exotisme, par exemple s’est tout autant nourri à Claude Lévi-Strauss, qu’il a lu très tôt, et quand il parle d’euclidocentrisme, il passe volontiers sous couvert de « rapport mimétique », du stade du miroir de Jacques Lacan au « désir mimétique » de René Girard [125]. Lacan ayant mis à la mode la topologie : il s’y réfère, mais le sujet lui paraissant ardu, il va voir le mathématicien André Lichnerowicz [126]… Le signe le plus tangible de cet éclectisme est sans doute, chez lui, le cheminement de serpent de mer de la pensée deleuzienne. En 1968, étudiant en Lettres à la Sorbonne, il a participé à l’occupation de l’Université. Il s’est engagé aux côtés du Comité révolutionnaire d’agitation culturelle (animé par Georges Lapassade [127]). Il écrit alors un texte [128] qui ne propose rien moins que de subvertir le marché de la peinture en l’inondant de produits identiques réalisés en série. (Il milite donc, alors, en un lieu où régne l’idéologie de la créativité, plus libertaire que léniniste.) Ce texte qui brandit la répétition comme un flambeau, directement influencé par les manifestations de Buren, Mosset, Parmentier et Toroni, l’année précédente, contient aussi des citations de Gilles Deleuze entre guillemets :

« Nous pouvons voir se dessiner actuellement une pensée et un art où s’opère un glissement de la notion d’art vers un champ nouveau “d’individuations impersonnelles”, “des singularités pré-individuelles”, dans lequel l’artiste, comme être unique et désigné est aboli. »

Dans son texte sur Pollock et Duchamp [129], il avait déjà parlé de « symptomatologie » :

« Pour Duchamp, la peinture devient une symptomatologie où est posée la question des forces qui accaparent l’art, qui à travers lui s’expriment et font de lui un symptôme, un signe révélateur. »

Toutes ces citations pourraient provenir de la Logique du sens [130], mais le livre ne sera publié qu’en 1969 ; Dezeuze, attentif, les a prises dans un entretien de Deleuze avec Jean-Noël Vuarnet publié antérieurement [131]. Il faut ajouter que, simultanément, Deleuze publia un second livre, Différence et répétition [132], thèse nietzschéenne où il est question de la « répétition qui sauve », et qui éclaire non moins le texte du CRAC. En 1971 [133], un texte daté de l’été, porte encore des traces du premier livre cité. Quelques mois avant, cependant, Dezeuze a publié un autre texte où il critique ce même nietzschéisme :

« L’exercice de la puissance propre de répétition se verse volontiers au compte d’un anti-hégélianisme généralisé. Si une certaine dénaturation de la dialectique se trouve chez Hegel (Marx et Engels travaillant à la remettre en place), elle ne doit pas justifier ces entreprises métaphysiciennes de censure de la pensée dialectique qui, cherchant prise sur la critique nietzschéenne du négatif qu’elles déforment, avancent une conception répétitive de l’Histoire et de ses phénomènes, (l’Histoire comme diminution, augmentation, répétition[134]. »

Deleuze est alors abandonné pour un retour à la dialectique hégélienne. Il faut ici transposer la remarque sur l’ambivalence politique faite plus haut. De la même façon acrobatique qu’on pouvait être en même temps membre du P.C. et maoïste, on pouvait donc tout à la fois tremper dans le bain althusséro-derridien telquelien et ressentir simultanément quelque attraction pour le camp libertaire nietzschéen. En 1978, dans l’entretien d’Art Press, il semble bien que « le pitre hégélien capable de réunir thèse anti-thèse-synthèse et de faire réponse à tout » ait définitivement perdu la partie. Par leur accrochage, leur légèreté, hors de toute déclaration tonitruante, les Gazes adoptent une philosophie plus proche de la danse méditerranéenne que des brouillards théoriques du Nord.

  1. L’Expérience intérieure. Dès 1976, Dezeuze remarquait à propos de la surdétermination — encore toute fraîche — des pratiques artistiques par le discours politique :

« La pratique politique, quant à moi, penchait plus vers la mystique que vers les chemins de la prise du pouvoir. […] À ce niveau la psychanalyse éclaire l’importance qu’il y a à démêler en premier lieu les divers éléments intériorisés en chacun de nous par la pression de l’histoire [135]. »

C’était, paradoxalement, verser ce moment au compte d’une expérience intérieure et d’une mystique athéologique. Il n’est pas le seul des protagonistes de cette époque à opérer cet aggiornamento interprétatif. Le maître livre en la matière, L’Ange, de Guy Lardreau et Christian Jambet [136], qu’il assure ne pas avoir lu [137], venait de paraître : Lin Piao n’avait été qu’une « représentation qui était l’effet de notre vouloir, de notre désir : un phantasme, proprement » y était-il affirmé ; le promoteur du Petit Livre rouge n’était pas en question, « mais de ce que tout cela nous fut d’un nouvel évangile »… Parallèlement, la référence à la religion tendit à envahir certaines publications. Dès 1974, Sollers publie un premier extrait [138] de Paradis (le livre ne sera livré qu’en 1981). Texte sans ponctuation, sorte d’écriture automatique charriant aussi bien des souvenirs d’enfance que des scènes pornographiques ou des références religieuses. En 1977, à l’occasion de sa conférence sur la crise de l’avant-garde, il ironise sur la peur du mot « religion » [139]. La création du C.I.E.L., Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés [140], en janvier 1978, ajouta à la tendance. Le n° 12 de Peinture, cahiers théoriques, publié en janvier 1977, contient des textes de Cane et de Devade qui témoignent du même climat. Le grand Autre, emprunté à Lacan, y est invoqué pour parler de la peinture classique qui comble par son simulacre le vide au cœur de la représentation, ce « grand absent qui a la figure de Dieu [141] ». C’est dans ce contexte qu’en 1980 Dezeuze fait une mise au point sur le « retour au sacré » :

« Le « retour au sacré » est un terme journalistique, mais dans le meilleur des cas c’est l’analyse du refoulé religieux et d’un certain type de subjectivité. C’est une de mes préoccupations dans mon travail que celle de préserver l’expérience mystique sans qu’elle soit redevable d’une transcendance quelconque. Dès 70, la lecture de la Somme athéologique de G. Bataille m’avait laissé entrevoir qu’il y avait une nouvelle économie libidinale à instaurer et à jouer dans le champ pictural [142]. »

Cette expérience intérieure est donc celle de Bataille. Quant au matérialisme revendiqué, il se formule en référence à la pensée chinoise qui, sur ce point, vient en avant — au détriment du marxisme, sans doute :

La peinture chinoise (inspirée par le tch’an) en appelle à l’intuition, à une compréhension subite où se cristallisent dans un éclair les données visuelles. J’aimerais souvent rejoindre l’expression « horizontale » de ce matérialisme allègre [143]. »

De « l’expérience originelle » de Blanchot, ou de « l’expérience des limites », dont parlait Sollers dans une conférence de 1965 — mot d’ordre repris par Supports/Surface sous la forme de la peinture conçue comme exploration de sa propre clôture — à « l’expérience intérieure » de Bataille, que Blanchot commente comme « expérience-limite [144] » (notons la nuance), le glissement est patent. Comme le répète encore Prigent en 1976, la peinture « est faite de limites [145] ». Mais entre l’exploration didactique de la clôture des années Supports/Surfaces et « l’expérience des limites » qui s’autorise de Bataille et du Tao, la différence n’est pas mince. Bataille n’est pas un repère nouveau. On pourrait même dire qu’il est parmi tous ceux que nous avons évoqués celui qui perdure, qui résiste le mieux. À Tel Quel, contre le surréalisme, on a fini par imposer les références légendaires de Mallarmé, Joyce, Artaud et Bataille. Le colloque sur Artaud et Bataille, organisé en 1972 par Sollers, marquera l’acmé de cette redistribution des étoiles littéraires. Avec Bataille, la théorie althussérienne du « procès sans sujet » en prend un coup (Kristeva, lors du colloque, y substitue la notion de « sujet en procès »), l’importance donnée à Bataille allant alors de pair avec ce que l’on nommera bientôt la « question du sujet ». Ajoutons enfin que l’installation en province, en 1973, a sans doute favorisé chez Dezeuze la conversion vers cette « expérience intérieure » : la peinture, dès alors, ayant davantage de chance d’émaner de l’espace privé de l’atelier que de régner d’emblée dans l’espace public du débat parisien.

  1. Ventiler l’architecture. Depuis son mémoire sur l’urbanisation de Mexico, en passant par son texte de 1971 sur le système euclidien, Dezeuze n’a pas cessé de s’interroger sur l’espace. Dès les Châssis vides, de 1967, et avec toutes les œuvres en formes de grilles, extensibles ou non, il a ajouré la peinture, l’a trouée, comme si cette effraction devait abattre le « mur » de la représentation. L’entretien d’Art Press, en 1978, commence encore par une histoire de fresque et de pariétalité. On trouvera énoncé par lui plus tard le sens de ce qui dans cet échange tourne au quiproquo. Il reprendra alors son raisonnement depuis le début, depuis sa théorie du rapport mimétique :

« Si l’on envisage le plan vertical comme lieu de projection ou d’expérience spéculaire, notre architecture devient un singulier dispositif propice à la réexpérimentation du stade du miroir décrit par Lacan.

Au monde “pariétal” à l’enseigne duquel nous sommes logés, pour ainsi dire, s’oppose celui de peuples sans architecture, de cultures nomades en particulier. […]

La galerie ou j’exposais à Paris en 1976 [il s’agit d’un lapsus, l’exposition en question est celle de 1977] était une parfaite boîte architecturée que je pus transformer en camera obscura, mais violemment éclairée et blanche. […]

J’ai toujours cherché à alléger la peinture [146]. »

Alléger, c’est-à-dire désorganiser, trouer, disperser la peinture en tant qu’écran opaque et focalisant. Désorganiser « la machinerie (des couches “croustillantes” du médium) ». Le paradoxe est bien que partant d’une analyse de la matérialité de la peinture, celle-ci tende, dans les Gazes, à devenir quasi immatérielle. Alléger, ou mieux encore « ventiler », comme Dezeuze le dit dans un texte contemporain de ces œuvres :

« Mes travaux les plus récents portent sur le dessin, et un de ses corollaires le découpage, comme point de condensation et, simultanément, de dispersion de l’architecture où il peut être appelé à se situer.
Dans cette mesure, un dessin n’est pas un projet vers une réalisation future mais ce qui “ramasse”, en le concentrant, le passé d’un lieu réel ou symbolique pour mieux le ventiler dans la saisie du regard présent [147]. »

***

En 1977, l’althussérisme de Dezeuze est largement démilitarisé. Dans le couple pratique-théorie, le premier terme vient en avant. Après les temps d’effervescence militante, est venu celui du repli à l’atelier. Le derridisme a perdu sa place centrale. La déconstruction didactique, la critique du logocentrisme, s’est effacée au profit de la production d’un espace ouvert, défocalisé, librement investi. Le procès créatif l’emporte sur le scientisme de l’analyse sémiotique. Le « créationnisme », la production positive d’artefact, relèguent au second plan les lourds appareils critiques. Malgré Hegel, Nietzsche refait surface. L’examen des limites de la peinture, en tant que paradigme de la clôture idéologique de la représentation, s’efface au profit de l’expérience intérieure. Au registre du matérialisme, le matérialisme chinois et la mystique athée viennent occuper le lieu, tenu auparavant par le marxisme-léninisme. Les Gazes appartiennent à ce temps de remise en cause des références culturelles de l’artiste, lesquelles sont moins contredites de front, qu’investies de nouvelles significations. Elles en sont la « symptomatologie » (pour reprendre le vocabulaire utilisé par l’artiste en 1968). Elles sont le bel aboutissement d’une longue mais sûre entreprise de contestation de tous les enfermements, du mur de l’architecture, des plans épais de la peinture, comme des discours ligneux des théories à prétention totalisantes. Opération stratégique de ventilation, elles apportent à l’œuvre le courant d’air frais qui lui permettra de rebondir.

Notes

L’auteur remercie Daniel Dezeuze pour l’ouverture de son atelier, les entretiens accordés avec patience, les documents transmis et sa lecture attentive, Karen Dezeuze, pour son accueil amical.

[1] . Principales présentations des Gazes dans le cadre d’expositions personnelles de l’artiste, de 1977 à 1981 : galerie Yvon Lambert, 25 novembre 1977-… ; Artra/Studio, Milan, 3 avril 1978-… ; galerie Rudolf Zwirner, Cologne, 10 mai 1978-… ; Fondation Marie-Louise Jeanneret, Boissano, 1978 ; galerie Albert Baronian, Bruxelles, 5 décembre 1978-… ; Musée du Parc de la Boverie, Liège, 9 novembre-9 décembre 1979 ; galerie Artline, La Haye, 13 janvier 1980-… ; Musée d’art et d’industrie, Saint-Étienne, mars-avril 1980 ; Musée de l’abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne, 10 mai-15 juin 1980 ; galerie Yvon Lambert, 9 mai 1981-… ; la dernière exposition correspondant à l’arrêt de la production des Gazes. Parmi les expositions postérieures à cet arrêt : Artra/Studio, Milan, 24 février 1982-… ; galerie L’Hermitte, Coutances, 25 mars-18 avril 1983 ; ibidem, 27 avril-30 mai 1985.

[2] . On trouvera des reproductions des œuvres évoquées dans ce paragraphe et le suivant, dans les ouvrages suivants : Gramma, n° 6, Pont-sur-Yonne, 1977 ; catalogue Daniel Dezeuze, Saint-Étienne, Musée d’art et d’industrie, 1980 ; Christian Prigent, Comme la peinture (Daniel Dezeuze), Paris, Yvon Lambert, 1983 ; Daniel Dezeuze, Paris, S.M.I., Art/Cahier n° 9, non daté [1989] ; Joëlle Pijaudier, Alfred Pacquement, Olivier Kaeppelin, Daniel Dezeuze (catalogue) Paris, Flammarion, 1989 ; catalogue Daniel Dezeuze, Nîmes, Carré d’art/Arles, Actes Sud, 1998.

[3] . Espace d’art contemporain du château d’O, Montpellier, octobre-novembre 2003. Ces Poulies remontent à 1991.

[4] . Dix échelles provenant de cet ensemble appartiennent depuis 1989 à la collection du FRAC de Bourgogne. Cf. ma notice in catalogue Fonds régional d’art contemporain de Bourgogne 1984-2000, Dijon, 2000, p. 140.

[5] . Désigner Marc Devade comme « le penseur de Supports/Surfaces » (introduction du catalogue Devade, Tourcoing, Musée des beaux-arts/Coblence, Ludwig Museum, 2003) est abusif, non pas que Devade n’ait été un « penseur », mais aucun artiste n’occupa une place centrale, ni ne résuma à lui seul le mouvement. Quant à dire qu’il incarna la figure du « peintre lettré » (entretien, même catalogue), la remarque pourrait tout aussi bien s’appliquer à Dezeuze.

[6] . Il obtient son baccalauréat en septembre 1959, et s’inscrit à l’Université en octobre.

[7] . Sur l’œuvre de Georges Dezeuze, cf. le catalogue de son exposition personnelle au Musée Fabre, Montpellier, 2000.

[8] . Les dates des études de ces artistes à l’École des beaux-arts de Montpellier (sous réserves de vérification) sont les suivantes : Viallat, 1955-1959 ; Azémard et Bioulès, 1957-1960 ; Rouan, 1958-1961. Le professeur de peinture était le directeur de l’école, Camille Descossy.

[9] . Notons au passage les différences d’âge de quelques artistes — J’ajoute aux artistes de Supports/Surfaces les quatre B.M.P.T., ceux du groupe 70 (Alocco, Charvolen et Miguel), ceux d’ABC Productions (outre Bioulès : Alkema, Azémard et Clément), ainsi que des isolés dont la démarche sera parfois rapprochée de la leur (Buraglio, Kirili et Rouan) : Saytour et Grand sont nés en 1935, Viallat, en 1936, Alocco et Toroni, en 1937, Azémard, Bioulès, Buren et Parmentier, en 1938, Arnal, Buraglio et Jaccard, en 1939, Pagès, en 1940, Clément en 1941, Alkema et Dezeuze, en 1942, Cane, Devade et Rouan, en 1943, Mosset et Pincemin, en 1944, Charvolen et Dolla, en 1945, Kirili, en 1946, Miguel et Valensi, en 1947.

[10] . Il est à remarquer que c’est dans ce groupe que se rencontrent les théoriciens engagés politiquement, et que Viallat, Saytour ou Bioulès, plus âgés et donc moins enclins pour cela peut-être aux enthousiasmes excessifs, seront plus réservés à cet égard.

[11] . Parmentier et Buren, qui ont déjà fait leurs études à l’École des métiers d’art, d’octobre 1959 à juin 1960, s’y inscrivent en octobre pour conserver leur droit au sursis et échapper ainsi au service militaire (la guerre d’Algérie n’est pas terminée). Vincent Bioulès et François Rouan entrent aux Beaux-Arts de Paris en 1961 ; Viallat qui, comme Saytour, est parti deux ans en Algérie, en 1962. Autre exemple de décalage : Viallat commence à enseigner aux Arts décoratifs de Nice en 1964 (Dolla et Valensi, entre autres seront ses étudiants) quand Cane, son CAFAS en poche, vient de les quitter pour s’inscrire aux Arts décoratifs de Paris.

[12] . Entretien, 3 juin 2003.

[13] . Daniel Dezeuze, Casa Municipal de Cultura, Avilès, 20 mai 1963-…

[14] . Daniel Dezeuze. Pinturas de Mexico, Galeria Diana (Paseo de la Reforma 489, sous le patronage des services culturels de l’Ambassade de France) Mexico, 27 octobre 1964-…

[15] . Toronto, automne 1965-printemps 1967.

[16] . Quittant Mexico en avril 1965, il passe par New York et voit au MOMA, l’exposition Responsive Eye, qui marque l’apogée de l’Op’ Art. Il visite ensuite les musées de Philadelphie, Washington et Boston.

[17] . Christian Prigent, « Notes sur l’effet “fresque” (Daniel Dezeuze chez Y. Lambert, déc. 77) », Textuerre, n° 10-11, Montpellier, avril 1978, p. 67-71, le texte est daté de décembre 1977. Le texte paraît simultanément in catalogue de l’exposition Daniel Dezeuze, Milan, Artra Studio, (avril) 1978.

[18] . « Daniel Dezeuze. Entre le visible et l’invisible », Art Press international, n° 19, Paris, juin 1978, p. 20 sq.

[19] . Gramma, n° 6, Pont-sur-Yonne, avril 1977. Outre les « Feuilles de carnet de Dezeuze (textes et dessins », le numéro contient des articles d’Alain Coulange, Christian Prigent et Christian Limousin, la réédition d’un texte de Marcelin Pleynet (catalogue de l’exposition 12 x 1, org. Europalia, Bruxelles, 1975), et se termine par un entretien entre l’artiste et les trois premiers auteurs.

[20] . C’est-à-dire un mode d’entrelacement des fils de chaîne et de trame.

[21] . Sur les Tarlatanes de Dolla, cf. le catalogue Noël Dolla, Nice, Galerie d’art contemporain des Musées de Nice, 1980.

[22] . 23 mai-14 juin 1975.

[23] . « Les systèmes d’information », in catalogue de l’exposition Jeune Peinture (30 janvier-4 février 1968), Montpellier, La Gerbe.

[24] . La peinture en question, Musée des beaux-arts, Le Havre, 7 juin-7 juillet 1969. Exposaient : Cane, Dezeuze, Saytour et Viallat. Dans le même ordre d’idée, mais tout citer à ce sujet serait lassant : Pierre Buraglio « Peindre pouvait à volonté… », catalogue du 17e salon de la Jeune Peinture, Paris, 1967. Soit la reprise d’un lieu commun des avant-gardes, dont l’inévitable phrase de Maurice Denis et la « peinture pure » d’Apollinaire sont entre autres les stations obligées.

[25] . In Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, « On va partir de Cézanne », entretien avec François Pluchart, Artitudes, n° 6, Paris, avril-mai 1972. La coupure cézanienne venait d’être martelée par Marcelin Pleynet en ouverture de L’Enseignement de la peinture, Paris, Le Seuil, coll. « Tel Quel », (4e trimestre) 1971.

[26] . Cf. les expositions : Fundamental Painting, Stedelijk Museum, Amsterdam, avril 1975 (où figure Cane) ; Analytische Malerei, organisée par Klaus Honnef, galeria La Bertesca-Masnata, Düsseldorf, juin 1975 (avec entre autres Devade, Dolla et Viallat) ; A proposito della pittura, Museum Van Bommel-Van Dam, Vanlo, novembre 1975 (Dolla et Viallat).

[27] . Textes et Notes 1967-1988, Paris, ENSBA, 1991, p. 15-18.

[28] . « Peindre Aujourd’hui », première esquisse du texte « Pour un programme théorique pictural » qui sera cosigné par Louis Cane, placé in Textes et Notes, op. cit., p. 33-44, avant un texte de mars 1969.

[29] . Sur le sujet, cf. Robert Pincus-Witten, Postminimalism, New York, Out of London Press, 1977.

[30] . Marcelin Pleynet : « Du différé d’un discours », in opuscule « Daniel Dezeuze », in boîte-catalogue Europalia 12 x 1, Bruxelles, Palais des beaux-arts, novembre 1975.

[31] . Eccentric Abstraction, exposition organisée par Lucy R. Lippard, Fischbach Gallery, New York, 20 sept-… 1966. (Figuraient dans l’exposition : Eva Hesse, Louise Bourgeois, Alice Adams, Bruce Nauman, Keith Sonnier, Frank Viner, Don Potts, Gerry Kuehn). Sous le même titre, paru un article dans Art International, vol. X, n° 9, New York, novembre 1966. À l’occasion de la réédition de cet article (Changing. Essays in art criticism, New York, E. P. Dutton & Co, 1971), l’auteur note que l’essai de Robert Morris « Anti-Form » (Artforum, avril 1968) « is a much clearer discussion of the way in wich the nature of the materials and physical phenomena determine the shape of much new sculpture […] The entire “Anti-Form” tendency has since been credited to Morris, although a number of young artists were developping the idiom simulteously, in Europe as well as America. » La référence insistante à la peinture, d’un côté, et à la sculpture, de l’autre côté de l’Atlantique, a interdit un rapprochement que l’histoire de l’art se doit désormais de faire.

[32] . Aragon, qui a été par le passé un fervent défenseur du réalisme socialiste et de son théoricien Jdanov, a assoupli ses positions après 1956 ; il en a fait une revue davantage ouverte après le Comité central d’Argenteuil (11-13 mars 1966), marqué par un débat public sur le marxisme-léninisme (affrontements d’Althusser et de Garaudy) — ce qui ne s’était jamais vu au P.C.F. —, et qui voit reconnaître aux artistes la liberté d’expression ( ! )

[33] . Il ne fut pas le seul. Cf. mon « Naissance de Daniel Buren », préface à Daniel Buren 1964/1966, catalogue raisonné chronologique t. II, Le Bourget, éd. 11/28/48, 2000, p. 20.

[34] . « Sur Pollock et Duchamp », texte reprographié de diffusion restreinte, Paris, début 1968. (Reproduit in Textes et Notes, op. cit., p. 18-23.)

[35] . « Daniel Dezeuze », réponses à des questions de Marcelin Pleynet, Art présent, n° 6/7, Paris, 1er trimestre 1978.

[36] . Texte ronéoté de diffusion restreinte, daté de mai 1970. Publié in Peinture. Cahiers théoriques, n° 1, Paris/Montpellier, 2e trimestre 1971.

[37] . « Art and Objecthood », Artforum, n° 5, New York, juin 1967. (*Repris in Gregory Battcock, Minimal Art. A Critical Antholgy, New York, E. P. Dutton, 1968, p. 116-147. *Trad. franç. par Luc Lang, Artstudio, n° 6, Paris, automne 1987, p. 6-27.)

[38] . « Dans les analyses hâtives de la situation », in catalogue de l’exposition 100 artistes dans la ville (5-20 mai), Montpellier, ABC Productions, 1970.

[39] . Exposition présentée par Lawrence Alloway, Guggenheim Museum, New York, septembre-novembre 1966. (Y figuraient : Reinhardt, Newman, Novros, Held, Kelly, Martin, Baer, Stella, Humphrey, Zox, Ryman et Mangold.)

[40] . 20 avril-5 juin 1977.

[41] . Galerie Daniel Templon, Paris, 7 janvier-2 février 1978). Très tôt, il a avoué installer son chevalet dans la campagne ou devant la mer (« Notes sur la peinture », Artitudes, n° 18-20, Saint-Jannet, janvier-mars, 1975). Lors de sa dernière exposition de toiles abstraites (galerie Françoise Palluel, Paris, mai 1975), il avait déjà glissé quelques paysages et quelques fenêtres qui avaient perdu leur caractère abstrait, mais c’est surtout à partir de l’exposition des fontaines que les commentaires fleurissent.

[42] . Entretien avec Bernard Teulon-Nouailles, Axe Sud, n° 13, Marseille, été 1984.

[43] . « Vincent Bioulès. Peinture, figure », Art Press, n° 15, février 1978.

[44] . Paris, Minuit. Le livre de Charles Jencks, Le Langage de l’architecture post-moderne, remontant à 1975, est traduit en français en 1979.

[45] .Tendances de l’art en France 1968-1978/9 : – 1. les partis pris de Marcelin Pleynet, ARC, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 13 sept. – 21 oct. 1979 ; – 2. les partis pris de Gérald Gassiot-Talabot, ibidem, 26 oct. – 5 déc. 1979 ; – 3. partis pris autres, ibidem, 14 déc. 1979 – 20 janv. 1980. Pour un commentaire sur la capacité fluctuante des acteurs à mesurer le Zeitgeist et sur les limites de cette notion, cf. mon « Image(s) de l’exposition », in catalogue de l’exposition Images, objets, scènes. Quelques aspects de l’art en France depuis 1978, Grenoble, Le Magasin, 1997.

[46] . À La Colle-sur-Loup, en 1976. D’autres vont suivre dans la foulée, à Marseille (ADDA, 2-10 mars) et Paris (galerie Gérard Piltzer, 21 avril-22 mai).

[47] . Une exposition de ses Peilles (en provençal : vieux chiffons) vient d’être montrée à Paris, galerie Jean Fournier (juin 1977).

[48] . « Daniel Dezeuze : questions d’itinéraire », entretien avec Charles Le Bouil, NDLR écritures peintures, Paris, T, P/Travaux, Pratiques, été 1976, p. 37.

[49] . Ils furent donc trois parmi les membres de Supports/Surfaces à prendre leur carte et non deux comme l’avance Marcelin Pleynet (Entretien avec Éric de Chassey, in catalogue Les années Supports/Surfaces dans les collections du Centre Georges Pompidou, Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1998, p. 13.)

[50] . Entretien, 18 juin 2003. Les élections eurent lieu les 1er et 15 juin 1969.

[51] . Le 18 mai, lors de l’assemblée générale de l’Union des écrivains, Sollers dénonce les déviations gauchistes et défend la ligne du P.C.F. Le 29 lors de la manifestation à l’appel de la CGT, les telqueliens défilent à côté d’Aragon, Triolet et Stil. Cf. Jean-Joseph Goux, cité par Philippe Forest (Histoire de Tel Quel 1960-1982, Paris, Le Seuil, 1995, p. 329-331).

[52] . Cf. Philippe Forest, op. cit., p. 377-383. La « Position du mouvement de juin 1971 » qui attaque ouvertement le révisionnisme du P.C.F. et défend une ligne pro-chinoise ne sera publiée que dans le n° 47 de Tel Quel, à l’automne.

[53] . Tel Quel mouvement de juin 1971 informations, Paris, 15 mars 1972. Le n° 2/3 est daté du 30 avril.

[54] . La Lettre est suivie des noms de ceux qui n’ont pas démissionné lors de l’exposition niçoise en juin 1971 : Arnal, Bioulès, Cane, Devade, Dezeuze, Pincemin.

[55] . Lettre reproduite in Les Lettres françaises, Paris, 12 juillet 1972 ; Peinture, cahiers théoriques, n° 4/5, 4e trimestre 1972.

[56] . À l’automne 1970, il quitte la résidence Sarrailh, boulevard de l’Observatoire, pour un logement atelier 151 rue du Faubourg-Saint-Antoine. Un incendie le contraindra à en déménager durant l’hiver 1972. Relogé à la Cité des arts, sur les quais, il finira par quitter Paris à la fin de l’année, pour Nice où il a été nommé professeur à l’École des arts décoratifs. À Paris, en changeant de quartier, il cesse de participer aux réunions de cellule du Parti ; il finit par ne plus payer son timbre au printemps 1971. (Entretien, 5 février 2004.)

[57] . Catalogue de l’exposition Viallat Dezeuze Saytour (19 février-10 mars), Rennes, Maison de la culture, 1974.

[58] . Daniel Dezeuze, Entretien, 5 février 2004.

[59] . Supports/Surfaces 1966-1974, Musée d’art moderne, Saint-Étienne, 15 mars-15 mai 1991.

[60] . Daniel Dezeuze in « La dernière des avant-gardes ? Louis Cane, Daniel Dezeuze, Claude Viallat », table ronde animée par Catherine Millet, Art Press, n° 154, Paris, janvier 1991.

[61] . Notice « Chine » du « Dictionnaire d’une époque », Le Débat, n° 50, « Notre histoire. Matériaux pour servir à l’histoire intellectuelle de la France, 1953-1987 », Paris, Gallimard, mai-août 1988, p. 193-194.

[62] . Union des étudiants communistes, crée par le P.C.F. en 1956, en même temps que les jeunesses communistes (J.C.).

[63] . François Rouan et Pierre Buraglio y adhèrent, mais aucun des futurs membres de Supports/Surfaces. Rouan décrochera en 1968 et partira pour la Villa Médicis, Buraglio « s’établira » jusqu’en 1974.

[64] . Simon Leys, Les Habits neufs du Président Mao, Paris, Champ libre, coll. « asiatique », (octobre) 1971 : « D’un autre côté, des esprits généreux mais faibles qui, en Occident, rêvent de révolution sans comprendre qu’elle reste à réinventer sur place par ceux qui veulent la faire et ne saurait se cueillir comme une pomme mûre dans un verger exotique, ont lancé à la figure de leurs dirigeants le nom de Mao de la même manière que les philosophes du siècle des lumières brandissaient celui de Confucius. Ce que signifiait exactement Confucius leur importait peu : moins ils en étaient informés, mieux ils le pouvaient accommoder à leurs propres songeries. Nos philosophes d’aujourd’hui semblent également peu désireux d’enquêter sur la vérité historique du maoïsme ; craignant sans doute qu’une confrontation avec la réalité ne soit dommageable à ce mythe qui les dispense si confortablement de penser par eux-mêmes. » « La “Révolution culturelle” qui n’eut de révolutionnaire que le nom, et de culturel que le prétexte initial, fut une lutte pour le pouvoir entre une poignée d’individus, derrière le rideau de fumée d’un fictif mouvement de masses […] » Étiemble (Le Nouvel Observateur, 13 décembre 1971) commentera le livre en ces termes : « On vous en prie, on vous en supplie, lisez Les Habits neufs du président Mao. De tous les livres et articles que j’ai scrutés sur la “Révolution culturelle”, le seul qui permette de comprendre, sinon de tout pardonner […] Depuis L’Aveu, de London, je n’ai rien lu de plus bouleversant dans l’ordre du politique. Ah ! Si seulement Simon Leys était un menteur. »

[65] . Op. cit.  : « Zéro pour le mandarin », « ignorance de la Chine moderne », « amoureux du passé », etc.

[66] . L’annonce en est faite dans l’éditorial du n° 34, daté de l’été 1968.

[67] . Publiée dans le n° 36, hiver 1969 ; le numéro est orné d’un idéogramme en couverture.

[68] . Entretien, 18 juin 2003.

[69] . « Sur la contradiction », Tel Quel, n° 45, Printemps 1971.

[70] . Le nouveau grand espace, publié à l’occasion de l’exposition Daniel Dezeuze (21 mai-… 1971) Paris, galerie Yvon Lambert, 1971 : « Quelque chose de plus ancien que l’Occident, et que d’une certaine façon celui-ci a toujours véhiculé en le refoulant, ressurgit en Occident […] Ce nouvel espace qu’il faut penser […] »

[71] . Déclaration de Philippe Sollers au Monde, 22 octobre 1976 : « Ce n’est pas de “doutes” ou d’“inquiétudes” qu’il faut, à mon avis, parler, au sujet de la situation actuelle en Chine, mais de véritable drame. Ce qui apparaît sous une lumière de plus en plus crue, c’est la sinistre réalité stalinienne d’une mécanique de pouvoir et d’information […] »

[72] . Colloque Vers une révolution culturelle : Artaud, Bataille, sous la dir. de Philippe Sollers, Cerisy-la-Salle, 29 juin-9 juillet 1972.

[73] . Alexander Solženitcyne, Arkhipelag Goulag, Paris, YMCA press, (décembre) 1973. La traduction du premier tome (Paris, Le Seuil) sera disponible en juin de l’année suivante, le second en décembre.

[74] . Le Nouvel Observateur, Paris, 4 mars 1974 ; cité par Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération. 2. Les années de poudre, Paris, Le Seuil, 1988.

[75] . « Nouvelles contradictions, nouvelles luttes », éditorial, Tel Quel, n° 58, été 1974 : « Impossible de s’y retrouver [dans Soljénitsyne] sans la critique freudienne de la religion comme sans la critique de gauche du stalinisme par Mao et les masses chinoises. »

[76] . Le terme est lancé par un numéro spécial des Nouvelles Littéraires (Paris, 10 juin, 1976), conçu par Bernard-Henri Lévy.

[77] . Centre Georges Pompidou, 12 décembre 1977, publiée dans le n° 16 d’Art Press international, mars 1978 : « Ma thèse est la suivante : il n’y a “avant-garde“ que tant que l’espace d’interprétation marxo-psychanalytique constitue l’horizon rationnel de la pensée, et en réaction contre cet horizon (comme manifestation d’un “reste” irrationnel inassimilable). La saturation actuelle de l’espace “avant-gardiste”, qui est transformé très rapidement en académisme stéréotypé limité signifie du même coup la fin de cet horizon rationaliste. La “fin” du marxisme est en vue. Celle de la psychanalyse en revanche est moins perçue mais n’en est pas moins là […] »

[78] . « Ces “événements” ont eu certainement une répercussion… », in dossier « mai 1968 », Art Press, n° 18, Paris, mai 1978, p. 20.

[79] . Entretien avec Jacques Beauffet, in catalogue de l’exposition Daniel Dezeuze, Saint-Étienne, Musée d’art et d’industrie, 1980, p. 13-20.

[80] . Sur ce tournant, cf. Pascal Ory, L’Entre-deux-Mai. Histoire culturelle de la France Mai 1968-Mai 1981, Paris, Le Seuil, 1983 : chap. 8, « Rien ne va plus ».

[81] . Louis Cane, « Biographie », in catalogue Louis Cane, Saint-Paul de Vence, Fondation Maeght, 1983.

[82] . Exposition Claude Viallat, galerie Jean Fournier, Paris, 22 mars-30 avril 1968. Le commentaire de Pleynet se trouve dans « Disparition du tableau », Art International, n° 8, octobre 1968.

[83] . Entretien, 3 juin 2003. Sur cet horizon intellectuel de l’époque, cf. les deux beaux volumes de François Dosse consacrés à l’ Histoire du structuralisme (Paris, La Découverte, 1992).

[84] . Dans le texte signé avec Cane, op. cit., ou dans le tract signé avec le même et Devade diffusé à l’occasion de l’exposition de l’ARC, en septembre 1970. Le texte de Daniel Buren, « Mise en garde » (octobre 1969, première publication en français, in VH101, n° 1, printemps 1970) se terminait déjà par une référence à Althusser et à la théorie comme « forme spécifique de la pratique ». Une nouvelle version en avait été donnée dans Les Lettres françaises, 17 juin 1970.

[85] . Op. cit.

[86] . Jacques Rancière, La Leçon d’Althusser, Paris, Gallimard, 1974, p. 214.

[87] . Alain Coulange y joue sur les mots « délié » et « délit », dans son texte et dans l’entretien.

[88] . On lira sur ce sujet le récit des dernières heures de la Gauche Prolétarienne et de sa courageuse auto-dissolution, qui conduisit certains de ses animateurs jusqu’au divan de Lacan, in Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération. 2. Les années de poudre, Paris, Le Seuil, 1988 : chap. 14 et 15.

[89] . « Daniel Dezeuze », propos recueillis par Georges Roque, +-0, n° 12 bis, Bruxelles, mai-juin 1976, p. 4-5.

[90] . Communication orale, 2 mars 2004.

[91] . Une théorisation plus rigoureuse en sera donnée par Jean-Joseph Goux : « Marx et l’inscription du travail », Tel Quel, n° 33, Paris, décembre 1968. Rappelons que les ouvrages de Derrida, L’écriture et la différence et De la grammatologie sont publiés en octobre 1967. Sur ce sujet cf. Philippe Forest, op. cit., p. 313 sq. À noter que Goux et Devade se sont connus à la Sorbonne dès 1962 (cf. Forest, op. cit., p. 260.)

[92] . Cf. aussi Daniel Dezeuze, « Direction et particularisation d’une stratégie globale », in recueil non relié (pochette verte) de l’exposition Support-surface (23 septembre-15 octobre), Paris, ARC, Musée d’art moderne de la Ville, 1970. (*Repris sous le titre « Notes complémentaires », Peinture, cahiers théoriques, n° 1, juin 1971, p. 82 sq.)

[93] . Daniel Dezeuze, « Entretien avec Mireille Guézennec », in catalogue de l’exposition Daniel Dezeuze, Bourges, Maison de la culture, 1976.

[94] . Daniel Dezeuze, Note sur le système euclidien et le dessin, suite à Marcelin Pleynet, Le nouveau grand espace, op. cit..

[95] . Jean Clair, Art en France. Une nouvelle génération, Paris, Le Chêne, (novembre) 1972, p. 110.

[96] . Entretien avec Charles Le Bouil, op. cit.

[97] . Vicente Huidobro, conférence donnée devant le groupe d’études philosophique et scientifique du Dr Allendy, 1922 : « Si el hombre ha sometido para sí a los tres reinos de la naturaleza, el reino mineral, el vegetal y el animal, ¿por qué razón no podrá agregar a los reinos del universo su propio reino, el reino de sus creaciones ? »

[98] . « “Coaraze 69” ou la question des “lieux culturels” », texte ronéoté, inclus dans un dossier diffusé à l’occasion de l’exposition Dezeuze, Pagès, Saytour, Valensi, Viallat, Foyer international d’accueil de la Ville de Paris, 20 mars-5 avril 1970. (*Reproduit in Textes et Notes, op. cit., p. 56-58.)

[99] . Op. cit.

[100] . Paris, Le Seuil, (avril) 1968.

[101] . Elle inclut un dossier sur « Le nombre dans la culture » dans le numéro spécial de Tel Quel consacré à la sémiologie en URSS (n° 35, automne 1968). Le principal développement est dans « L’engendrement de la formule », d’abord publié dans les numéros de Tel Quel, 37 et 38, du printemps et de l’été 1969. Ce texte contient des commentaires de Nombre et de Drame, le roman précédent de Sollers, également construit à partir d’un dispositif numérique.

[102] . Daniel Dezeuze, « Dans les analyses hâtives de la situation… », in catalogue de l’exposition 100 artistes dans la ville (5-20 mai), Montpellier, ABC Productions, 1970.

[103] . Entretien, 18 juin 2003.

[104] . C’est François Pluchart, le défenseur de l’art corporel, qui publie cette photographie dans Artitudes international, n° 2, Paris, décembre 1972/janvier 1973. Mel Bochner avait exposé auparavant en janvier 1972, à Paris, à la galerie Sonnabend (exposition injustement oubliée dans le catalogue du FRAC de Bourgogne consacré à l’artiste, en 2002). À noter que Bochner réalise à partir de 1974 des wall paintings colorés, à la caséine, en forme de polygones irréguliers de surface moyenne.

[105] . Entretien avec Pleynet, 1978, op. cit.

[106] . La Dissémination, Paris, Le Seuil, (1er trimestre) 1972. Le titre provient d’un article sur Nombres, inclus dans le recueil, d’abord publié dans le n° 261-262 de Critique, au début de l’année 1969. Une exposition italienne (La Disseminazione, Varèse, Musei Civici Mirabello/Viggiù, Museo Butti, 1978), organisée par Filiberto Menna, témoigne de la fortune du terme : Outre Dezeuze, Marco Gastini, Gottardo Ortelli, Pino Pinelli et Lucio Pozzi, entre autres, y disséminent de petits formats sur les murs.

[107] . Entretien avec Chantal Béret, op. cit.

[108] . « Situation et travail du groupe Supports/Surfaces » (texte daté du 9 mars), *VH101, n° 5, Paris, printemps 1971, p. 91-96.

[109] . Cf. supra, note 19.

[110] . « Entretien avec Henry-Claude Cousseau », in Daniel Dezeuze, Paris, S.M.I., « Art/Cahier », n° 9, s. d. [1989].

[111] . Entretien avec Jacques Beauffet, op. cit.

[112] . François Cheng, « Le “langage” poétique chinois », in La Traversée des signes, séminaire de Julia Kristeva, Paris, Le Seuil, coll. « Tel Quel », 1975.

[113] . N° 8/9, 1er trimestre 1974 et n° 10/11, 4e trimestre 1975. (L’ironie veut que ce soit Ryckmans qui se cachait sous le pseudonyme de Simon Leys, traité d’incompétent en 1971.)

[114] . N° 12, février 1977 et n° 13, mai 1978.

[115] . « Peindre Aujourd’hui », op. cit.

[116] . Conférence prononcée au colloque de Milan, organisé par Armando Verdiglione, publié in Spirali, n° 1, Milan, octobre 1978. Le Tchouang Tseu (en Pinyin : Zhuangzi) est avec le Lao Tseu (Laozi) un des textes canoniques du taoïsme. Dezeuze a pu lire le texte en français dans les Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « connaissance de l’Orient », 1969. Sa source concernant le taoïsme était le livre de Max Kaltenmark, Lao Tseu et le taoïsme (Le Seuil, 1965, coll. « maîtres spirituels », réédité chez Laffont en 1974 avec le texte du Tao tö king, coll. « les grands initiés »).

[117] . Sur ce sujet cf. le beau livre de François Jullien, Processus ou création, Paris, Le Seuil, 1989.

[118] . Vide et plein. Le langage pictural chinois, Paris, Le Seuil, 1979.

[119] . Entretien avec Jacques Beauffet, op. cit.

[120] . Il en a pris l’illustration dans l’ouvrage de Kaltenmark cité plus haut.

[121] . « Situation et travail du groupe Supports/Surfaces » (texte daté du 9 mars), *VH101, n° 5, Paris, printemps 1971, p. 91-96.

[122] . Entretien avec Charles Le Bouil, op. cit.

[123] . Daniel Dezeuze, « Entretien avec Henry-Claude Cousseau » op. cit. Sur l’estrangement, cf. Carlo Ginzburg, À distance [1998], Paris, Gallimard, 2001, chap. 1.

[124] . Entretien, 18 juin 2003.

[125] . La Violence et le sacré (Paris, Grasset) est publié en avril 1972. Des choses cachées depuis la fondation du monde (même éditeur), en mars 1978.

[126] . Sur le sujet celui-ci a publié Géométrie différentielle et topologie, Alençon, Poulet-Malassis, 1948.

[127] . Lapassade a participé en 1964, aux côtés d’Edgar Morin et de Pierre Restany, à l’un des premiers happenings de Jean-Jacques Lebel, à l’American Center. Proche de la revue Arguments et de Socialisme ou barbarie, il a publié en 1963, L’Entrée dans la vie (Paris, minuit), où il plaide pour une pédagogie libertaire. Le 13 mai, avec Jean Duvignaud, pour montrer que c’est une fête, il met un piano dans la cour de la Sorbonne « libérée ». Le 15, avec le CRAC, il participe à l’occupation de l’Odéon. En juillet, toujours avec Lebel, il transporte la contestation au festival d’Avignon et soutient le Living Theatre. (Cf. Bernard Brillant, Les Clercs de 68, Paris, PUF, 2003.)

[128] . « Projet d’association internationale de dissolution culturelle », tract signé C.R.A.C. (Comité révolutionnaire d’agitation culturelle), Sorbonne, début mai 1968 ; reproduit in Daniel Dezeuze, Textes et notes, op. cit., p. 23-25.

[129] . Op. cit.

[130] . Paris, Minuit, 1969. Voici par exemple des passages proches : « Nous cherchons à déterminer un champ transcendantal impersonnel et pré-individuel, qui ne ressemble pas aux champs empiriques correspondants et qui ne se confond pas pourtant avec une profondeur indifférenciée. » (p. 124) « Car les auteurs, s’ils sont grands, sont plus proches d’un médecin que d’un malade . Nous voulons dire qu’ils sont eux-mêmes d’étonnants diagnosticiens, d’étonnants symptomatologistes. » (p. 276)

[131] . Les Lettres françaises, Paris, 28 février 1968. L’artiste conserve encore la coupure de presse qu’il avait alors soulignée de sa main. Voici un passage : « Ce qu’on est en train de découvrir actuellement, il me semble, c’est un monde foisonnant fait d’individuations impersonnelles, ou même de singularités pré-individuelles (c’est cela le “ni Dieu ni homme” dont parle Nietzsche, c’est cela l’anarchie couronnée). »

[132] . Paris, PUF, 1969.

[133] . « Le métier de peintre », daté « été 1971 », in catalogue Nouvelle peinture en France. Pratique/théorie, Saint-Étienne, 1974. Ce texte constitue un étonnant patchwork conceptuel, où se mêlent Mélanie Klein, la Chine, le corps sans organe deleuzien et le Pharmakon derridien.

[134] . « Les toiles systématiquement tamponnées de Louis Cane », in catalogue de l’exposition Louis Cane (23 février-13 mars), Paris, galerie Daniel Templon, 1971.

[135] . « Daniel Dezeuze », propos recueillis par Georges Roque, op. cit.

[136] . Paris, Grasset, (février) 1976 : « Nous avions fait l’’épreuve d’une conversion, d’une révolution culturelle dont la morale n’a pas encore été tirée […] Nous en sortions brisés d’un échec qu’au vrai, tentant encore de le penser dans les pensées qui nous avaient perdus, nous ne comprenions pas. […] Nous nous retirâmes au désert. […] Il fallait trouver le rocher contre quoi briser l’esprit mauvais […] À désigner cette possibilité, nulle autre image ne s’imposa à nous que celle de l’ange. […] nous avions pris sans gêne dans la tradition catholique notre bien […] l’usage que nous en faisions est précisément ordonné à ceci que, comme dit Lacan, Dieu ex-siste, ce qui signifie qu’il n’est pas. […]. » (G. L.)

[137] . Entretien, 5 février 2004.

[138] . Tel Quel, n° 58, été 1974.

[139] . Op. cit.  : « La peur d’avoir à traiter le signifiant religieux n’est que la volonté de maintenir la religion à sa place, qui elle-même n’existe plus que comme fantasme d’une dialectique inopérante du maître et de l’esclave. Si j’emploie le panneau Paradis, c’est bien pour qu’on m’aboie aussitôt “bénitier !”. Si je dis Dieu, j’entends qu’on jappe “soutane”, etc. »

[140] . J.-F Revel, R. Boudon, G. Burdeau, J.-C. Casanova, J.-M. Domenach, F. Fejtö. Louis Cane y adhéra.

[141] . Marc Devade, « Théorie où les figures de la peinture ». Cf. aussi, Louis Cane, « L’hétérogène sans gène », ibidem. Sur ce retour du religieux au tournant des années 1977-1980, cf. Pierre Nora, « Relégitimation du religieux », Le Débat, op. cit., p. 158-160.

[142] . Entretien avec Jacques Beauffet, op. cit. Rappellons que L’expérience intérieure (1943) fut rééditée en 1954 comme premier tome de la Somme athéologique. Le volume V des Œuvres complètes de Bataille, qui contient les deux tomes de la Somme, fut publié en 1973.

[143] . Ibidem.

[144] . L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, chap. IX.

[145] . « Un œil en enfer », NDLR, n° 1, Paris, été 1976, p. 29-31.

[146] . Entretien avec Henry-Claude Cousseau, op. cit.

[147] . Daniel Dezeuze, « Mes travaux les plus récents… », texte daté de décembre 1978, Skira annuel 1979, Genève, Skira, 1979.

Pour citer cet article

Christian Besson, « Ventilation. Les Gazes de Daniel Dezeuze (1977-1981), l’histoire en filigrane », in cat. de l’exposition Daniel Dezeuze. Gazes découpées et peintes(œuvres 1977-1981), (18 avril-4juin 2003), Dijon, Frac de Bourgogne, 2004, p. 7-26.