La poétique célinienne de Richard Fauguet

Chronotope dialogisme et plurivocalisme

[Publié in cat. de l’exposition Richard Fauguet (10 février-5 mars 1995), Brétigny-sur-Orge, espace Jules Verne, [août] 1996, p. 100-109. — « The Célinian Poetics of Richard Fauguet », trad. en anglais par Simon Pleasance, ibidem, p. 112-121.]

L’œuvre de richard Fauguet, sans être très nombreuse, du moins dans ses manifestations achevées, peut dérouter par son aspect hétéroclite. Une bonne vingtaine d’épais cahiers de brouillon noircis de dessins et de projets l’éclairent d’un jour incertain [1]. En première approche, on pourrait qualifier de pop son ressort imaginaire, quoique celui-ci, ne s’appuyant ni sur le « piratage » d’un seul type d’expression ou de communication (la bande dessinée ou le catalogue de vente par correspondance) ni sur l’exploitation d’une seule technique (le transfert au trichloréthylène ou la photocopie), ne soit donc jamais mono-maniaque, jamais accroché à une seule formule propre à imposer une image de marque personnelle – alors que c’était justement la caractéristique des artistes du Pop Art. De plus, si certains emprunts sont laconiques, l’artiste a recourt également à des procédés bien antérieurs, tel le collage ou l’assemblage ; une veine franchement associative et onirique le place même en droite ligne du surréalisme. De cet aspect hétéroclite, de ce mélange de littéralité et d’imaginaire, on peut conclure à bon droit à un art de l’hybridation, conforme à celui auquel le discours du postmodernisme prétend nous avoir introduit. Or, de l’examen de la construction sémiotique de cette hybridation ressort son caractère de formation dérivée, largement tributaire de précédents littéraires. Dire cela n’ôte rien à l’intérêt de l’œuvre ; tout au plus, la sémiotique, ici, permet-elle de replacer l’invention plastique dans son intertextualité constitutive.

Monsieur Propre

Pour commencer, M. Propre, ce personnage éponyme d’une marque de produit à récurer, servira à planter le décor. Il apparaît dans un des premiers cahiers, avec le texte allemand de la publicité du produit en question (Starke glänzen schnell). La même année 1989, il donne lieu à un collage à même le mur de la galerie Jean-François Dumont à Bordeaux : découpée dans de l’adhésif Vénilia, la silhouette s’en détache au centre d’un oval figurant un miroir. Rond, sans aspérité, lisse comme un lutteur bien huilé, planté tel Superman les bras croisés face au spectateur, cet avatar publicitaire de Tarass Boulba semble posséder la puissance d’un roc imperturbable. M. Propre fait partie de ce « qui rend nos intérieurs d’aujourd’hui si différents, si attrayants » (pour reprendre la formulation du fameux collage de Richard Hamilton de 1956) ; sous un des dessins le représentant : un « Happy » ironique [2]. Il appartient à ce monde de la société de consommation que les artistes, antennes sensibles, ont détecté dès le milieu des années cinquante, avant même que des théoriciens la nomment et l’analysent. Mario Amaya, un des premiers commentateurs du Pop Art, remarque que cet art urbain reflète une existence « emballée », qui procède entièrement de Madison avenue et de la capacité de la publicité d’envelopper le contenu de nos besoins dans le package de nos désirs :

« Everything comes in a box : our job, our pleasures, our dreams, our love life. [3] »

En confondant le produit, son emballage et le héros support de nos projections, la formule de l’emballage-personnage facilite le transfert du désir, du contenu au contenant.

Cependant certains glissements dénoncent la distance prise avec l’âge d’or de cette société de consommation et, partant, avec le Pop Art. Celui qui porte sur le produit nous interpelle avant même que nous nous arrêtions sur ce qui fait que Richard Fauguet n’est pas un artiste pop, au sens que l’histoire de l’art attribue à ce terme. L’occasion d’un congrès mondial de la détergence avait, en 1954, fourni à Roland Barthes l’argument d’une de ses célèbres Mythologies [4]. Il opposait les liquides purificateurs comme l’eau de Javel aux poudres saponidées et détergentes, un imaginaire de la corrosion chimique abrasive et mutilante de la saleté à un autre qui suppose que cette dernière soit séparée et chassée : les poudres rendent le consommateur complice d’une délivrance et l’associent au procès de l’action purificatrice ; elles magnifient le linge en lui supposant une profondeur, tandis que la mousse aérienne spiritualise l’action du détergent et en masque la fonction abrasive… M. Propre vient après ; il fait partie d’une nouvelle génération de détergents qui se passent d’une explication de l’action ; le liquide appliqué tel quel, qui « nettoie sans rincer », agit de façon magique, à la manière d’un héros de bande dessinée dont la toute puissance ne saurait souffrir d’entrave ; son action est immédiate, et l’image du coup d’éponge, dont l’efficacité se mesure à la blancheur de la trace, en identifie la force avec celle d’un geste transcendant, impénétrable. Il y a de la baguette magique et du justicier dans ce geste vengeur auquel rien ne saurait résister, et les remarques que Francis Lacassin fait à propos des avatars de Superman s’appliquent à M. Propre :

« Les superpouvoirs dont [il dispose] ne souffrant d’aucune ambiguïté ou limite, supportent mal une explication pseudo-scientifique, relèvent d’une magie analogue à celle de la lampe d’Aladin et classent leur détenteur dans le domaine du merveileux […]. [5] »

Par ailleurs, le terrain d’action de ces détergents n’est pas le linge mais le sol. L’évolution linguistique selon laquelle le « balayeur » a fait place au « technicien de surface » en accompagne l’apparition. Pour reprendre à la suite de Barthes les termes d’une psychanalyse bachelardienne, M. Propre, qui se meut dans un univers lisse auquel son physique en forme de bouteille renvoie par redondance, pourrait être dit « héros des surfaces ». De l’intérêt pour ces mêmes surfaces artificielles procèdait l’intervention de Richard Fauguet au centre d’art du Creux de l’Enfer, à Thiers où, en 1994, il avait réalisé dans la grande salle un « pavement » décoratif de Vénilia ! L’écart introduit tenait dans la faible crédibilité de la surface, dans le collage toujours prêt à basculer dans le décollage. Si le Pop Art avait déjà magnifié le merveilleux de pacotille, on poursuivait ici des fins plus ambiguës.

Bardamu à Châteauroux

La culture de masse constitue une vaste réserve textuelle, sans cesse renouvelée, où Richard Fauguet vient puiser après bien d’autres ; mais la relation que son œuvre entretient avec elle ne constitue qu’un des aspects d’une intertextualité constitutive très polymorphe. Il emprunte notamment à une tout autre poétique, extra-plastique, très précisément littéraire, celle de Céline, qu’à bien des égards il transpose et soumet à ses fins ; corrélativement, l’imaginaire pop décelé, noté plus haut, est récupéré et pris en charge par la puissance unificatrice de cette poétique.

Dans le deuxième cahier (daté du 26 juin 1988), il a recopié plusieurs passages de la version italienne du Voyage au bout de la nuit, notamment le final :

« De loin le remorqueur a sifflé ; son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l’écluse, un autre pont, loin, plus loin… Il appellait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu’il emmenait, la Seine aussi, tout, qu’on n’en parle plus. »

– final en forme de catastrophe, où tout retourne à son origine matérielle et biologique, absorbé dans la nature qui ne quitte jamais l’horizon du roman célinien, comme la mort qui rôde et qui surgit au détour des deux autres passages recopiés :

« De nos tentatives aussi à nous si dégueulasses, pour être heureux, c’est à tomber malades tellement qu’elles sont ratées, et bien avant d’en mourir pour de bon. »

« Sempre sostenuto l’esser press’a poco aiuto di non avere in quina più alcuna seria ragione per vivere. [6] »

Ni les cahiers ni les œuvres de Richard Fauguet n’illustrent cependant, en aucune façon, des scènes tirées des romans de Destouches, et la présence de ces citations est suffisamment étrange pour attirer notre attention.

Dans le Voyage, Bardamu-Céline fait l’expérience de la colonisation puis celle du travail industriel taylorisé en des années de crise et de chômage ; la place prise par la réalité urbaine des grandes métropoles en est un des traits les plus marquants :

« Avec lui, commente Henri Godard, ce mélange de fascination et d’horreur, de dégoût et d’impossibilité de vivre ailleurs, le cas échéant, de nostalgie, devient la paysage de toute une œuvre. [7] »« Il est clair que son imagination ramène à tout moment Céline vers ce qui lui répugne, ou lui fait peur, et en même temps le fascine. [8] »

La situation existentielle, certes différente, de Richard Fauguet n’est pas sans entraîner une attitude ambivalente analogue ; dans sa relation avec Châteauroux, ville où selon l’expression consacrée il vit et travaille, se mêlent pareillement attirance et répulsion ; quand Céline écrit des romans de grandes métropoles (Paris, New York, Londres et Berlin), Bardamu à Châteauroux parcourt d’autres contrées : non pas celles du Berry de Georges Sand, ou de je ne sais quel chantre des racines, mais celles d’un roman de nulle part, comme si Châteauroux était n’importe où, le magasin Continent de la zone artisanale et commerciale résumant à lui seul ce no-man’s-land. Fauguet rit à ce sujet de la plaisanterie selon laquelle, à un examinateur qui lui demande de citer trois continents, un élève aurait répondu en énumérant ceux de Sablé, La Suze et Vélisy [9]. Ce faisant, il met le doigt sur le procès d’indifférenciation du territoire ; il se démontre sensible à l’acculturation généralisée qui en sillonne la carte. En ne détectant plus les symptômes des mutations sociologiques en cours au cœur de la culture urbaine, mais dans ses marges, il enregistre le décentrement de ce qui fait l’objet du Pop Art. Sur ce point, il partage le regard latéral d’un Céline pour qui, par exemple, Paris n’est plus la ville de Balzac ou de Zola, mais une autre qui inclue « l’infinie prolifération de ces banlieues autrefois distinctes, maintenant indiscernables, et que depuis la fin du xixe siècle, les moyens de communication ont rattachées au reste. [10] » De sa province, qui n’en est plus vraiment une, Fauguet dit l’impossibilité de tout provincialisme quand le désert a gagné jusqu’aux points les plus reculés. Le dimanche, raconte-t-il encore, les castelroussins s’ennuient, alors ils vont à Babou ou à la Foir’fouille en zone industrielle – ce que commente, peu amène, la note au bas d’un collage avec la tête d’Alain Prost :

« On finit par tourner en rond. [11] »

– et le constat n’a en rien la teinte d’optimisme qui animait celui de Gertrude Stein !

Bardamu à Châteauroux observe, enregistre, s’insurge, rit et pleure – relation ambivalente certes, mais toujours marquée en définitive d’une sourde tendresse. Recopiant des locutions latines dans les pages roses du petit Larousse ne s’arrête-t-il pas sur :

« Non ignara mali, miseris succurrere disco » ?

Les Copains

Chaque été Richard Fauguet retrouve des amis avec qui il partage sa phobie de Châteauroux [12]. Non loin de son atelier, à un carrefour, deux édicules de marbre en forme de pyramide fanfaronnent piteusement au débouché d’une « zone piétonne » ; la médiocrité ampoulée de l’aménagement, qui sent assez le fond du panier de l’architecture provinciale, et la démagogie de pacotille d’édiles commanditaires en mal de Pyramide du Louvre, n’a pas échappé aux « copains », qui en ont fait l’objet favori de leurs lazzi. Au compte de leurs actions sauvages : recouvrement des pyramides d’adhésif Vénilia « faux granit », inauguration à deux heures du matin d’une plaque rebaptisant le carrefour « Place pyramidale », cuvée spéciale dûment étiquetée « Château pyramidal », jeu de piste, etc. Une autre (ex)action, place Sainte-Hélène, visait la grille entourant le fidèle général napoléonien Henri Bertrand, gloire locale statufiée par François Rude [13] ; elle tend à confirmer que l’objet de dérision de l’art « antimonument » n’est autre que le « monument », signe à la fois de mémoire (et en cela l’idéologie de l’art est celle de la table rase) et de pouvoir (ce qui est à entendre cette fois comme idéologie anti-bourgeoise). La similitude avec les héros de Jules Romain est frappante ; (on se souvient que les Copains investissent de nuit Ambert et que le roman se termine par l’inauguration à Issoire d’une statue dont l’anatomie, par trop vivante, provoque la déroute du bourgeois). Cependant, les (ex)actions de Fauguet et consorts ne vont pas jusqu’au canular, et le bourgeois n’est pris à partie que pour autant qu’il ne s’aperçoive de rien ou presque. La délectation, ici, tient autant dans la non-visibilité de l’action que dans sa non-lisibilité : ainsi est-il donné à entendre un récit selon lequel le Vénilia n’a été détecté par les employés municipaux que plusieurs mois après, et un autre qui précise que la grille a été repeinte sans que l’on comprenne pourquoi elle avait été dorée. Chez Jules Romain, seule la non-lisibilité faisait partie du ressort comique. (« – Qu’est-ce que c’est ? – Qu’est-ce qu’il y a ? », s’interrogent les « bourgeois en chemise » d’Ambert réveillés par la manœuvre nocturne du régiment ; à Issoire « le saisissement » est général face à un « événement surnaturel ».) Malgré tout, le rapprochement avec la facétie des Copains indique la filiation des « performances » de nos amis berrichons avec une tradition artistique qui, depuis le romantisme et la bohème, prend à partie le bourgeois, ou du moins s’élève contre sa culture ; et si ce n’est le bourgeois stricto sensus, c’est un autre aux contours flous, suppôt de la bêtise ambiante, mixte de représentants du pouvoir local et de la famille Bidochon.

Chez Fauguet comme chez Romain l’acte est illicite. Le canular ne devient argument de littérature qu’au moment où, cessant d’être un écart socialement toléré, il se criminalise. (En Bourgogne, par exemple, le déplacement nocturne des objets de tout un chacun par les conscrits, la nuit du premier mai, donne lieu désormais à des dépôts de plaintes.) La légitimité paradoxale du canular artistique, comme de celui des Copains, ne se soutient que du partage qui affleure entre une criminalité antérograde (valorisée) – celle, aristocratique, de l’art, des avant-gardes ou encore de « l’acte souverain » selon Georges Bataille –, et une criminalité rétrograde (dévalorisée) – celle des autres, de la masse. Jacques Soulillou [14] vient de rappeler le lien qui les unit, et combien par la relation qui en est faite – le récit du crime – elles appartiennent au même « plan d’immanence qui rend compte de leur contiguïté » ; le crime, à son plus haut point d’expression littéraire, étant aussi, comme l’art, gratuit ! En ce qui concerne Fauguet et ses complices, le « crime » est motivé par leur phobie commune ; mais la gratuité semble resurgir par le fait qu’aucun bénéfice immédiat n’en soit tiré sur le plan artistique. (Ce texte en constitue la première publication.) Là-dessus on connaît le principe économique associant au délais d’encaissement une plus-value : au plan du marché il explique pourquoi la plus forte spéculation est si fortement étayée par la figure victimaire de l’artiste incompris de ses contemporains ; au plan esthétique Marcel Duchamp le nomme « retard ». Il est le pendant du principe d’économie libidinale selon lequel Williams, l’assassin de De Quincey, tire un surcroît de jouissance à gravir lentement les marches le conduisant vers ses victimes [15].

Le « crime », l’infraction, enchaîne les Copains à la loi. Dans l’(ex)action, à travers elle, ils font entendre les voix qui énoncent la loi, qui la promeuvent, qui la propage : celle du monument, celle des édiles maîtres d’ouvrage, poseurs de plaques officielles, etc. Le canular (j’avais envie d’écrire, à la manière de Ben, « canul’art »), comme le crime, est à cet égard un rapport social. Le plan d’immanence où peuvent se lire dans leur simultanéité art, crime et loi est un même espace-temps, ce que Mikhaïl Bakhtine nommait un « chronotope » [16]. Cette appartenance structurale commune explique le caractère ambivalent des relations nouées : celle de Céline avec les parisiens des banlieues, celle des artistes du Pop Art avec la culture de masse, comme celle de Richard Fauguet avec son monde, ou plutôt ses mondes (Châteauroux, le milieu de l’art, sa famille, ses amis, etc.). Ces mondes qui défilent et s’entrecroisent constituent la trame d’une œuvre complexe où résonne forcément un air d’époque ; son chronotope en porte la marque. La bouteille de M. Propre n’est pas la boîte de tampons à récurer Brillo, ni Fauguet, Warhol ; le contenu du chronotope a changé avec les générations. Demeurent la prolixité de cette œuvre, ses énoncés toujours pluriels, bref son appartenance au versant de l’art soucieux de complexité contextuelle.

Chronotope

A vrai dire, si l’on parle de chronotope, il faut laisser à ce terme toute l’acception littéraire que lui donnait Bakhtine, qui constatait que, dans l’histoire du roman, certains espaces-temps comme la route, le château, la ville de province, la biographie ou le salon commandaient l’apparition des personnages et permettaient au récit de naître et de se développer. Fonctionnant comme « le centre organisateur des principaux événements », le chronotope est « le principal générateur du sujet » [17]. En prenant la mesure de la richesse interprétative du concept bakhtinien, on peut se demander s’il n’existe pas dans le domaine de la création plastique des générateurs semblables [18] : la peinture d’histoire, celle de Le Brun par exemple, permet de tenir dans un même espace-temps pictural, une scène mythologique ou historique et le rappel des hauts faits du Roi Soleil dont il est fait éloge [19] ; pour ce qui concerne l’art moderne, le collage, tel qu’il apparaît chez Picasso, confronte un espace moderniste post-cézannien, tendant fortement à l’éviction du contexte et repliant la peinture sur des catégories formelles intemporelles, avec des indices de l’espace-temps contemporain arrachés à la communication journalistique où à l’ambiance de la bohème des bistrots montmartrois ; l’avènement du Pop Art, dans les années soixante, va de pair avec l’assomption d’un chronotope qui marie violemment l’espace-temps de la société de consommation (emprunt de thèmes et de procédés de la culture de masse) à l’espace-temps de la peinture d’avant-garde (grands formats, planéité, frontalité, etc.) ; pour la période plus récente, au-delà même de « l’installation » et du « dispositif », qui de toute évidence fonctionnent comme de semblables générateurs, tout ce que l’on a tenté de décrire sous la forme ponctuelle de la trans-avant-garde et plus généralement du post-modernisme, avec des mots d’ordre aussi divers que « détournement », « recyclage » ou « hybridation », relève pareillement d’une tentative de forger un nouveau chronotope, qui permette d’assimiler un univers communicationnel foisonnant, où tout a tendance à s’égaliser sans hiérarchie. La tendance très marquée de ce dernier chronotope à verser dans la production de situations (constituées de pans entiers du réel dont l’artiste s’empare sans les transposer) est cependant dédaignée par Fauguet.

« l’auteur créateur, dit Bakhtine, se meut librement dans son époque […] regarde [les événements] à partir de son époque contemporaine inachevée, dans toute sa complexité et son entité, se trouvant lui-même comme sur la tangente de l’actualité dont il donne l’image ».

1. Voyage

Chez Fauguet, le chronotope est aussi une sorte de voyage – je sais bien disant cela combien il est difficile de le soutenir pour une œuvre visuelle – qui, comme chez Céline, est toujours « au bout de la nuit » : d’un film de science-fiction se déroulant dans les fonds marins il retient la formule « Dove finice la lucce inizia l’avventura [20] » ; et si les cahiers ont une telle importance dans sa façon de procéder, c’est parce qu’ils enregistrent les traces de ses pérégrinations dans des mondes hétérogènes, imaginaires (art, littérature, cinéma, télévision) ou réels (Châteauroux, lieux visités en touriste, univers familial, etc.). Ce voyage, plus sémiotique que géographique, ne se déroule pas selon le fil d’un récit univoque ; il est, comme on le verra plus loin, polyphonique.

2. Humain trop humain

Céline entendait tout retenir de la vie :

« La jambe difforme de la petite cousine doit y tenir aussi […]
« Alors le temps de votre mélange est venu au milieu des mois et des jours, tant bien que mal au bout d’une année. Ce n’est pas beau d’abord ; tout cela s’escalade, se chevauche, et se retrouve en drôle, de places, le plus souvent ridicules, comme au grenier de la mairie. [21] »

Par ces deux images entre autres, celle d’un mélange organique, quasi obscène, et celle d’une brocante, il donnait une définition poétique de son propre chronotope littéraire. Ce n’est précisément pas un hasard si elles se retrouvent presque littéralement chez Richard Fauguet, dont de nombreux dessins figurent des accouplement improbables (bec de pingouin pénétrant la tête d’un singe, par exemple [22]), et dont il a été noté combien il semblait s’approvisionner au marché aux puces [23]. Et de recopier une autre locution latine :

« Homo sum : humani nihil a me alienum puto. »

Rien de ce qui est humain ne lui est étranger, en effet ! Non moins que chez Céline, la propension à l’absorption de l’univers environnant et à l’amalgame se soutient d’un imaginaire médical. Quand Fauguet évoque le « Spid » (« Syndrome Polyalgique Idiopathique Diffus » [24]), il désigne peut-être (moyennant une orthographe francisée) sa propre frénésie, celle avec laquelle il constate, note et accueille dans son œuvre le normal comme le pathologique et le monstrueux : singe avec entonnoir sur la tête, sigle de handicap, personnage manchot monopode, soutien-gorge avec des échasses, bras tendu fiché sur un support vertical, etc. [25]. De la Planète zob, où fourmillent des sortes de spermatozoïdes, à La vie des animaux, qu’illustrent par exemple les deux pingouins rencontrés au Hollywood night clubbing [26], les allusions ne manquent pas, qui donnent à la copulation générale une dimension cosmique. Inversement le monde semble tenir dans un microcosme, comme dans ce ventre de femme qui s’arrondit en forme de mappemonde [27].

3. Optique

La spéculation optique vient au secours de cet imaginaire qui rencontre en ce point les préoccupations duchampiennes : le Grand verre devient billes ; on peut les observer au fond d’entonnoirs et y voir, grossies, des photographies d’animaux [28] ; on passe indifféremment du globe aux yeux, des verres grossissants aux globules ; les moulages de silicone de têtes de chevaux (Mi Ri Da) se couvrent de billes, et la Molécule de chien, assemblage de différents globes de verre, a la forme et la grandeur de l’animal [29]. Pouvoir absorbant, réfractant (convergent) de la sphère, qui peut tout contenir et où tout peut se voir. L’omnivoyance prêtée au Grand Vador a d’abord été reconnue dans l’insolite chapeau qui termine certaines cheminées fréquemment aperçues dans le Berry, et dont les ouvertures latérales le font ressembler à la tête de Darth Vader, le personnage incarnant les forces du mal dans le film de Georges Lucas La Guerre des étoiles. Ce chapeau commandait un réseau de tuyaux de poêle, prolongation de son corps proliférant à travers les salles du centre d’art de Thiers. Les deux robots, R2-D2 et C-3PO, (qui lui sont opposés dans le film) surveillent, en tête, la longue table de verre de Bretigny, où s’alignent, pareillement manufacturées, des reconstitutions plus ou moins fidèles d’armes (revolver, fusils, mitraillettes, etc.) et d’instruments d’optique (jumelles, longue-vue, microscope, etc.) [30]. Enfin les trois personnages du Karafator (1993), dont le verre se boursoufle de pustules de silicone, paraissent également commander quelque scène, du haut de leur podium. La panoptique de Bentham n’est pas loin, et nous rappelle combien le désir de tout voir s’enchaîne à la loi ; le chronotope y trouve sa métaphore optique [31].

Carnaval

1. Langue verte, calembours et à-peu-près

On se souvient que chez Duchamp, les Moules mâlics se gonflent de gaz, conformément à l’ancienne leçon populaire qui confond pneumatique et spermatique. Sur cette voie toute tracée qu’il reparcourt comme par mégarde, en liant l’optique à la balistique (qui métaphorise assez clairement l’acte), Fauguet se sert dans le « grand verre » de Brétigny d’une clé symbolique dont l’ésotérisme ne peut rebuter aucun bon lecteur de Rabelais ou Jarry. Ainsi en va-t-il de la turgescence des Pochons, ces petits cylindres creux faits de peaux de saucisson, dénommés aussi les Mues, à qui l’artiste adresse l’injonction « Debout saucisson, debout ! », comme des deux escargots en forme de bites plaisamment retroussées faisant office de presse-livres [32], qui supposent pareillement un savoir caché dans la langue ou dans l’invention plastique. Parfois, de façon vertigineuse, les deux entreprises, linguistique et plastiques, sont menées conjointement : All about Eve, de Manckiewitz, remanié en All about Yves, fournit ainsi le titre d’une parodie des Anthropométries de Klein, faite d’empreintes de verges trempées dans de la peinture bleue (1992) !

Le plaisir de la langue éclate dans maints calembours ou à-peu-près rencontrés au détour des cahiers de dessin :

« Une copine de Copenhague » ;
« Parpaing en béton, partons au Bénin » ;
« Le pont de la rivière Kaï Kaï » ;
« T’as tort, t’es tard » [33] .

Dans le cahier n° 15, deux séries de mots enchaînés ne laissent aucun doute sur l’utilisation assidue de la double entente (ce que Tabourot des Accords appelait de « l’entend trois ») :

« Les larmes, les mues, les armes, les muses » ;
« Les tartes + les murs / les barbes + les burnes ».

La plastique n’a de la sorte aucun mal à transformer salière et poivrière en bistouquettes rondelettes, ni à faire de peaux de saucisson des zepellins miniatures, un fantôme, la navette Challenger agrémentée de ses deux boosters, une tiare, des poissons au bout d’une canne à pêche, ou encore à les combiner par « greffe » [34].

L’à-peu-près confond les références par contamination réciproque ; en naissent des êtres monstrueux : la vache machine, Mick Eymaüs ou Super Ninja Mikaï, moitié souris moitié tortue [35]. Le mélange dans un même creuset (melting pot) de sources diverses décrédibilise toute instance reconnue (dans le cas qui précède, la production de Walt Disney assimilée aux dessins animés japonais) ou légitimante.

Le calembours et l’à-peu-près, principes d’une déperdition jubilatoire du sens, contribuent sur le plan linguistique à instaurer un chronotope qui soit un « temps du mélange ».

2. Contre-emplois

Cette déperdition rejoint le penchant célinien pour la catastrophe, sa vision d’un point final toujours imminent où affleure son désir inconscient d’un retour à l’ordre biologique matriciel. À l’à-peu-près, à la déperdition linguistique du sens, Fauguet ajoute une inadéquation des moyens employés rarement démentie. Position victimaire de l’artiste qui semble se donner ainsi toutes les (mal)chances du ratage plastique : peintures abstraites à la pâte à modeler, portraits des Vengeurs (héros des Marvels comics) à l’aquarelle sur des rince-doigts de restaurant, dessins de modèles présentant de la lingerie féminine (tirés du catalogue des Trois Suisses) au crayon blanc sur des lasagnes, scènes de westerns dessinées au chalumeau sur de grands draps, soutiens-gorge dessinés sur divers supports à l’aide d’un pistolet à colle silicone, phrases écrites au mur à l’aide de bonbons sucés, moulages de têtes de chevaux réalisés au silicone (dont le résultat est donc amorphe), buffet ou table de verre, etc. Comme dans certaines productions de l’art brut, la trouvaille, en soi plutôt lamentable, réussit presque toujours à se faire surprise, à se muer en acte positif. Comme en dépit de l’artiste qui, usant et abusant des matériaux à contre-emploi, fait semblant d’être à la recherche de l’échec assuré, le merveilleux naît de cet invraisemblable artisanat de quatre sous.

3. Métamorphoses

Dans les carnets de dessins, la pensée plastique s’égraine au fil des pages, passant par associations d’une idée à l’autre, non sans redites ni sauts brusques. Un second principe, de métamorphose celui-ci, contribue donc au grand mélange. Il s’énonce littéralement dans un dessin – qui semble vouloir en résumer la philosophie – où, par détournement du collage d’un schéma publicitaire de canapé « convertible », deux larges personnages apparaissent, dont le corps est justement fait de ce « convertible ». Dans une ambiance de joyeux carnaval défilent ainsi bicéphales à tête de loup et autre singes bi-ithyphalliques aux pieds palmés et à la tête coiffée d’un entonnoir [36]. Les objets eux mêmes hésitent dans leur être : Ghost bustier, le fameux soutien-gorge fumant le cigare (sic !), devient, agrémenté de chenilles, un ahurissant modèle de tank [37] ! L’objet le plus stupide, mais déjà chargé de son incongruité, insiste au gré de ses transformations et de ses changements de fonction, telle cette énigmatique poêle à frire ou cet entonnoir tour à tour vase communicant, élément d’une machine de téléportation, haut-parleur, lampe des années cinquante, sablier, douche avec rideau à fleur, etc. [38]. À cet égard, du point de vue de sa capacité à exploiter les ressorts d’un inconscient qui associe, transforme et déplace, Fauguet pourrait être qualifié de néo-surréaliste.

L’universelle métamorphose hybride non seulement les hommes et les animaux, mais aussi les êtres et les choses, ou encore les sexes : la femme devient une automobile multifonctionnelle équipée de ses atouts publicitaires « ultra-son + portière + capot + coffre + consommation courante + clignotement des phares + télécommande à distance [39] » ; la hanche généreuse de la Vénus de Milo se creuse d’une cavité où loge une forme phallique d’allure autochtone ; un soutien-gorge et un slip sont donnés pour des « travestis » [40]. L’ambivalence, d’ailleurs, se déclare dans un jeu de mots qui en donne sans détour une acception des plus freudienne :

« Hermaphrodite child [41] ».

4. Communication et entropie

L’entonnoir résume à lui seul ce monde imaginaire où tout se transforme, où tout communique. Tel un haut-parleur il fait entendre de la musique, ou bien forme le nœud, agrémenté de dentelles, d’une communication incertaine, déployée à l’horizontale le long d’une ramure de tubes de cuivre [42]. Le résumé – philosophique – du « penser, dormir, manger [43] », inscrit sous un dessin de l’objet idoine, donne précisément de cette communication une interprétation végétative, ou presque (le solipsisme faisant pendant à la non-communication). « The world is your’s », et « La télé qui ne s’éteint jamais », slogans de la C. B. S. et de la cinquième chaîne, dûment recopiés et mis au même plan que « Les chiens ça communique » [44], on aura compris qu’il s’agit d’une communication de type animal, qui procède libidinalement, et dont l’observation constitue le recueil inépuisable de La vie des animaux (déjà évoquée plus haut). Ce qui circule dans les canaux de la communication chers aux cybernéticiens est une pure énergie, à la fois fluide séminal et voix. Ça communique d’ailleurs de partout, aussi bien des nez d’où sort du cosmogol (cette énergie mystérieuse dont étaient dotés les vaisseaux des Shadocks), que des entrailles pétaradantes de Midas [45] – l’esprit soufflant, on le sait, aussi bien du haut que du bas. La langue verte introduite dans le système n’est là que pour en accroître l’entropie. C’est sa pente entropique, irrésistible (au moins autant que le rire qu’elle suscite), qui donne à l’œuvre de Fauguet son côté « déglingue » [46].

5. Logique du pire

La fréquence avec laquelle se rencontrent des animaux (ours, singes, poissons, pingouins, chiens, chevaux, canards, cochons…) est le symptôme d’une philosophie somme toute biologique. Les têtes de pâte à modelée vernie (encore un contre-emploi) suspendues à l’envers dans des cages à perruches, selon je ne sais quel rite mystérieux et cruel indiquent le sens du plus haut rire, celui qui porte sur la sexualité et l’inéluctable destinée : la mort. Céline, qui en faisait déjà « le temps du mélange », notait :

« Ma camarde, c’est un effet comique. Et aussi la réalité d’où elle sort, qu’elle éclaire ! [47] »

Le « Comme vous nous étions, comme nous vous serez [48] », recopié par Fauguet à l’entrée du cimetière des Capucins à Rome, fait écho au fameux « La vérité c’est la mort » du Voyage. Tel est bien le sens de l’à-peu-près élocutoire, du ratage plastique, de la déchéance biologique, de l’entropie cybernétique. En forme de programme littéraire, Céline martelait :

« Hâter cette décomposition voici l’œuvre. Et qu’on n’en parle plus. [49] »

Fauguet, s’engouffrant sur ses traces, jubile de la catastrophe en bon adepte de la logique du pire. C’est cette logique qui fournit au chronotope sa puissance d’absorption et son vecteur d’accélération. Le long de ce vecteur l’espace-temps se contracte et le régime des causes et des effets s’accélère. A la logique spatiale de la contraction et de la mise en rapport, source de chocs, comme à celle, temporelle, de l’anticipation catastrophique, il faut rapporter collages, amalgames et métamorphoses, calembours, à-peu-près et entropie, contre-emplois et ratages. Frénésie du rapprochement et précipitation à conclure.

6. Carnaval

La pièce Soni-sono, dans laquelle des entonnoirs faisant office de haut-parleurs donnent à entendre la « soupe » pop d’un groupe italien (Les Cousins de la campagne), est un bon exemple de rabaissement parodique, c’est-à-dire d’introduction d’un contenu vulgaire (celui d’une musique un peu « plouc ») dans une forme noble, ou tout du moins anoblie dans la pratique contemporaine de l’art (celle de l’installation) [50]. La parodie, le renversement, l’ambivalence, l’inversion du haut et du bas, tout contribue dans l’œuvre de Fauguet à forger une ambiance carnavalesque. Le goût des jeux de mots, relayé par une théorie de la communication spiritualo-pétomane, est le lointain écho des religions antiques qui concevaient une circulation du pneuma, et dont subsistent des traces dans le carnaval [51]. Le défilé des masques, la célébration d’une universelle métamorphose des êtres et des choses, la contamination réciproque de l’humanité et de l’animalité, l’image grotesque du corps, l’association du grotesque fantastique aux précisions anatomo-physiologiques, la chute finale marquant le retour à l’ordre biologique, la mort qui voisine directement avec le rire et le sexe, sans compter, on va le voir, l’ignorance de la distinction acteur/spectateur, tout nous ramène au carnaval. La perception carnavalesque du monde crée, selon Bakhtine, « un double détrônisant », un monde à l’envers, qui n’est pas une simple négation de l’objet parodié :

« Toute chose a sa parodie, c’est dire son aspect comique, car tout renaît et se renouvelle à travers la mort. [52] »

Comme le rire carnavalesque, véritable « attitude esthétique », celui que suscitent les œuvres de Richard Fauguet est toujours ambivalent.

« Le rire ambivalent carnavalesque possède une grande puissance créatrice, capable d’engendrer des genres. Il atteint et embrasse les phénomènes au cours de leur transformation ou de leur remplacement, fixe en eux les deux pôles du devenir, dans leur instabilité permanente, féconde, régénératrice : dans leur mort il présage la naissance, dans la naissance, la mort ; dans la victoire, la défaite, et vice versa ; dans l’intronisation, la “détronisation”, etc. Le rire carnavalesque ne laisse aucun de ces moments du changement s’absolutiser et se figer dans le sérieux monologique. [53] »

Plurilinguisme

Un des lieux du grand mélange est la langue, souvent sollicitée implicitement, ou explicitement dans les titres et annotations portées sous les dessins. Une œuvre même est textuelle à la manière de l’art conceptuel, celle où, à l’aide de bonbons en forme de lettre, et dans un latin approximatif mâtiné d’anglais, ont été forgés de désopilants « Loockam Warholus », « Pensum Cezanius », « Matum Matissam » et autres « Lovam Malevitchum » [54]. Plusieurs codes agglutinés en régissent les signifiants valises : ceux des langues utilisées, mais aussi celui des leçons du lycée, celui de l’histoire de l’art moderne, celui de la langue impérative des mots d’ordres politiques ou des slogans commerciaux. Fauguet s’y montre sensible au même plurilinguisme qu’Henri Godard détecte et analyse en détail dans le roman célinien [55]. Au reste, il est toujours à l’écoute des mots, des expressions, ratant rarement l’occasion de mentionner sous ses dessins une dénomination ou une phrase lue ou entendue. Des idiolectes repérables émergent de cette marée linguistique : à ceux déjà cités il faut ajouter le langage médical, l’onomastique de la science-fiction, l’idiolecte personnel avec ses private jokes.

L’équivalent plastique du plurilinguisme romanesque serait le melting pot stylistique, la multiplication des emprunts plastiques, l’agglomérat, la greffe et l’hybridation. À côté des dessins « personnels », dont le style est d’ailleurs des plus neutres qui soit (si cela peut avoir un sens), apparaissent des dérapages abstraits, des neutralités dans le genre du Pop Art (avec la pratique du transfert, ou du collage), des allusions à l’art nègre. Des univers plastiques étrangers affleurent dans des clichés appartenant à des idiolectes sectoriels déterminés : scènes de western, inscriptions à la manière de l’art conceptuel, postures des modèles du catalogue des Trois Suisses, etc. Mais à vrai dire, il faut forcer un peu la note pour faire de ce plurilinguisme stylistique quelque chose de central, tant chez Fauguet on a l’impression que ce sont les mots de la langue proprement dite qui travaillent en premier lieu et soutiennent le procès sémiotique.

Dialogisme

La langue occupe notamment une place centrale dans L’arbre d’insultes [56], une composition murale en forme de dispersion, faite de décalcomanies d’oiseaux reliées entre elles par des traits au crayon-feutre (figurant les branches), raccordées à des insultes cerclées de bulles (à la façon des énoncés de bandes dessinées). La clé, facile à deviner, se trouve dans le cahier n° 15, qui comporte des listes de « noms d’oiseaux ». On pourrait ne voir dans cet intérêt pour le franc-parler fleuri qu’un pur mimétisme de l’affection célinienne pour le français populaire et argotique. Après tout, Fauguet voue une sorte de culte à Céline. L’association que lui et le petit groupe de « copains » déjà évoqué avaient formée pour organiser des expositions à Châteauroux ne s’appelait-elle pas Louis-Ferdinand [57] ! Tout cela pourrait sembler superficiel. Or, L’arbre d’insultes nous conduit au cœur d’un des aspects importants de l’œuvre de Fauguet : le dialogisme [58]. L’insulte plus que tout autre forme linguistique suppose deux interlocuteurs, ou tout du moins une adresse ; c’est un énoncé duel qui ne va pas, outre l’insulteur, sans l’insulté. L’absence du destinataire dans le cas présent, comme dans le monologue du vieil homme, du déshérité ou du S.D.F. (qui a perdu les pédales, qui en veut à la terre entière et ressasse ses invectives sur le quai du métro), trahit toujours une présence inscrite dans la langue – présence non pas de « l’autre », simple destinataire, mais de « l’Autre » au sens lacanien du terme [59]. Ce genre de monologue fait entendre la loi (« assassin ! »), comme le canular la dessinait par défaut. Ce dialogisme apparaît également, très nettement, dans toutes les expressions relevées par l’artiste qui proviennent de messages ambiants en forme d’interpellations (« Vous êtes ici », « The world is your’s », etc.).

Autoportrait

Mais la figure majeure du dialogisme, au plan plastique, est sans doute l’autoportrait qui, contrairement aux autre genres où ne s’entend dans l’œuvre qu’une voix, suppose que l’artiste soit jugé, ne fût-ce que par son propre regard réfléchis dans le miroir, par son propre pinceau, bref qu’il prenne langue par la voix de l’Autre. L’« autoportrait en saltimbanque » apparaît très tôt. Fauguet se travestit lui-même en M. Propre, et colle sa bobine à la place de celle du héros détergent ; ou bien il se fait une tête disproportionnée sur un corps fluet, en se trompant d’échelle (dans le collage où il épouse la silhouette d’un modèle de catalogue de vente par correspondance, en « marcel ») ; c’est encore lui avec des palmes aux pieds et un entonnoir sur la tête ; parodiant la labélisation artistique ambiante, il estampille ses dessins du R.F. de ses initiales dûment cerclé à la manière du R de Registred (®) ; une équipe de foot entière prend sa tête grâce à l’artifice du collage… L’autoportrait ne prolifère que dans l’exacte mesure où la culture de masse offre, inépuisable, des occasions renouvelées de projection. Un petit dessin du cahier n° 9, intitulé Autoportrait, transpose en image l’ambivalence du genre : deux têtes y flottent de part et d’autre d’un tapis volant. Ce tapis qui sépare les deux têtes est une bonne propédeutique pour comprendre que l’autoportrait introduit une coupure irréversible dans l’identité du sujet.

Par l’autoportrait, en s’offrant lui-même au regard de l’Autre, comme par l’énoncé des insultes, ou par le canular, l’œuvre de Fauguet prend une forme dialogique analogue à celle que Bakhtine analyse dans les romans de Dostoïevski et de Rabelais. Son chronotope qui, on l’a vu, amalgame et accélère la marche vers la catastrophe finale, ne cesse de le mettre aux prises, lui, artiste des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, avec une foule de mondes qui y résonnent. Il faut voir comme il se laisse interpeller par l’histoire de l’art comme par la culture de masse, par la littérature comme par tel énoncé rapporté de voyage ; il faut voir comme il en veut, comme il s’embarrasse, comme il se débat dans sa lutte avec l’ange.

L’intérêt du concept bakhtinien de dialogisme est de transporter au plan de l’énonciation la perception dans un texte d’une pluralité de codes. Si le chronotope conjoint des mondes avec leurs langages respectifs, le dialogisme, qui lui est lié, met l’accent sur la façon dont des locuteurs déterminés véhiculent ces divers codes, s’apostrophent, se répondent, disputent, conversent. La dialogisation des langages présente chacun d’eux « à la lumière de l’autre ». Rapportés à leurs locuteurs, les énoncés apparaissent comme autant de « points de vue sur le monde », comme autant d’« éclairages réciproques » [60] ; de là sans doute ce sentiment de diffraction qu’on a devant l’œuvre de Fauguet, lieu d’affrontements et de disputes de mondes contradictoires. Au-delà du seul phénomène du dialogue, le dialogisme met l’accent sur l’identité incertaine de l’auteur, sur le clivage de son moi hanté par l’Autre.

Plurivocalisme

1. Indice.

Non seulement nous percevons des codes , mais nous entendons des voix. Derrière les portrait de Jean-François Dumont en homme-fourmi et de Richard Fauguet en Monsieur Propre [61], ou derrière les prénoms Michel, Richard et Daniel cryptés dans le titre MI RI DA des trois têtes de chevaux, nous entendons la voix qui, de l’intérieur de la scène artistique, nomme l’artiste, son galeriste ou tel ami connu, mêlée à cette autre voix, celle de l’artiste, qui répond par le travestissement à la loi identitaire. Le point rouge sur le nez ou le front  [62], autre version du « portrait de l’artiste en saltimbanque », rappelle la pratique marchande usant du même signe pour indiquer qu’une œuvre est vendue. Pure désignation, il fait de l’individu Fauguet un objet marqué, désigné, et par la même dessine en creux l’instance désignatrice. Le même point rouge utilisé comme signe de situation géographique (« vous êtes ici » [63]), en faisant participer le regardeur à l’espace du dessin comme s’il était devant un plan de ville, se joue des coordonnées spatio-temporelles de l’acte d’énonciation. Le point rouge et le « vous êtes ici » fonctionnent comme des indices. L’œuvre de Fauguet, en dépit des apparences, n’échappe pas à la domination de ce type de signes que Rosalind Krauss (en s’appuyant sur Benveniste et Peirce) a détectée dans l’art contemporain. Comme l’indice, mais par d’autres voies que la tradition moderniste qui partant de la littéralité picturale aboutit à l’installation, à l’in situ et à la production de situations, le dialogisme et le plurivocalisme [64] sont caractéristiques d’un art porté sans cesse au registre de l’énonciation. Mais d’avantage que leurs coordonnées spatio-temporelles, ils mettent en lumière le polymorphisme des agents, la mobilité des rôles et l’ambivalence des voix. Plutôt que de demander d’où ça parle, dialogisme et plurivocalisme posent la question de l’identité de l’auteur, une identité qui vacille et se diffracte, du fait même que celui-ci puisse signer de son nom propre des énoncés étrangers.

2. Polyphonie.

Il est donc possible de préciser en quel sens l’œuvre de Richard Fauguet peut être dite « hétéroclite ». On aurait tort de ne voir dans cet hétéroclisme qu’un art du bric-à-brac, valorisé au seul titre de son pouvoir provocateur – comme si cela constituait un écart inouï, une légitimation paradoxale, toute mesurée à sa puissance de renversement des supposées valeurs officielles (qui ne sont jamais dénoncées que parce qu’un faire-valoir négatif est intrinsèquement nécessaire à ce genre de procès de légitimation). Le concept de plurivocalisme met l’accent sur la présence, à l’intérieur du discours de l’auteur, d’autres locuteurs dont les propos sont donnés à entendre sans la distance du discours rapporté. En découle une forte impression de polyphonie, dont Mikhaïl Bakhtine, le premier, s’est fait le théoricien, étude des romans de Dostoïevski à l’appui. Pénétrer dans l’œuvre de Richard Fauguet, comme pour se tremper dans un bain, suppose un temps d’acclimatation ; à cette condition, on peut entendre cette polyphonie, l’exact pendant de ce que Céline appelait sa « petite musique » [65]. Au-dessus du monologue, surnage le polylogue [66]. Dépassant le seul duo que les artistes du Pop Art poussait avec la culture de masse, l’œuvre polyphonique multiplie les incises et les contrepoints, orchestre une partition aux lignes superposées nombreuses – la fonction première de cette polyphonie étant bien de faire entendre des voix différentes, à la façon dont la musique de la fin du moyen âge superposait plusieurs textes sacrés et profanes, sans rapport direct. Aussi a-t-on du mal à discerner, dans les dessins et les installations de Fauguet, son hypothétique voix propre de celles des autres (discours du castelroussin moyen, de la science-fiction, de l’histoire de l’art, etc.). La menace pèse, permanente, qu’il ne soit pris au mot, qu’il ne soit tenu pour un demeuré ou quelque Facteur Cheval, tant les énoncés plastiques divers et contradictoires qu’il entrecroise finissent par lui broder une identité plurielle. Superposition des discours et incertitude quant à l’identité du locuteur.

3. Le héros

Un des symptômes de cette question, qui fait de chaque œuvre un « ça parle » au sujet problématique, réside dans la propension que manifestent certains artistes à créer des entités supposées autonomes, qui simulent une existence sui generis. Cette tendance putative à accorder l’être à l’œuvre s’illustre notamment du Lop lop de Max Ernst, des personnages du cycle de l’Hourloupe de Jean Dubuffet, ou de la Lulu et du Kriegsschatz de Sarkis – pour ne citer que quelques exemples qui me viennent à l’esprit. L’œuvre ventriloque est le pendant de l’artiste-dieu maître de ses œuvres, son exact corrélât.

Pas étonnant que Fauguet, dont la poétique à l’image de celle de Céline est si marquée par le dialogisme et le plurivocalisme, se soit mis à produire comme à l’envie des êtres qui semblent exister en dehors de lui, avec qui il s’identifie, ou avec qui il entretient une relation d’altérité : tous ces héros qui hantent son œuvre, de Monsieur Propre à Darth Vader, en passant par Superman ou les Vengeurs. Ces derniers notamment, insignes exemplaires d’une humanité hybridée (hommes-torches, hommes-pierres, hommes-glace, hommes-terre, etc.), renvoient en abîme l’image démultipliée de la monstruosité polymorphe du héros. Habité par la voix de l’Autre, le héros y répond (et s’y soumet) en dilatant à l’infini ses pouvoirs. La « machine à téléportation » (chez Fauguet, un casque en forme d’entonnoir !) le situe partout et nulle part, conformément aux rêves de pacotille de la mass culture qui en font proliférer la figure répétitive. Sensible à un monde qui, des comics à la publicité en passant par la politique, ne cesse de faire entendre la voix creuse d’un sujet surpuissant, Fauguet restitue la façon dont cette voix le hante. Corrélativement et par ventriloquie, il dote ses créatures du pouvoir de parole.

Est-ce pour résoudre l’équation du héros à une seule formule que, dans ses cahiers, il équipe fréquemment ses personnages de sexes en érection ? Difficile de ne pas ressentir le caractère obsessionnel de la notation, quand on la rapproche de l’isotopie sexuelle [67], à laquelle peuvent être rapportés maints doubles sens, maintes scènes de la vie des animaux. À cet égard, le chevalier bandant dessiné dans le deuxième cahier semble fournir une version figurale du signifiant des signifiants, de ce signe qui selon Lacan constitue la référence dernière de tous les autres, le Phallus. La figure du héros, si souvent exploitée par Fauguet, condense ainsi tous les termes de sa poétique. À travers elle conversent et disputent le sujet surpuissant de la culture de masse et l’artiste tout-puissant maquillé en victime. Forme majeure du chronotope, elle réunit dans son espace-temps les mondes divergents de ces deux sujets.

Le dialogue de plusieurs énoncés linguistico-plastiques à l’intérieur même de l’œuvre de Richard Fauguet, leur éclairage réciproque renforcent leurs valeurs propres d’interprétation et d’indexation sociale. L’inquiète manipulation d’un facteur d’incertitude, le caractère indiscernable de la propriété des discours manipulés font de cette œuvre une contribution à la question du Sujet de l’art.

Chronotope dialogisme et plurivocalisme

Mikhaël Bakhtine opposait deux versants de la littérature : la poésie monologique et le roman dialogique. La remarque peut sans grands frais se transposer à l’art moderne et contemporain. Nommer le second versant « romanesque » ne peut cependant se faire sans de lourdes précautions oratoires, en renvoyant aux concepts de dialogisme, de plurivocalisme, d’écriture carnavalesque, bref à tout le corps de l’approche bakhtinienne. L’œuvre de Richard Fauguet, à n’en pas douter, appartient à ce versant pop, au sens large, carnavalesque. Après d’autres, il spécule sur le pouvoir d’absorption et de réfraction de l’art. Avec le voyage sur place et l’optique, il donne forme à un chronotope dominé par des vecteurs d’accélération et d’entropie ; c’est à cette aune qu’il faut peser sa relance (entravée par des contre-emplois) des procédés de collage, de transfert, de greffe et d’hybridation. Enracinée dans une longue tradition du rire ambivalent, marquée par la formulation linguistique des êtres et des choses, cette œuvre est traversée, est portée par les jeux de mots. Hantée par la voix de l’Autre, elle polémique avec la loi. Le trouble se diffuse au plan de l’énonciation moins en termes de situation spatiale que par une façon insistante de mettre en jeu la voix de l’auteur-créateur, de lui faire épouser des « discours » ambiants, de doter ses créatures de ventriloquie, bref de rendre problématique son indexation même en tant que sujet. La figure du héros, empruntée à divers personnages de la culture de masse, fonctionne à cet égard comme un algorithme, un outil figuratif pratique, apte à cristalliser la triple problématique du chronotope, du dialogisme (en tant que voix de l’Autre) et du plurivocalisme.

Une autre façon d’aborder le versant romanesque serait de parler d’intertextualité. En ce qui concerne Richard Fauguet, ce qui à bien des égard peut apparaître comme la transposition d’une poétique littéraire, celle de Céline en l’occurrence, ne se soutient que d’un rapport intertextuel, interesthétique devrait-on dire, complexe. Nulle illustration en cela : la réussite en la matière peut se mesurer à la capacité de l’artiste de prendre le relais de cette poétique, à sa façon originale et personnelle de l’actualiser et de la reformuler sur le plan plastique.

Notes

[1]. Numérotés par moi de 1 à 22, le premier datant de juin 1988.

[2]. Cahier n° 7.

[3]. Mario Amaya, Pop as Art — A Survey of the New Super-Realism, Londres, Studio Vista, 1965, p. 12.

[4]. Parue dans Les Lettres nouvelles et reprise in Mythologies, Paris, Le Seuil, 1957.

[5]. Francis Lacassin, Pour un 9e art — La bande dessinée, Paris, U. G. E., 1978, p. 283. Cf. également p. 272 sq.

[6]. Pour les deux premiers passages recopiés, cf. Louis-Ferdinand Céline, Romans , Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1981, p. 504, 381. Je n’ai pas identifié le troisième.

[7]. Henri Godard, préface, in Céline, op. cit., p. xxvii.

[8]. Id, ibid. P. xxix.

[9]. C’est une histoire des Deschiens.

[10]. Id, ibid. p. xxviii.

[11]. Cahier n° 2, p. 3.

[12]. Parmi eux, un autre artiste castelroussin : Michel Aubry, lui aussi amateur de Vénilia.

[13]. Son auteur n’en est pas Richard Fauguet, mais Arlette Lacour, un autre membre du groupe.

[14]. L’impunité de l’art, Paris, Le Seuil, 1995, notamment p. 101 sq. Cette étude est une contribution fondamentale à l’archéologie de la modernité. Elle s’appuie essentiellement sur Genet, Bataille, le Camus de L’Étranger et le Gide des Caves du Vatican. Il me semble que les (ex)actions des Copains appartiennent au même horizon.

[15]. Cf. Jacques Soulillou, ibid. : « Économie politique », p. 67 sq., et « Figures du mobile », p. 177 sq.

[16]. Cf. Id, ibid., p. 32.

[17]. Cf. Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman [Moscou, 1975], trad. franç., Paris, Gallimard, 1978, p. 235 sq. : « Formes du temps et du chronotope dans le roman ».

[18]. Ce texte a été écrit sans que je puisse prendre connaissance du livre de Deborah J. Haines : Bakhtin and the visual arts, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.

[19]. C’est là, on le sait, tout le sens de L’Histoire d’Alexandre, par exemple.

[20]. Cahier n° 9 [7], janv. 1990.

[21]. Louis-Ferdinand Céline, op. cit., p 1111 : « “Qu’on s’explique…” (postface à “Voyage au bout de la nuit”[1933]) » .

[22]. Cahier n° 12.

[23]. Cf. Pascale cassagnau, « Richard Fauguet, l’hétéroclite comme loi », in Omnibus, n° 3, Paris, juin 1992 ; ainsi que Frédéric Paul, « Fauguet ou le gang des bras cassés », manuscrit, paru en version modifiée sous le titre « Richard Fauguet, un hippocampe dans les étangs de la Brenne », in : Art press n° 203, Paris, juin 1995. La première fait de l’hétéroclisme un parti-pris formel et n’en perçoit pas la fonction. Le second donne au contexte local un caractère personnel et anecdotique qui en masque la portée socio-historique.

[24]. Cahier n° 13.

[25]. Cahiers n° 7, 10, 11 et 13.

[26]. Cahiers n° 10, 12 et 13 ; Hollywood étant à entendre « au lit wood » (cf. cahier n° 19).

[27]. « Son père était géologue », cahier n° 12.

[28]. L’Observatoire à animaux, installation 15 rue de Maubec, à Bordeaux, chez Jean-François Dumont, en 1989.

[29]. Œuvres de 1994 ; la seconde, collection FRAC Rhône-Alpes.

[30]. Centre d’art du Creux de l’enfer, Thiers, 1994 ; et Espace Jules Verne, Brétigny-sur-Orge, 1995.

[31]. Cf supra, note 12.

[32]. Cahier n° 14.

[33]. Cahiers n° 15, 21 et 22.

[34]. Cahiers n° 13 et 15.

[35]. Cahier n° 11.

[36]. Cahiers n° 9 et 7.

[37]. Cahier n° 11.

[38]. Cahiers n° 8 (la machine de téléportation est empruntée à la série de science-fiction des années soixante : Star Trek), n° 10 (Soni-sono, installation, Lauret, 1990), et n° 11 (installation, ibid.)

[39]. Cahier n° 12.

[40]. Cahiers n° 8, 11.

[41]. Jeu de mot sur le nom du groupe de musique pop Aphrodite Childs. Destouche n’avait-il pas, quant à lui, choisi un pseudonyme androgyne ?

[42]. ARTPOOL, Lauret, 1990 ; et galerie Jean-François Dumont, Bordeaux, 1991.

[43]. Cahier n° 8.

[44]. Cahiers n° 8, 13 et 18. Le premier slogan, sous forme d’enseigne lumineuse, clignote à la fin de la version de Scarface tournée par Brian de Palma, avec Al Pacino.

[45]. Cahiers n° 11 et 2.

[46]. Cf. Didier Arnaudet, « Un habile entremetteur », in Halle sud, n° 28, Genève, 1991.

[47]. Céline, in Robert Poulet, Entretiens familiers avec L. F. Céline, Paris, Plon, janv. 1958.

[48]. Cahier n° 9 [n°7]

[49]. Céline, 1933.

[50]. Je n’entre pas ici dans le détail des distinctions opérée par Gérard Genette (Palimpsestes — La littérature au second degré, Paris, Le Seuil, 1982) à l’intérieur du champ traditionnel de la parodie .

[51]. Cf. Claude Gaignebet et Marie-Claude Florentin, Le carnaval — essai de mythologie populaire, Paris, Payot, 1979, p. 117 sq. : « La circulation des souffles ».

[52]. Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski [1929], trad. franç. d’après la seconde édit. Moscou 1963, Paris, Le Seuil, 1970, p. 175.

[53]. Id., ibid., p. 219.

[54]. Cahier n° 11 ; les œuvres correspondantes datent de 1990.

[55]. Cf. Poétique de Céline, Paris, Gallimard, 1985. Dans cette thèse, Godard se sert des concepts de Bakhtine pour lire les romans de Céline. Il s’attache particulièrement à l’analyse du plurilinguisme et des phénomènes de plurivocalisme. Voir aussi, plus loin, note 61. Sur Bakhtine cf. également l’excellente préface de Julia Kriteva à La poétique de Dostoïevski (op. cit.).

[56]. Réserves de la galerie Jean-François Dumont, Bordeaux, 1992.

[57]. Dénomination sulfureuse, à laquelle il doivent sans doute de n’avoir pu canaliser la mane de subventions nécessaire à sa survie.

[58]. Pour un exposé de cet autre concept clé de la pensée de Bakhtine, cf. Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 83 sq. : « Du discours romanesque ».

[59]. Il s’agit bien de l’Autre, au sens lacanien du terme, et non de l’autre en tant que simple interlocuteur. Le monologue à voix haute du paumé, est là pour nous en convaincre. Cf. à ce sujet : Jacques Lacan « Fonction et champ de la parole et du langage », in Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 265 ; Alain Juranville, Lacan et la philosophie, Paris, PUF, 1984, p. 113 sq. : « La parole ».

[60]. Mikhaïl Bakhtine, « Du discours romanesque », op. cit.

[61]. Collage réalisé à même le mur de la galerie Jean-François Dumont, 1989.

[62]. Carton d’invitation, de l’exposition de groupe, galerie Jean-François Dumont, Paris, 4 juin – 16 juill. 1994 ; et cahier n° 19.

[63]. Cahiers n° 20 et 22.

[64]. Poursuivant l’effort de Henri Godard pour préciser les concepts de Mikhaïl Bakhtine, je distingue donc dialogisme, plurilinguisme et plurivocalisme. Avec le dialogisme j’insiste sur la coupure qui traverse la parole du sujet, y fait entendre la voix de l’Autre, y inscrit son rapport à la loi. Le plurilinguisme en reste au plan du code, quand le plurivocalisme permet de mettre en évidence les phénomènes d’inter-locution. Le terme de plurivocalisme doit bien sûr être préféré à celui de plurivocité, employé indifféremment par Bakhtine lui-même, et qui rabat le propos sur la pluralité sémantique.

[65]. Richard Fauguet, sensible à la musique célinienne, s’est plu à caviarder de Tipex, un exemplaire de Rigodon, en ne laissant lisible que la fameuse ponctuation.

[66]. Ce terme introduit par Julia Kristeva (Polylogue, Paris, Le Seuil, 1977) semble dérivé de Bakhtine.

[67]. Pour un exemple d’analyse d’isotopie sexuelle, cf. Michel Arrivé, Lire Jarry, Bruxelles, édit. Complexe, p. 45 sq.