Des expositions qui seraient de centre d’art

Article Expositions de l’annuaire Les centres d’arts de A à Z, Paris, DCA/Flammarion, 1994.

Signe des temps ( ?), les auteurs d’un recueil collectif récent, empruntant à Malraux, substituaient « exposition » à « musée » et titraient : L’Exposition imaginaire [1]. Si la référence au musée en tant que contexte déterminant, destination finale de l’œuvre ou instance de légitimation, est désormais un passage obligé de la théorie de l’art, la promotion à ce rang de l’exposition, hors toute muséologie appliquée, l’est moins. Nous sommes renvoyés à « la montre » (Baudelaire), comme si le siècle des expositions, le XIXe, ne faisait rien moins que se poursuivre dans le nôtre, encore plus prolixe en la matière. En parodiant Flaubert, ne pourrait-on pas écrire : « Exposition. Sujet de délire du XXe siècle » ?

Cependant, soit par aveuglement, soit au nom d’un principe moral revendiquant la préséance de l’œuvre, on réduit en général l’exposition à sa seule fonction de montrer ; on ne la suppose pas se montrant elle-même : on ne la voit pas ou on lui dénie le droit d’être vue ! Le sous-titre du recueil cité plus haut, The art of exhibiting in the eighties, participe de cette transitivité, si par « art » doit s’entendre le simple savoir-faire des organisateurs (artistes, conservateurs, critiques, commissaires…). Mais plusieurs contributions indiquent que le mot est aussi pris au sens fort, enregistrant ainsi un double constat : d’une part, l’exposition est le registre où s’est transposée l’œuvre (de l’exposition en tant qu’œuvre, les exemples abondent depuis Oldenburg, Spoerri, Broodthaers, Buren, Boltanski, Kounellis, De Maria…) ; d’autre part, certains organisateurs passent pour de véritables créateurs (ici se rencontre la figure incontournable de Harald Szeemann). Pouvoir accru des commissaires [2] ou déplacement sémiologique — de l’œuvre à sa monstration —, la question est bien celle de l’exposition, qui tend à reléguer au second plan l’autre question contextuelle, celle du musée. Quid donc de cet « art » de l’exposition ?

Tant bien que mal, la France s’est dotée, ces dernières années, d’un réseau de centres d’art, équivalents des Kunsthallen germano-suisses ou des art galleries publiques anglo-saxonnes, institutions dont la différence résiderait justement dans la vocation première d’exposition. La difficulté surgit immédiatement dès que l’on interroge cette spécificité. Outre qu’il y a belle lurette que le musée s’organise aussi en grande partie autour de l’activité d’exposition, on peut bien se demander en quoi les expositions de centre d’art se distingueraient du lot. Personne, à ma connaissance, n’a jamais eu l’idée de classer, dans les sacro-saintes biographies d’artiste, la liste des expositions selon des critères de lieu : elles sont individuelles ou collectives, un point c’est tout ! D’un type d’institution à l’autre, les mêmes artistes, les mêmes thèmes se retrouvent, les mêmes manifestations s’échangent. La statistique ici ne peut que constater le règne massif de la loi commune.

Resterait du moins une différence conceptuelle, permettant de distinguer ce qui en droit relèverait plus de l’un que de l’autre : du côté du musée, l’exposition serait surdéterminée par l’archive, l’obligation de classification, la mise en œuvre de l’histoire, bref appartiendrait à une pensée de l’après-coup : entreprise d’appropriation imposant ses lectures, mettant en œuvre ses codes — règne du propre. De l’autre, elle serait du côté de la création, de celui des artistes, là où se creusent les différences : entreprise insaisissable brouillant les limites — règne du dessaisissement, de l’impropre.

L’héritage muséographique.

De création récente, en France, les centres d’art arrivent après d’autres institutions qui œuvraient jusque-là dans le domaine de l’exposition. Aussi héritent-ils, pour une large part, de modèles forgés ailleurs.

Le modèle muséographique est encore largement dominant. Il est partout à tous les étages, il se rencontre embusqué à chaque détour ; il est dans la tête de bien des responsables dont nombre d’efforts visent à faire la démonstration d’un savoir-faire de conservateur. L’exposition de type scientifique, convoquant l’histoire de l’art, participant à son écriture, reste ici le modèle omniprésent — un modèle qui d’ailleurs, lorsqu’il est professionnellement observé, conduit à de parfaites réussites.

Les expositions individuelles, en forme de rétrospectives, constituent le fleuron de programmations riches en créations « maison » accompagnées de catalogues, la plupart volumineux, avec études critiques et appareil scientifique [3]. Les institutions les plus en vue accueillent, ou revendent à l’étranger, parfois à des musées, ce genre de rétrospective [4]. La valorisation de l’institution vient alors de pairs reconnus à l’échelle internationale, selon une stratégie toute empreinte du désir d’accession au rang des grands prédécesseurs hexagonaux : l’ancien CNAC de la rue Berryer et l’ARC à Paris (sans compter le modèle plus récent du CAPC à Bordeaux). Partout s’éprouve le besoin d’historiser, de flanquer le moindre dessin de son cartel avec date. Le même souci d’inscription préside, en définitive, à l’élaboration des plus modestes monographies comme à celle des plus glorieuses [5].

Il en est de même, c’est évident, des expositions qui portent sur des mouvements déjà reconnus [6] ou qui dressent le tableau panoramique d’une décennie [7]. Quant au genre « école nationale », il fleure bon l’archéologie de la classification muséographique. Et s’il correspond dans certains cas à une réalité [8], la seule motivation « échanges internationaux » (avec financement de service culturel d’ambassade) et « coupure de ruban » pour député-maire prend parfois le pas.

La référence aux disciplines traditionnelles place toujours l’exposition sous la protection de critères rassurants. Elle légitime par avance. La sculpture a été l’argument de belles séries de monographies [9]. « Peinture » et « dessin » demeurent ; « performance » a disparu. « Volume », sous-titre rencontré le plus drôle, sort tout droit de l’ancienne réforme des écoles d’art (celle de 1973 qui empruntait le terme au Bauhaus). Telle discipline définie combinée au genre « école nationale » donne les nombreuses Sculpture espagnole contemporaine et autre Photographie du Québec. Des genres récents, promptement acclimatés, tournent au lieu commun : la « photographie d’artiste » s’entend désormais sans plus d’explication et l’oxymoron « téléphoné » de la « sculpture de peintre » fait les délices de plus d’un ; une acculturation débridée a également intronisé la désopilante discipline de « l’installation », suffisamment prisée pour s’énoncer avec une pesanteur sentencieuse. La recherche de l’« oblicité », du « décloisonnement des catégories de l’histoire de l’art » [10], s’illustre de la mise en relief des rapports entretenus par des plasticiens avec une autre discipline artistique, architecture, cinéma ou danse. Pour l’ensemble, les programmations restent centrées sur les arts plastiques, malgré l’apparition sporadique de l’architecture, celles plus rares de la photographie, du graphisme [11] ou du design ici ou là. L’art ne se mélange pas ! D’ailleurs, pour accéder à ses institutions, des photographes n’ont d’autre choix que d’agrandir leurs formats, et des architectes de se faire passer pour sculpteurs [12].

On a remarqué qu’à l’heure de l’art exposé, la présentation permanente des collections de musées tendait à s’effacer au profit de l’accrochage temporaire (par rotation) [13]. Parallèlement, bon nombre de centres ou de lieux liés à des Fonds régionaux d’art contemporain se font obligation de « montrer la collection du Frac ». Ces collections régionales ont été l’objet d’innombrables présentations parfois déguisées dans des expositions à thème, dont le résultat n’est hélas, la plupart du temps, que de donner à voir les mêmes œuvres pour l’énième fois (sans compter les collections départementales ou municipales tout autant inégales) ; comme les musées, les centres d’art ont aussi leurs expositions bouche-trou ! Du moins ceux qui s’estiment isolés y trouvent-ils la possibilité de « montrer des références », soucieux qu’ils sont de parer à l’absence du musée local auquel devrait être logiquement impartie cette tâche.

Les expositions sont enfin traversées par le désir de collection. Quand celle-ci est en cours de constitution, elle devient le motif filigrané de la programmation (comme cela peut l’être dans les musées) — avoir une collection [14], ou même changer de statut et devenir musée [15], passant, plus ou moins consciemment, pour un couronnement. À défaut, la présentation de collections de musées reconnus, déplacées pour l’occasion, participe du processus de valorisation et de légitimation cité plus haut [16] (tout en étant un bon support pédagogique).

À y regarder de près, la muséographie est cependant plus simulée que réelle. L’historiographie s’en tient souvent à des à-peu-près : les mêmes curricula vitæ, non vérifiés, fournis par l’artiste ou la galerie, recopiés de catalogue en catalogue avec les mêmes erreurs [17], allant de pair avec un usage des codes ignoré ou flottant — et des déclarations appuyées de « professionnalisme ». Les signes extérieurs de la reconnaissance prenant le pas, le volume de l’imprimé (l’inflation éditoriale) et les signatures cautions importent, de fait, davantage.

Communication.

Il existe un second modèle, encore plus impensé que celui du musée, c’est celui de l’animation — d’autant plus passé sous silence que le socioculturel a été souvent relégué au second plan par les politiques culturelles des années quatre-vingt. Faut-il rappeler le conflit entre les fonctions de conservation et d’animation à l’intérieur des musées ? Ce conflit ne s’est-il pas soldé, en définitive, par la victoire de la seconde ? — au détriment d’une « aristocratie » de la conservation qui pense que l’exposition, dans le musée, doit être scientifiquement nécessaire, ou ne doit pas être. Le public, les usagers, le peuple, les ouvriers… (le terme dépend de la philosophie politique à l’œuvre) deviennent les destinataires mythiques de l’exposition, sa fin. C’est que l’exposition est en soi, par essence, manifestation publique, qu’elle correspond, dès ses balbutiements, à une instance du « public » (au sens d’Habermas) qui prend le pas sur celle du « privé ». N’y avait-il pas déjà, chez Géricault ou chez Courbet quand ils organisent respectivement, l’un le premier « show » à partir d’une seule œuvre, l’autre l’une des premières expositions personnelles, un sens confirmé et prémonitoire de la publicité ? [18]

L’animation rend manifeste la demande du politique. Certains sont plus perméables que d’autres à l’action culturelle municipale. D’autres flattent les intérêts locaux avec des thèmes appropriés, l’exposition de « l’atelier des enfants », ou celle de l’école municipale de dessin…

De ce côté-ci de l’Atlantique, les minorités ne se sont pas encore transformées en lobbies imposant des quotas, et l’impératif du politically correct a encore peu pénétré [19]. La double ouverture de la scène artistique, et du marché, en direction des pays de l’Est et, plus timidement, des ères non occidentales (comme il a été tenté pour Les Magiciens de la terre), a eu très peu d’écho dans la programmation des centres d’art. Par contre, comme les musées, les premiers continuent d’user de diplomatie à l’égard des « artistes locaux » : l’« exposition de Noël » [20], modèle en provenance des Kunsthallen suisses, peut régler le problème ; ou bien c’est la distinction hiérarchique des salles qui fait le tri et répond à la revendication latente [21].

L’exposition est partout prétexte à pédagogie. Thématique ou historique, simple présentation de collection, où rétrospective de tel « classique de l’art contemporain », elle s’avance alors sous le masque de la nécessaire formation du public. Dans le débat, jamais clos, qui oppose les tenants de l’exposition personnelle et ceux de l’exposition de groupe (ou thématique), les arguments avancés invoquent immanquablement le fait que l’une ou l’autre soit plus facile d’accès : « avec plusieurs pièces on comprend mieux le travail d’un artiste » ou bien « le public préfère les ensembles variés car il a toujours quelque chose à quoi se raccrocher ».

Force est, par contre, de constater que, si les panneaux longuement explicatifs ont envahi les musées, ils font en général défaut dans les expositions d’œuvres d’artistes vivants, comme si ces derniers dissuadaient, pour un temps encore, des pédagogies précipitées écrites sur leur dos. Le communiqué de presse (à consulter ou à prendre sur la banque d’accueil, à l’entrée), preuve de « bon goût », de discrétion et d’élégance dans la pédagogie, est une marque prisée de distinction (l’affichage tonitruant étant tenu pour vulgaire) [22]. C’est que la pédagogie doit rester discrète, l’œuvre d’abord parler d’elle-même. Ce mot d’ordre, qui était déjà celui de Malraux, a parfois été oublié dans l’action culturelle. Si on ajoute à cela le conflit larvé avec le théâtre omnipotent, on comprend que les arts visuels désertent régulièrement les maisons de la culture et autres centres culturels [23].

C’est cependant au sein de l’action culturelle qu’ont été testés, en France, certains types d’expositions : l’invitation-commande avec séjour rétribué, en vue d’une production originale [24], ou l’exposition-atelier associant des participants à un processus créatif. À l’étranger, depuis le début des années soixante-dix, le Musée d’Eindhoven, par exemple, mettait à disposition d’artistes invités, les moyens financiers et techniques pour réaliser des œuvres originales, à partir de projets discutés parfois longtemps à l’avance, et sans que ces œuvres soient forcément acquises. Cette démarche a pris dans les centres d’art un tour légèrement plus socio-politique : liée au mouvement de la décentralisation, elle est l’objet des mêmes enjeux que les Frac, de la part d’une classe politique nouvelle, en mal de reconnaissance. La recherche d’une implication de l’artiste sur place, la demande pathétique, de la part des organisateurs, de projets qui parlent du lieu, des habitants, du pays, du contexte sous quelque forme, est un héritage sans conteste d’une action culturelle qui se survit dans ce qui se perçoit comme lui étant étranger parce qu’élitaire : le champ de l’art contemporain (on aime peu en définitive le terme d’arts plastiques). Aussi les expositions sont-elles (de façon trop déclarée pour qu’on ne puisse pas mettre en doute la portée de la chose) le fruit d’opportunités locales, d’invitations, de séjours, de « commandes », de « projets longuement mûris en commun », de « dialogues » entre un artiste et une institution, un site, une population, que sais-je encore [25]. La chaîne de la demande, qui part de la classe politique, se traduit par toute une panoplie de structures inscrivant dans leur vocation artistique des justifications locales ou projetant, dans leur ciel idéal, rencontres et communions ; les responsables de ces structures, quant à eux, chacun selon son positionnement propre, se font les prosélytes de leur mission ou inventent cyniquement des thèmes à double entente [26] ; et, quand l’inscription de départ leur paraît honteuse (eu égard au qu’en dira-t-on de la scène artistique), ils déploient leur énergie à la contourner. Au bout de la chaîne, du côté des artistes, la réponse se traduit par une production du sens, liée au contexte et au lieu, qui n’échappe pas à maintes ambiguïtés [27]. Car l’art de l’occasion (la tuché d’Aristote), a du mal à ne pas choir, parfois, dans la pirouette de circonstance, l’opportunisme ou la complaisance. Ce faire-semblant d’implication in situ, n’est-il pas une fausse conscience ? une image inversée de la situation réelle des artistes à l’égard des institutions et des expositions auxquelles ils participent : celle de « turbo-artistes », allant d’invitation en invitation.

À la conjonction de l’action culturelle et de la muséographie se rencontrent les expositions à thèmes. Héritières doubles, pourrait-on dire, puisqu’elles sont nées, dans l’orbite de musées soucieux d’animation et de pédagogie. Certains thèmes, soigneusement traités, tentent de réactiver des catégories classiques [28]. D’autres ont le mérite de rester précis [29]. D’autres encore, sans prétendre à l’exhaustivité, esquissent des confrontations heureuses [30]. Cependant, il arrive que ces thèmes viennent à recouvrir un choix arbitraire, pêchent par leur généralité ou leur flou, voire par une banalité affligeante. Consciencieuses et historiographiques, elles ressemblent, quand le sujet en est déjà fort connu, à ces thèses d’élèves sages, suffisamment bien ficelées pour fournir l’argument ronronnant d’une inauguration d’institution. Beaucoup de ces expositions à thème ne sont pas sans laisser une impression de discours surajouté aux œuvres sans nécessité. Et le mépris des artistes est à son comble quand le nom de ceux que l’on y a inclus ne figure ni sur le carton d’invitation [31], ni sur la couverture, ni même dans les premières pages du catalogue — d’ailleurs, comme pour certaines expositions de Frac ou de musées, on ne leur a même pas demandé leur avis !

Mais l’action culturelle n’a pas su répondre aux questions qu’elle s’était posé. Le titre en forme de manifeste : « Pour l’élargissement du public de l’art actuel [32] » sonne comme un aveu ; il dit assez que le public est plus souvent objet de désir que réalité avérée. À la question de la fréquentation des expositions, ce même serpent de mer qui a poursuivi l’action culturelle, les années quatre-vingt ont moins répondu par l’animation que par un glissement délibéré vers le spectaculaire. Passent les modes. Quel directeur de centre, quel critique organisateur indépendant, oserait encore se parer du nom d’animateur ? On va désormais recruter les organisateurs d’expositions dans les écoles de « médiateurs ».

La scène internationale n’a pas été avare de grandes machineries médiatiques, expositions fleuves, historiques ou programmatiques [33]. Il est vrai que la plupart des centres d’art ne disposent pas de moyens suffisants pour atteindre une telle ampleur. Sauf à inscrire leurs expositions « dans le cadre de » manifestations plus importantes, par association de divers partenaires, à l’échelle de toute une ville ou d’une région, sauf à organiser telle monographie simultanément dans plusieurs lieux [34] — l’État n’étant pas en reste avec la nationale Ruée vers l’art (dont l’infantilisme du titre a été relevé).

L’évolution des loisirs est telle que les formes de consommation à horaire fixe (théâtre, cinéma) se sont vues supplantées par celles à domicile (télévision) ou celles sans contrainte d’horaire (parcs de loisir…). Certains centres ont leur temps fort l’été, époque privilégiée d’affluence touristique [35]. Des offres de consommation complémentaires entourent de plus en plus l’exposition : salle de projections avec programmation vidéo [36], librairie [37] et comptoir de vente de produits annexes. Et quand l’exposition s’inscrit dans une animation plus générale du site — avec ou sans parc de sculptures [38] —, la notion de loisir est encore plus centrale.

Une autre forme de réponse tient dans l’aménagement des lieux et dans leur aptitude à induire des réalisations aux dimensions de l’architecture — effet de la propension nouvelle de certains organisateurs à solliciter les artistes dans ce sens. Le parti tiré à plusieurs reprises, au CAPC, à Bordeaux, de la grande salle de l’Entrepôt Lainé est exemplaire des one work shows à grande échelle. L’aménagement du Magasin, à Grenoble, avec sa « rue », vise tout entier la production d’œuvres spectaculaire [39]. On peut se demander si la vogue des expositions (celle des grandes rétrospectives et des grandes manifestations dans le genre Westkunst) n’est pas déterminée par la nécessité d’une recherche plus générale de nouvelles formes de spectacle ; l’exposition de centre d’art jouant sa partition dans ce concert, en se posant comme terrain privilégié d’une expérimentation in vitro, où le problème du public serait en définitive secondaire (puisque les modèles mis au point seraient exploités ailleurs, à une échelle de masse). À moins que le rapport ne soit pas aussi direct et qu’il ne s’agisse que d’une élaboration paradigmatique du spectaculaire.

Production de la valeur.

Les expositions sont aussi surdéterminées par le marché. La croyance entretenue en une opposition entre le secteur public subventionné et le secteur privé marchand masque l’étroitesse des liens et la complicité des acteurs [40]. Les mêmes œuvres présentées en galerie ne figurent-elles pas dans des expositions de centre d’art, et vice versa ? Par la présentation de « collections privées [41] », le directeur de centre ne fait-il pas la démonstration de sa bonne pénétration du milieu ? (au même titre que le conservateur de haut rang se doit d’être introduit, pour savoir où sont les œuvres).

Autour de certains noms s’organisent des stratégies promotionnelles plus ou moins avouées. Ces stratégies artistico-marchandes peuvent recouvrir l’aire d’une région, notamment quand un centre y exerce le leadership. Des relations privilégiées se nouent alors entre des artistes et une institution : celle qui leur offre des occasions d’exposer plus fréquentes qu’ailleurs [42]. À une plus grande échelle, les centres d’art subventionnés, implantés en province (ou en banlieue), participent à un « concert » économique dont la « partition » règle les rapports entre centre et périphérie. Du point de vue de la production de la valeur marchande de l’art (qui, non plus que la « distinction », n’est le tout de la valeur de l’art, comme certains sociologues voudraient le faire croire), les expositions sont bel et bien l’occasion de tester des « produits » en transférant sur le secteur public le coût de l’expérimentation [43].

« Les œuvres récentes de », à quoi peuvent se résumer nombre d’expositions personnelles, est une trame empruntée aux galeries qui « promotionnent » ainsi un nouveau « produit ». On peut rester perplexe quand le « lancement » d’une nouvelle série de tableaux est travesti en « projet original » pour tel centre. Mais, c’est sur le terrain même des centres d’art, et de leur capacité à être des lieux d’expérimentation et de production, que les interférences sont les plus significatives. Les années quatre-vingt, qui ont vu se créer nombre d’entre eux, ont été aussi le cadre d’un accroissement de la surface de certaines galeries qui, en matière d’outil offert aux artistes, sont nettement concurrentielles, d’autant plus quand elles s’ouvrent à des projets non directement commercialisables, dans le cadre d’une stratégie marchande qui emprunte des chemins détournés.

La détection de nouveaux talents donne lieu aux inévitables Ateliers [44], Propositions et autres Juxtapositions. Les écoles d’art servent de bassin de décantation (on parle de Germination ou de Pépinières d’artistes). Partout, ou presque, l’estampille « jeunes artistes » est une garantie de fraîcheur qui ne saurait se discuter ! Tous les centres, ou presque, apportent leur contribution à ce festival d’expositions-découvertes, suivi avec attention par les promoteurs et acheteurs de toutes sortes ; et si le marché délègue volontiers le soin d’assumer les premiers risques, attendant son heure, il surveille de près les valeurs qui émergent et les récupère parfois très rapidement.

Le recours à un critique existe d’un côté comme de l’autre, où se sont multipliées les expositions promotionnelles à thème enrobant en une salade vaguement intellectuelle un strict enjeu compétitif. La « carte blanche » à un commissaire invité paraît convenue, à côté d’entreprises plus immodestes où ce dernier s’autorise d’un « concept », argumente à coup d’histoire de l’art, convoque les sciences humaines, emprunte à des domaines extra-artistiques (la théorie des catastrophes, par exemple !) ou encore impose un ésotérisme « branché » (celui de la « culture » des mass media la plus up to date).

En France, le dernier mouvement labélisé en date (la Nouvelle Figuration) a plus de dix ans d’âge. C’est que la mode est aux regroupements à géométrie variable. On recherche agitateurs capables de relancer une « dynamique » ! On pourra toujours se demander si les efforts (oh combien sincères !) pour réinsuffler de l’énergie, pour lutter contre l’entropie, ne sont pas la face noble d’un système de l’art qui est lui même en parfaite symbiose avec un système économique fondé sur le renouvellement incessant de l’offre.

Scénographies

Il faut faire événement, voilà le mot d’ordre, et l’on comprend que l’exposition ait quelque similitude avec les arts du spectacle.

L’idée qu’il existe une scénographie de l’exposition part du constat que, lorsqu’il aborde le moment crucial de la présentation des œuvres et de leur disposition dans l’espace, l’organisateur effectue un travail assimilable à une mise en scène. Ce discours s’est surtout développé dans l’orbite d’une muséographie tournée vers l’objet scientifique ou ethnographique, mais il a envahi, depuis, tous les secteurs de la discipline [45]. Le sophisme qui justifie un tel glissement est à peu près celui-ci : ce sont les musées relevant d’une approche anthropologique ou culturaliste (et non des beaux-arts) qui ont montré l’importance de la mise en scène dans l’exposition ; d’ailleurs l’atmosphère de ces musées a influencé certains artistes ; il y a toujours en l’occurrence « recréation ». De là, à se demander si « une bonne muséographie ou une bonne scénographie ne valent […] pas mieux qu’une mauvaise œuvre d’art », en pensant qu’il existe des « muséographies qui sont à plusieurs degrés et offrent plus de complexité que certaines œuvres […] [46] ». De là, à ouvrir la porte à des scénographes (conservateurs, architectes ou décorateurs) pour l’art en général, et y compris pour l’art contemporain.

Quand il fait partie de l’œuvre, le display (comme disent les Anglais) place l’artiste en concurrence directe avec l’organisateur, le commissaire ou le scénographe. L’exposition est un terrain ou les rôles respectifs viennent à se redéfinir. Les centres d’art, heureusement, n’ont pas subi la mode du scénographe extérieur, constructeur d’un décor toujours plus ou moins manipulateur, et la plupart du temps en parfaite contradiction avec l’esprit des œuvres. Qui nous libérera de ces « installations » entourées d’une barrière, de ces Carl Andre ou de ces Richard Long sur socle, et de ces murs d’exposition qui ressemblent à un Richard Serra ?

Le cas des artistes « metteurs en scène », comme Rémy Zaugg, doit être soigneusement distingué, surtout quand leur œuvre s’entrelace inextricablement avec leur travail d’architecte [47]. Des musées se sont mis également à inviter des artistes pour présenter leurs collections, réserves comprises [48]. Par ailleurs les artistes se font, de plus en plus, les metteurs en scène de leurs propres œuvres [49]. La revendication légitime de beaucoup, soucieux d’exercer leur responsabilité jusque dans la présentation, et refusant donc d’en déléguer l’exercice, a été décisive ; autant que l’existence, depuis les années soixante, des « musées personnels [50] » ; et en ajoutant le fait que de nombreuses expositions sont constituées d’une seule « installation » dans laquelle il est impossible de séparer l’œuvre de sa mise en scène.

Il n’y a pas d’exposition sans lieu de l’exposition : écrin architectural traditionnel, construction moderniste instrumentalisant l’accrochage, cube blanc soi-disant neutre et condition de lecture de l’énoncé artistique, ou environnement plus chargé, signe d’une recherche renouvelée de contextualisation de l’œuvre [51]. En bien ou en mal, les espaces offerts participent à la donation du sens. La critique faite aux architectures de musée imposant, par trop, leur propre discours, est valable pour les rares centres qui ont été construits ou réaménagés par un homme de l’art. Le handicap est grand quand le centre d’art est un lieu figé. Les espaces sommairement aménagés ont l’avantage d’être plus souples. Cependant l’espace industriel de type loft n’est plus qu’un modèle alternatif parmi d’autres. On voit bien, au nombre d’expositions qui, depuis les années soixante-dix, se sont déroulées dans des lieux inusités — et le mouvement n’a fait que s’accroître ces derniers temps —, que les artistes et la scène artistique en général, sont de plus en plus friands d’expériences hors les murs conventionnels. Ainsi des centres d’art abandonnent-ils, un temps, leurs murs usuels [52].

Sur ce registre contextuel, ils se sont largement faits doublés par des artistes [53], par des organisations parallèles [54], et surtout par des curators, par des commissaires free lance, tous partis à la recherche de lieux autres, et qui ont multiplié les expositions dans des vitrines, des appartements, des chambres de bonne ou d’hôtel [55].

Grâce en partie au « musée imaginaire » (qui permet de vérifier, après coup, ce que l’œil a pu ne pas voir), on a pris conscience que la réussite, avant d’être dans un nom de star, le titre ou l’épaisseur du catalogue, réside dans l’œuvre en tant qu’elle se manifeste, qu’elle se communique. Beaucoup de centres, mesurant l’enjeu, font dès lors de leurs catalogues une mémoire de leurs expositions, avec des photographies qui documentent précisément l’événement visuel et non des œuvres antérieures. D’où, parfois, ces œuvres qui ne sont faites que pour la photographie. D’où, aussi, ces vues de l’exposition qui vont jusqu’à ne rien dire sur l’œuvre ou pas grand-chose (des tableaux, peu visibles sur la photographie, par exemple) ; c’est alors, de toute évidence, le centre qui se « vend » en montrant ses espaces d’accrochage — symptôme récurrent, s’il en est, d’une communication institutionnelle prenant le pas sur l’art. Comme disait Daniel Buren, dès 1972, et le trait est encore d’actualité, « de plus en plus le sujet de l’exposition tend à ne plus être l’exposition d’œuvres d’art, mais l’exposition de l’exposition comme œuvre d’art ».

Le group show en question.

Avec la fin des idéologies modernistes s’éteint aussi la possibilité d’englober l’art dans tel ou tel concept à prétention universelle. Ce qui devient universel, pour ainsi dire, est le règne de la juxtaposition de singularités artistes. Sonne le glas des expositions à thèmes lénifiants et consensuels et se propage la mise en cause du critique y ayant recours (le procès n’est pas nouveau, il a été relancé tout récemment par Les Levine [56]). La promotion des seuls noms propres a pour corollaire la montée de l’exposition personnelle.

Il existe, tout d’abord, une sorte d’exposition personnelle qui se pourrait dire moyenne si cela ne passait pour infamant, faite, comme certains artistes en ont le secret, d’un mélange soigneusement dosé d’œuvres réalisées sur place ou tout du moins nouvelles et d’autres, déjà vues ailleurs, plus anciennes parfois, mais le tout se gardant d’aller jusqu’à la rétrospective.

Plus singulièrement, l’exposition personnelle prend un titre, se déploie selon l’ordre d’une série ou s’arrête sur un aspect particulier de l’œuvre dont l’ensemble n’a jamais été réuni intégralement [57]. S’affichent la revendication de la primeur et la relation privilégiée que le centre dit, à cette occasion, avoir entretenue avec l’artiste, lequel est : « un ami qui nous fait confiance, l’exposition a été négociée depuis longtemps [58] ».

Une ligne sépare également les centres qui osent l’exposition personnelle inédite, sur toute leur surface, de ceux qui atténuent le risque par la juxtaposition de plusieurs monographies. Les premiers suivent la voie tracée par des institutions-phares des années soixante-dix (comme les Kunshallen de Berne et de Bâle, les Musée d’Eindhoven et de Mönchengladbach ou la White Chapel à Londres). La capacité de dépense fastueuse est aussi un signe distinctif [59].

L’envers de cette fixation sur le genre monographique tient dans l’idée que l’exposition de groupe doit être la simple addition de prestations personnelles : l’organisateur finit par mettre chaque artiste dans une boîte séparée (puisqu’il ne veut ni engendrer d’interférence ni assumer les effets de la confrontation), et le public, ouvrant et refermant les portes des « espaces individuels », en est réduit au zapping [60].

Hors de toute convention selon laquelle existeraient des règles préétablies définissant l’exposition personnelle, l’organisateur peut aller jusqu’à « entretenir un rapport d’instrumentalisation à l’artiste [61] ». Il s’éprouve alors comme un caméléon s’adaptant chaque fois à une singularité dans tout ce qu’elle peut avoir d’intransigeance, comme s’il remettait tout en jeu dans une aventure renouvelée. La meilleure part des expositions de centre d’art réside dans cette porte ouverte, dans cet accueil de « projets » inouïs qui doivent tout à l’artiste et le minimum à l’organisateur. L’écoute conséquente des artistes peut même conduire à des échappées hors les murs ou hors le temps de l’exposition [62] — jusqu’au point où s’entr’aperçoit, comme une bouche d’ombre rapidement refermée, l’éclair d’un sens, selon l’ordre d’une remise en question aiguë de l’institution. Aussi y a-t-il les centres qui assument ce risque répété, se veulent être des « lieux de production [63] » et les autres, ceux qui tempèrent, veulent d’abord éduquer le public, ceux où le propos des organisateurs ne sait pas s’effacer devant celui des artistes.

Tout est là dans ce « travail » que le centre réalise avec l’artiste. Il semble que l’on touche ici au « cœur du jeu », à ce noyau qui ne saurait se questionner tant il emporte l’adhésion des plus avancés. Ici s’approche le consensus naissant, sur lequel voudrait s’appuyer solidement le centre d’art. On peut le mesurer au caractère absolu et intransitif du mot « travail ». Car celui-ci est sans objet déterminé, sans support matériel, ni lieu, ni même agent pré-définis. Il a eu lieu, et sa seule existence manifestée vaut en tant que légitimation intrinsèque. Le « travail » est la raison d’être du centre, sans conteste. Il tente de faire taire les « à quoi bon » qui portent sur l’institution elle-même, quand les alibis extrinsèques, essoufflés et vieillis, peinent à répondre à l’interpellation du politique.

Le jeu de l’exposition.

Dans son étude sur les grandes expositions, Jean Marc Poinsot distingue l’écriture de l’histoire, l’énonciation de projets et de valeurs esthétiques et la fonction symbolique (le mythe).

L’écriture de l’histoire de l’art n’est pas du seul ressort du musée. Elle s’écrit aussi, au présent à partir des œuvres qui émergent, ce qui revient à dire qu’elle se réécrit sans cesse. Qu’elle soit celle d’un directeur de centre ou celle d’un commissaire invité, la critique sollicitée multiplie les « essais » qui tentent, en dégageant un moment, une tendance ou un courant, d’indiquer un sens par un éclairage personnel [64]. En guise d’écriture de l’histoire, on ne saurait se contenter d’enregistrer après coup ce qui a déjà donné lieu à de fort belles recensions à l’étranger ! Que la rapidité de réaction fasse défaut, ou que l’éclairage vienne à manquer, on tombe facilement dans la commémoration répétitive.

Le second jeu est dans l’énoncé de nouvelles valeurs esthétiques. Il se repère dans les partis pris des programmations [65] autant que dans les expositions où le commissaire sait tenir un propos sur le présent de l’art et ses enjeux. La production de seuls énoncés esthétiques est cependant insuffisante. Isolées, ces valeurs ne « prennent pas » et passent aussi vite qu’apparues. L’attitude du critique traditionnel est usée. Une première alternative consiste à porter le débat sur un plan philosophique [66]. Une seconde réside dans la transformation de l’énoncé esthétique qui, de simplement « constatif », devient « performatif ». L’énonciateur devient promoteur. Plusieurs propositions, émanant de jeunes critiques français visent une production de situation. L’exposition se veut « arrêt sur l’image » d’un work in progress de groupe et prend les allures d’un workshop inachevé [67]. Dans les French Kiss, Il faut construire l’hacienda, et autre No man’s time [68], est indubitablement recherché un effet d’ambiance — ou du moins la reproduction artificielle d’une impression telle [69] —, un effet comparable à ce que Büro Berlin (à partir de 1978) et le Time square show (New York, 1980) avaient pu distillé.

Quant à la fonction symbolique, Rüdiger Schöttle l’illustre parfaitement par la dimension utopique de son Bestiarium [70] (dont le thème se voulait aussi productif, en tant que source d’inspiration et de sollicitation pour les artistes), par les références multiples au Songe de Polyphile, à la Psychotoromachie, à la symbolique de Versailles et aux architectes des lumières. Sur ce terrain, aucun critique français n’a jusqu’à présent emboîté le pas d’Harald Szeemann.

On ne saurait s’en tenir aux trois figures précédemment évoquées. Gardons-nous aussi d’enterrer trop vite les expositions de groupe. Quand les artistes se mettent eux-mêmes à manipuler des œuvres qui ne sont pas les leurs, force est d’admettre que c’est un parmi d’autres des jeux de langage de l’art contemporain, même si celui-ci déplace parfois les limites de la notion d’auteur et soulève des problèmes de rapports de pouvoir. Tombe la morale du metteur en scène en retrait. Le groupe Présence Panchounette, par exemple, ne s’embarrasse pas de scrupule quand il replace les œuvres d’une collection, dans des contextes de décor privé, avec mobilier [71] (en rapportant la présentation à une pratique culturelle de masse, démonstration veut être faite de la fonction décorative de l’art, toujours déniée dans les sphères de la « distinction »). Et la dimension ludico-linguistique, empruntée à Wittgenstein, est celle même sur laquelle s’appuie Joseph Kosuth dans ses essais d’artiste-curator [72].

Du côté des commissaires, le dépassement des genres convenus a été rendu possible par une morale de l’explicite. Seth Siegelaug, dans les différentes expositions qu’il organisa à New York [73], en 1969 et 1970, et Michel Claura, avec lui, pour 18 Paris IV [74], en 1970, annonçaient clairement les règles du jeu proposé, ouvrant ainsi la voie pour qu’en soient inventées de nouvelles. À Pierre et Marie [75] s’appuyait à la fois sur le non-conformisme d’un lieu désaffecté (mode lancée par PS1, à New York, dès 1977) et sur l’effet de palimpseste, chaque épisode venant s’ajouter aux précédents. Présence discrète [76], reprenait l’idée d’une confrontation/interférence dans les salles de collections classiques d’un musée, mais en y adjoignant une injonction à la discrétion. Pour vivre heureux vivons cachés [77] substituait l’espace privé du collectionneur ou de l’amateur à l’espace public de la galerie ou du musée. Une autre affaire [78] représentait, après coup, des expositions ayant déjà eu lieu. Cette idée de délocalisation fait d’une exposition itinérante un projet chaque fois réécrit [79]. Soit dit au passage, tous ces jeux, initiés par des organisateurs, doivent beaucoup à la diversité des dispositifs explorés par Daniel Buren dans l’ensemble de son œuvre.

Un colloque invoquait récemment A new spirit in curating [80]. Si plusieurs participants sont à l’origine de manifestations dans des lieux « autres », il semble que le jeu ne se limite pas à cette seule quête commentée plus haut (à cette fuite ?). D’ailleurs, au même titre que les lieux institutionnels, ils ne sont plus perçus que comme une option parmi d’autres [81]. Des perspectives différentes se dégagent, et l’expérimentation porte aussi sur la mise en évidence du réseau d’information et de communication qu’est l’exposition. Les organisateurs qui en sont à l’origine, effectuent une sorte de retour sur des gestes déjà esquissés dans la mouvance de l’art conceptuel et de ses suites. Le Museum in progress d’Alexander Dorner, instrument sans lieu fixe d’une recherche d’espaces médiatiques, n’étant que l’acmé de ce regain d’intérêt. L’œuvre de Claude Rutault [82], qui met en scène, depuis 1975, un tel système de communication et d’échange, aurait pu être citée. Perce parfois la croyance en l’effectivité de cette communication, et le départage entre la fiction et la réalité n’est pas toujours fait [83].

De façon emblématique, Sous le soleil [84] visait rien moins qu’à l’abandon, pour un temps, du programme d’exposition de la Villa Arson. La commande d’œuvres temporaires, la liberté dans le moment et la durée de la réalisation, la diversité des contextes proposés, l’opposition entre les œuvres en situation et leur transport, ou leur trace, dans des salles dites du musée, tout cela constituait autant de remise en question des données habituelles du jeu de l’exposition.

***

Le spectaculaire, la scénographie, la production, le projet, la commande, l’explicitation de la règle du jeu, les dispositifs de communication (…) constituent autant de lignes de fuites. L’exposition est un potentiel dont il serait stupide de vouloir arrêter la définition. La complexité requise interdit de la laisser rabattre sur des concepts « prêts à porter », fussent ceux récemment agités de l’information, de la médiatisation ou de la communication. Pour le meilleur, elle demeure le point aveugle autour duquel s’enroulent des expériences parfois contradictoires, le noyau vide d’un questionnement.

Les centres d’art n’ont certes pas la primeur de l’organisation d’exposition. Il est même douteux qu’ils en détiennent une conception spécifique tant il est vrai que le contour des institutions est devenu flou, comme d’ailleurs celui du rôle des différents acteurs de la scène artistique.

Cependant, le caractère récent de leur émergence peut les soustraire aux pesanteurs. Dans leur définition incertaine, dans le tremblé de leur image et dans ce qu’elle comporte de « clocherie », dans l’inquiétude du questionnement, ils sont des lieux, où peuvent s’écrire des pages vivantes, des plus significatives de l’art, des lieux où l’art peut « avoir lieu » [85]. Pour autant qu’ils soient réellement à l’écoute des artistes et sachent se libérer des recettes éprouvées ailleurs, pour autant qu’ils pratiquent l’attention flottante et qu’ils excellent dans un certain art de la déliaison, — sans esquiver la crise, jusqu’au point de rupture et jusqu’à la subversion de leurs propres limites. Le reste n’est que remplissage.

Notes

[1]. Evelyn Beer et Riet de Leeuw (sous la direction de), L’Exposition imaginaire. The art of exhibiting in the eighties, La Haye, SDU Uitgeverij et Rijksdienst Beeldende Kunst, 1989.

[2]. Chez Daniel Buren, qui a écrit très tôt plusieurs textes sur le sujet, la critique part pour ainsi dire du musée (cf. Limites critiques, Paris, Yvon Lambert, 1969 ; « Position/Proposition » in catalogue de l’exposition Daniel Buren, Mönchengladbach, Städtisches Museum Abteiberg, 1969 ; « Exposition d’une exposition » in catalogue de l’exposition Documenta 5, Cassel, 1972). Plus récemment, Yves Michaud (in : L’Artiste et les commissaires, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1989) a également attaqué, mais d’un autre point de vue, le pouvoir des organisateurs.

[3]. G. Paolini, L. Fabro, J. Vieille, D. Graham au Nouveau Musée, à Villeurbanne ; N. Toroni, Cl. Parmiggiani, Fr. E. Walther, M. Verjux, M. Nannucci à la Villa Arson, à Nice ; M. Lupertz, R. Jakobsen et J.-R. Soto à l’Abbaye Saint-André, à Meymac ; Zush, Fr. Bouillon, P. Kirkeby à Labège ; R. Opalka et P. Van Cæckenberg au CCC, à Tours ; J. Dubuffet, M. Broodthaers, E. Kelly, M. Raysse, E. Hesse et Takis au Jeu de Paume, H. Van den Ban à Ivry, P. Giorda à Saint-Priest ; B. Lavier, organisé par le Consortium, à Dijon… Les Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) ne sont pas en reste. Cf. par exemple : M. Aballéa, W. Wegmann, R. Monnier, D. Hubler et J. Mogarra au Frac du Limousin.

[4]. Le Nouveau Musée, par exemple, qui a su nouer à ces occasions des relations successives ou récurrentes avec Lucerne, Bâle, Liverpool, Londres, Eindhoven, Berne, Édimbourg, Chicago, Rotterdam…

[5]. Pour les premières, cf. les petits formats du Credac, à Ivry, ou la série des succès du Bedac, au Consortium, à Dijon ; pour les secondes, celles du Jeu de Paume ou du Musée national d’art moderne, par exemple.

[6]. Forma Uno et Zen 49, à Saint-Priest, Le cinétisme à Meymac, Une scène parisienne à Rennes.

[7]. Cf. la série de Meymac : La fin des années 60, Les années 70, Les années 80. Et aussi à Rennes : C’est pas la fin du monde.

[8]. La nouvelle peinture expressionniste est allemande, les Anachronistes sont italiens… et la sculpture ne peut être qu’anglaise !

[9]. K. Sonnier, J. Winsor, C. Visser, J.-G. Coignet, R. Grosvenor, T. Brown, W. Kopf, E. Saunier, S. Solano, D. Vermeiren à Kerguéhennec ; M. Kippenberger, W. Kopf, H. Kiecol, H. Zobernig, Meuser, A. Schiess, H.-F. Müller, A. Kirili, G. Rockenschaub, E. Bossut, E. Wurm, E. Spalletti, à la Villa Arson, dans la grande salle carrée. Histoires de sculpture (Château de Cadillac, 1984), par goût du paradoxe, subsumait sous ce titre des œuvres murales.

[10]. Bernard Blistène, in : Danses tracées, (Marseille, 1992). Le mariage entre plasticien et chorégraphe, est célébré à la Ferme du Buisson, à Noisiel. Cf., également, les belles expositions De architectura, et Le Credac fait son cinéma (Ivry, 1991 et 1992).

[11]. À Quimper, notamment (Fukuda, 1991, Uwe Loesch, 1993).

[12]. Diller et Scofidio, au Magasin, à Grenoble, après Arc en rêve, à Bordeaux, en 1992 (exposition en provenance de Tokyo) ; puis au Centre d’art contemporain de Castres (1993). Le Magasin, le Nouveau Musée, à Villeurbanne et le CCC, à Tours sont les plus attentifs à l’architecture.

[13]. Cf. Jean-Marc Poinsot, « La transformation du musée à l’ère de l’art exposé », in L’Atelier sans mur, Villeurbanne, Art édition, 1991.

[14]. La plus importante est celle du Consortium, à Dijon, consacrée au Château d’Oiron, l’été 1992. Le Nouveau Musée en a également constitué une. Il faut compter aussi les centres qui se doublent d’une collection municipale (comme celui de Saint-Priest) ou régionale (c’est le cas des lieux rattachés à un Frac qui fonctionnent, de fait, comme un centre d’art — celui du Limousin par exemple).

[15]. C’est toute l’histoire du CAPC, à Bordeaux.

[16]. C’est la « stratégie » que j’avais adoptée en présentant successivement, à Chalon-sur-Saône, les collections des musées de Grenoble, Saint-Étienne et Toulon. Cf., plus récemment, celles de Saint-Étienne et d’Eindhoven présentées au Nouveau Musée, à Villeurbanne.

[17]. — Non ! Carl Andre ne s’écrit pas avec un accent sur le « e ».

[18]. Le premier, en 1820 et 1821, à l’Egyptian Hall, à Londres, puis à Dublin. Le second, en off du pavillon des Beaux-Arts de l’exposition universelle de 1855. Delacroix avait déjà noté dans son journal, le 3 avril 1847, un conseil de Théophile Gauthier, le poussant à organiser une exposition personnelle.

[19]. Le Consortium a cependant produit Le choix des femmes (1990). Bernard Marcadé, dans Le milieu du monde (Sète, 1993), a panaché soigneusement les nationalités autour de la Méditerranée.

[20]. Modèle repris au Nouveau Musée, en 1982.

[21]. À la Villa Arson, ne pas confondre la galerie de la Villa et la galerie de l’École !

[22]. La mode est même à la disparition des cartels à côté de chaque œuvre ; le seul récapitulatif par salle transforme la visite en jeu de piste.

[23]. Les programmations actives dans de tels lieux, à Rennes, Grenoble, Chalon-sur-Saône ou Saint-Étienne appartiennent au passé. L’Apac, à Nevers, est également née de l’éviction d’Yves Aupetitalot de la Maison de la culture.

[24]. Cf. Di Suvero, invité par le Cracap et l’ex Maison de la culture de Chalon-sur-Saône en 1975. Dans ce même lieu, sous la direction de Jean-Jacques Fouché, la rétribution systématique de l’artiste était en usage dès 1978 (réalisations de Untel, D. Spoerri, A. et P. Poirier, Présence Panchounette, M. Verjux, J. Gerz, J. Vieille…).

[25]. Le Nouveau Musée invite Tony Cragg dans une usine désaffectée ; le CCC de Tours expose le résultat de séjours à l’atelier Calder (Saché) ; la Villa Arson bénéficie de sa propre structure d’accueil ; le Magasin à Grenoble a ses ateliers et le centre de Vassivière, le sien ; la Villa Saint-Clair expose ailleurs, en ville, le résultat de séjours en son sein ; à Clisson (après Fontevrault), les ateliers des Pays-de-la-Loire se transforment en lieu d’exposition en fin de séjour ; le Creux de l’enfer (Thiers) s’annonce, comme « un lieu où les artistes du métal présents sur la scène nationale et internationale se confrontent à un site et à une histoire » (plaquette de présentation de 1988). Le cas du Cirva, à Marseille, lieu de production qui n’expose pas, est à mettre à part.

[26]. Miguel Eguaña, l’âge d’or, l’âge de fer (1990) est un exemple, parmi d’autres, de titre à double entrée : il peut se lire comme une réponse à la vocation inscrite au départ de la création du Creux de l’enfer — les art du métal —, laquelle passe pour « ringarde » (la directrice actuelle refuse de s’y laisser enfermer), on peut aussi y entendre le propos personnel d’un artiste acceptable par cette même scène.

[27]. Le projet Sous le soleil m’a permis personnellement de les mesurer (voir plus loin).

[28]. Par exemple, La compagnie des objets (Le quartier, Quimper, 1990), fort bel essai portant sur la nature morte.

[29]. L’œuvre reproduite (Meymac, 1991), par exemple.

[30]. Par exemple, la très belle exposition sur le hasard : Play Time (Fréjus, 1993).

[31]. Cf., également, ceux où le nom des personnalités est plus gros que celui des artistes ; ou encore, cet été, ce dossier de presse comportant un curriculum vitæ des organisateurs — ce qui déjà est pour le moins curieux —, plus important que la notice dévolue aux œuvres.

[32]. Sous-titre d’exposition à Passages, à Troyes.

[33]. Paris – New York, Paris-Berlin, Paris-Moscou, Paris-Paris, Westkunst, New Spirite in Painting, Zeitgeist, La Grande parade, Bilderstreit, Art & Pub, Manifeste, MetropolisCf. Jean-Marc Poinsot « Les grandes expositions », in L’atelier sans mur, op. cit.

[34]. Cf., respectivement : Caravelles, à Grenoble, Lyon et Saint-Étienne et Nouvelles Scènes, à Dijon ; L’automne des arts à Lyon ; le centenaire de Gaston Bachelard en Champagne-Ardenne ; Kirkeby, en 1987, simultanément à Labège et Tours et Pistoletto, en 1993 à Rochechouart, Vassivière et Thiers.

[35]. Kerguéhennec et Meymac (fermés l’hiver, tout ou partie), Vassivière (qui n’est ouvert toute l’année que depuis 1991), la Villa Arson (qui étend, à cette occasion, sa surface d’exposition).

[36]. Celle de l’Elac a été la plus soutenue ; celle du Jeu de Paume, plus récemment, propose de véritables rétrospectives (Dan Graham par exemple) et un espace d’installations multimédia indépendant des cimaises (cf. celles de R. Ruiz, Th. Kuntzel…).

[37]. Les principales sont celles du CAPC, de l’Elac, du Magasin, et du Jeu de Paume.

[38]. Kerguéhennec, Vassivière, la Villa Arson.

[39]. Cf. les œuvres produites pour la « rue » de : R. Barry, G. Bijl, D. Buren, S. LeWitt, R. Long, M. Mullican, S. Spitzer, P. Steir, J. Villeglé, J.-L. Vilmouth… Les œuvres commandées par Thierry Raspail pour le musée Saint-Pierre (art contemporain), à Lyon, relèvent d’un même parti pris.

[40]. Sur la complicité des acteurs, les stratégies promotionnelles et le règne du publicitaire, cf. mon « Art worlds et Res publicita », in catalogue de l’exposition Art & Publicité 1890-1990, Centre Georges-Pompidou, Paris, 1990.

[41]. Collection Christian Stein, au Nouveau Musée ; Collection Agnes et Fritz, Becht, à Labège ; Passions privées, à Saint-Priest ; Passage d’un collectionneur, à Troyes… L’argument de ces présentations est complexe : s’y mêlent aussi le souci pédagogique et l’espoir de faire naître des vocations (de collectionneur).

[42]. Des artistes vivant en Bourgogne (ou y ayant de fortes attaches), tels C. Bart, S. Bossu, D. Dessus, Gl. Friedmann, B. Lavier, Ming, M. Verjux, V. Verstraete, J. Vieille ont tous eu au moins une exposition personnelle organisée par le Consortium (association Le Coin du miroir), à Dijon — centre qui par ailleurs fait souvent commerce des œuvres exposées —, ou par l’Atheneum (mêmes commissaires).

[43]. À ma connaissance, le phénomène a d’abord été mis en lumière par Howard S. Becker (Art Worlds, Berkeley, University of California Press, 1982).

[44]. Dont le modèle reste ceux de l’ARC, à Paris. Cf., également, les expositions d’été du Nouveau Musée (1984 et 1993).

[45]. Cf. les scénographies des expositions du Grand Palais, à Paris, par Richard Peduzzi ; celle de Stark pour Trente années de design français (CCI, Centre Georges-Pompidou) ou celles de Jean Nouvel (Entre béton et rock, le design des années cinquante ; La Bagarre d’Austerlitz). De nombreuses expositions d’architectes sont aussi auto-scénographiées (Hollein, Ando…). Et sans compter les scénographies de collections, comme celles de Gae Aulenti souvent citées.

[46]. Présentation par André Desvallées du recueil collectif Vague — une anthologie de la nouvelle muséologie, vol. 1, Mâcon, MNES, 1992. La concurrence qu’il évoque, entre les conservateurs de la nouvelle muséologie et les designers qui en auraient détourné le propos, est, du point de vue qui nous occupe, secondaire. Voir également, du même auteur, « Vérités premières de muséographie… et de muséologie » in Scénographier l’art contemporain, Mâcon, MNES, 1988.

[47]. Cf. sa présentation des collections du Kunstmuseum de Berne et ses écrits (par exemple : « Construire un lieu public de l’œuvre d’art », in L’œuvre et son accrochage, Cahiers du MNAM, n°17-18, Paris, Centre Georges-Pompidou). Cf. aussi son exposition Conscience, Giacometti et Kawara (Le Consortium, 1990).

[48]. Dans Raid the Ice boxe, à Houston, New Orleans et Providence, en 1970, Warhol, invité, avait sélectionné des objets pris dans les réserves du Museum of Art de la Rhode Island School of Design. Plus récemment, en 1991, Kosuth s’est adonné au même exercice, au Broklin Museum, sous le titre : The Play of the unmentionable (catalogue, Londres, Thames and Hudson, 1992).

[49]. Didier Vermeiren, donna ainsi, en 1987, dans la grande salle carrée de la Villa Arson, une très belle présentation d’un ensemble de ses sculptures, avec une référence maîtrisée à la salle de sculpture du musée classique. La juxtaposition de celles d’Éric Dietman, dans la grande salle du CCC, à Tours, en 1991, les éclairait d’un jour nouveau. Sarkis, au Magasin (1991), a remis en scène, sur de grandes tables basses, ses propres travaux antérieurs…

[50]. Cf. AA Bronson & Peggy Gale, Museum by artists, Toronto, 1983. Il faut citer, ici, Oldenbourg, Spoerri, Filliou, Boltanski, Broodthaers… (sans compter la Boîte en valise de Marcel Duchamp). Les exemples récents sont ceux de Y.-J. & P. Devautour (Villa Arson, 1988), D. Sans-Arcidet (Musée Khômbol, Toulouse, 1991…), M. Kelley (The Uncanny, Gemeentemuseum, Arnhem, 1993). Des organisateurs, sur le modèle d’Harald Szeemann, utilisent aussi la forme « musée », tel Bernard Marcadé pour Moules moules (Sète, 1991).

[51]. Qui se manifeste aussi par le besoin renouvelé d’avoir de « vrais murs » (cf. Dominique Bozo, entretien, in Cnac Magazine, mai 1985). Sur le passage du cube blanc à l’espace re-contextualisant, on trouvera des éléments d’analyse dans mon essai : « L’exposition et son lieu » (L’objet expose le lieu, Paris, Expo. Média, 1986).

[52]. Par exemple, le Cedac (alors en travaux) organisant l’exposition Triptyque dans la chapelle d’un hôpital (1993).

[53]. Exemple : La Zombée, un squat d’artistes à Montreuil.

[54]. Palikao, l’Hôpital éphémère…

[55]. Respectivement : Ida Biard ; Tracy Williams, Mo Gourmelon… (à la suite de Ghislain Mollet-Viéville) ; Pierre Leguillon ; Hans Ulrich Obrist (Carlton Palace, chambre 763).

[56]. Dans son œuvre textuelle intitulée Group shows cut up the group, il milite pour l’élimination des expositions de groupe : « Let’s make the 90’s a decade without group shows ».

[57]. Cf., par exemple, les expositions personnelles, à titre, au Magasin, à Grenoble : Châteaux d’eau de Bernd et Hilla Becher, les Nymphes de P.-A. Gette ou la série de tableaux humoristiques de R. Prince…

[58]. Cf., par exemple, le « travail » du CCC, à Tours, avec Panamarenko.

[59]. Cf., par exemple, les propositions de Lawrence Weiner, inscrites sur les murs, dans toutes les salles du Nouveau Musée, quand un livre suffirait à les contenir.

[60]. Je vise ici l’aménagement de la Halle Tony-Garnier, à Lyon, pour la Biennale L’amour de l’art, en 1991 ; mais à Aperto, à la Biennale de Venise, aux Deichtorhallen, à Hambourg, ou ailleurs, on avait déjà eu recours à l’usage du box.

[61]. Yves Aupetitalot, définissant sa déontologie professionnelle, in C’est pas la fin du monde, Rennes, Centre d’histoire de l’art contemporain, 1992 (entretien). Urs Raussmüller visait déjà cette neutralité, dès l’expérience de Ink à Zurich, à la fin des année soixante-dix : « This art in its various manifestations is so rich and expressiv that all it needs is daylight, neutral space and enought time to be experienced repeatedly » (in L’exposition imaginaire, op. cit.).

[62]. Cf. : l’intervention de Daniel Buren sur le mur derrière le présentateur du journal télévisé régional, à Dijon, en 1982, à l’initiative du Coin du miroir ; le « travail » de Maria Nordman, à la Villa Arson, en 1989, qui consistait en conversations avec des personnalités de la région niçoise choisies en dehors du milieu de l’art, et qui n’a pas, à ce jour, laissé de trace ; le projet non réalisé de Jef Geys au Magasin (présenté sous forme de journal) ou encore le voyage à triporteur de Roman Signer, de Saint-Gall à Thiers.

[63]. La Criée, à Rennes, en est un bon exemple : la programmation comporte surtout des expositions personnelles (Aubry, Duprat, Friedmann, Présence Panchounette, Quardon, Vieille…) ; la modestie des espaces permet d’y éviter l’effet de consécration. D’autres centres sont aussi, à titre divers, des lieux de production : Dijon, Grenoble (œuvres crées pour la « rue »), Ivry, Kerguéhennec (en liaison avec la Commande publique), Nevers (Apac), Nice (programme Sous le soleil…), Thiers (P. v. Cæckenberg, D. Sans-Arcidet, G. Hill, R. Signer…), Tours, Villeurbanne…

[64]. Tableaux abstraits (Villa Arson, 1986) ne se bornait pas à être la première exposition internationale réunissant le courant Neo Geo ; dans un souci de questionnement, y figuraient aussi des artistes du Pop’art, ou d’autres comme Lavier, Frize, Schnyder, Palermo, Knoebel…

[65]. Les avant-gardes de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix sont bien représentées au Consortium et au Nouveau Musée ; une certaine peinture à Saint-Priest ; l’Hyperréalisme, le Pop Art et le Neo-Pop à Meymac…

[66]. Cf. les beaux essais philosophants de Christian Bernard, depuis Le Désenchantement du monde (Villa Arson, 1990) jusqu’au Principe de réalité (1993), par exemple.

[67]. « The artists accepted to participate in a group dynamism » dit Christian Bernard (in Le Principe de réalité 1, Villa Arson, Nice, 1993) qui parle ailleurs de « road movie sorti de l’écran de la représentation » ( Purple Prose, n° 3, Paris, été 1993).

[68]. Respectivement : Halle sud, Genève, 1990 et Apac, Nevers, 1991 ; CCC, Tours, 1992 ; Villa Arson, 1991.

[69]. Cf. Éric Troncy : « Je pense au mythe des ambiances des grandes expositions, aux films de Jeff Cornellis. Si l’on devait garder une image de No man’s time et de sa préparation, elle serait sans doute celle d’un barbecue. » (« Boîte noire », in catalogue de l’exposition No man’s time, Villa Arson, Nice, 1991).

[70]. L’exposition a eu plusieurs versions : PS1, New York, janvier 1989 ; Casino des expositions, Séville, juin ; Le Confort moderne, Poitiers, septembre. Elle est, depuis l’été 1993, au château d’Oiron. Guy Tortosa la définit comme un « manifeste artistique et spectaculaire, matérialisation d’une conception du monde… » (in catalogue de l’exposition, Poitiers, 1989).

[71]. Au Centre d’art contemporain de Labège, en 1986. Certaines expositions récentes organisées par Christian Leigh mêlent, de la sorte, décor peint, télévisions et œuvres contemporaines. Le titre de l’une d’elle, au Thread Waxing Space, à New York, I am the Enunciator (1993), annonce clairement la couleur.

[72]. Cf. Wittgenstein : The play of the Unsayable, Vienna Secession, Vienne, 1989, où les œuvres défilaient sur fond de textes philosophiques caviardés. Cf. également, toujours par Kosuth, « Passagen-Werk », où il transformait en fantômes les collections de la Neue Galerie de Cassel (Documenta de 1992), et où cette fois il convoquait Walter Benjamin.

[73]. Cf. les textes de ses lettres d’invitation reproduits in Lucy Lippard Six years : the dematerialization of the art object from 1966 to 1972, New York, 1973.

[74]. « Ce qui a été tenté ici, c’est de créer une situation rendant possible un lieu d’exposition qui soit un accueil révélant et non plus un réceptacle valorisant. […] Ce qui ici était proposé à chaque artiste, en lui communiquant les projets de tous les autres et l’invitant à envoyer une seconde proposition, c’était d’agir réellement sur l’exposition, de ne pas se contenter de sa participation de principe. » (Michel Claura, in catalogue de l’exposition).

[75]. Paris, 1982-1984.

[76]. Musée des beaux arts de Dijon, 1983 ; ce qu’avait tenté le Musée de Grenoble avec Faire semblant, en 1982. Cf., plus récemment, Histoire de musée, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Il faut aussi citer la mise en scène, par Szeemann, des collections du musée de La Haye. Boltanski avait déjà placé, en 1973, ses vitrines dans de petits musées de province, d’ethnographie ou d’histoire.

[77]. Organisée par Yves Aupetitalot et l’Apac, à Nevers, en 1984. Jan Hoet, dont le projet de Chambres d’amis (Gand, 1986) était connu depuis 1982, a été, en l’occurrence, pris de vitesse. Projet Unité (Unité d’habitation Le Corbusier, Firminy, 1993) récidive dans le genre, mais sans les habitants.

[78]. Dijon, 1989, dans le cadre du festival Nouvelles Scènes. Les expositions reprises étaient : Peintures abstraites (org. John M. Armleder), Red (org. Bob Nikas), Semi(op)tics (org. Steven Parrino), Science fiction (org. Peter Halley). 1968 (ibid., 1992) réactualisait des expositions célèbres en mêlant œuvres d’époque et œuvres actuelles.

[79]. C’est ce qu’envisageait Franz Kaiser pour Meltem (in catalogue de l’exposition, château d’Oiron, 1987, p. 10).

[80]. Organisé par Ute Meta Bauer, Künstlerhaus, Stuttgart, publié in Meta, n° 2, Stuttgart, 1993.

[81]. Cf. Hans Ulrich Obrist, « Deltacurating », in Meta, op. cit.

[82]. A.M.Z., installé en permanence au CCC, à Tours, depuis cet été, après avoir été un temps à Dijon, est à la fois un stock et une base de données pour un ensemble d’œuvres prises en charge ailleurs.

[83]. Michael Lingner pense que l’on peut tester des procès de communication artistique qui permettraient, à terme, de sortir de la fiction et de faire de l’art une communication ayant une effectivité dans l’espace social (« About the end of the art exhibition and exhibition art », in Meta, op. cit.). Laura Cuttingham (ibid.) lance le mot d’ordre : « curate the future not the walls ».

[84]. J’en ai fait la proposition en 1987, le programme a été lancé début 1988 et a duré, à plein régime, un peu plus de deux ans (un programme « normal » d’expositions a repris dès 1989). Les réalisations de « définitions-méthodes » de Cl. Rutault dans les studios d’habitation, l’éclairage du hall par M. Verjux, les environnement de textes de Ben dans les salles de conférence, les points de vue de F. Varini sur les terrasses, le rangement dans les garages, des stocks de matériels désaffectés par Absalon, la sculpture de B. Lavier et celle de Présence Panchounette, sur le gazon, sous les pins parasols et les chênes verts (…) y prenaient un sens qu’aucune exposition habituelle n’aurait pu leur donner.

[85]. J’emprunte cette expression à René Denizot.