S H Arp-Taeuber

Sophie Henriette Gertrud Taeuber est née à Davos en 1889. Quand Hans Arp la rencontre à la galerie Tanner, à Zürich, en 1915, elle est encore « Sophie Taeuber » et le demeure jusqu’à leur mariage, le 20 octobre 1922.

Le nom inscrit sur sa carte inverse le patronyme « Taeuber-Arp » utilisé dans les catalogues d’expositions auxquels elle participe de son vivant (Cercle et Carré ou  Abstraction-création, par exemple). Quant à « Taeuber » seul, il est rare. Il faut attendre les expositions du Musée d’art moderne de la ville de Paris et du Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, en 1989 et 1990, pour un retour irrégulier à « Sophie Taeuber » (l’exposition de Davos et Rolandseck de 2009-2010 en revient au double patronyme)).

Selon les codes de l’époque, en dépit de son nom d’artiste, mariée, elle est Mme Arp. Calder, qui a listé des contacts parisiens dans un carnet (Smithsonian Archives of American Art), vers 1930, note :

M et Mme Hans Arp
21 rue des Châtaigniers
Meudon (S et O)

L’initiale « H » est (volontairement ?) ambiguë. En dessinant cette carte, Sophie utilise la polysémie du « H ». On peut lire : S(ophie) H(enriette) Arp-Taeuber, ou S(ophie) /H(ans) Arp/ -Taeuber. Ce serait un peu, à la manière de « Nat King Cole » où un qualificatif sépare le prénom du nom, comme si elle avait inséré le nom d’Arp au milieu du sien.

Le nom, en définitive, subit maintes fluctuations, indice flagrant de la situation de la femme artiste mariée. Le colophon de la revue Plastique qu’elle dirige de 1937 à 1939, en fournit un bel exemple : le premier numéro est dit composé entre autres par « S.H. Taeuber-Arp », les abonnements devant être envoyés à « S. H. Arp, 21 rue des Châtaigniers […] », la correspondance à « Mme Arp […] » et le gérant étant « S. H. Taeuber ».

21, rue des Châtaigniers Meudon Val Fleury S-O

La relation entre les couples Taeuber/Arp et Moorsel/Doesburg remonte à l’époque Dada. En 1926, Hans Arp et Sophie Taeuber séjournent  à Strasbourg pour que Hans Arp obtienne la nationalité française. À cette occasion l’architecte Paul Horn, commande à Sophie la décoration de sa maison, puis, avec son frère André, celle du complexe de l’Aubette – ce qu’ils vont faire en faisant appel à Theo van Doesburg. La même année, ce dernier fait les premiers dessins d’une maison pour les Arp et pour le couple qu’il forme, depuis 1921, avec Nelly van Moorsel. Il fut décidé ensuite de construire deux maisons distinctes dans le quartier de Val Fleury, à la limite de Meudon et Clamart. Theo van Doesburg dessinera sa propre maison (29 rue Charles Infroit) dont il ne profitera pas : séjournant à Davos pour soigner son asthme, il y mourra le 7 mars 1931, avant l’achèvement des travaux. Nelly, devenue « Mme Küpper », le 24 novembre 1928, et pour tout le monde « Nelly van Doesburg », y vivra jusqu’à sa mort en 1975.)

En 1925, Arp et Taeuber louent un modeste atelier Villa des Fusains, rue Tourlaque, près du cimetière de Montmartre. Sophie navigue entre Strasbourg, Zurich et Paris. Elle commence alors à dessiner le projet de sa future maison, dont la construction ne commencera qu’en 1928, sur le terrain que Nelly van Doesburg avait acquis en 1926, avec l’héritage de son père, Petrus Bartholomeus van Moorsel, et qui est vendu aux Arp au printemps 1927. Située en bordure du quartier de Val Fleury, à Meudon, la rue des Châtaigniers appartient à la commune de Clamart. Peu soucieuse d’administration, Sophie indique « Meudon – Val Fleury ».

« Les travaux de Strasbourg terminés, Sophie et Jean quitteront définitivement la Suisse et viendront s’installer à Meudon dans une maison qui est leur maison, dont elle a fait elle même les plans et surveillé la construction. Depuis lors, elle s’est consacrée entièrement à son art et à celui de Jean Arp. La maison de Meudon est composée de deux ateliers superposés, et chacun travaille chez soi échangeant de temps en temps d’un étage à l’autre une question sur le développement de l’œuvre en chantier. » (Gabrielle Buffet-Picabia)

Décoration meubles

L’inscription « décoration meubles » fait de cette carte une carte professionnelle. Ancienne élève des écoles d’art appliqué de Munich et Hambourg, Sophie Taeuber est devenue en 1915 membre du Werkbund suisse et professeure à la Kunsgewerbeschule de Zurich où elle s’occupe de la classe Textile. Elle en démissionnera en 1929 et poursuivra dès lors, rue des Châtaigniers, une activité indépendante.

C’est elle qui a d’abord travaillé pour les frères Horn (pour les salons de l’hôtel Hannong et pour l’appartement d’André Horn, et c’est elle qui, avec Arp, a d’abord été pressentie par les deux frères pour l’Aubette, avant que van Doesburg, invité par Arp, ne prenne le pouvoir. En 1928, elle a aménagé la galerie Goemans, rue de Seine, à Paris ; à Strasbourg elle a aussi décoré la maison de Georges Henry Meyer, et la villa du médecin Heimendinger. En 1930, elle aménage à Paris l’appartement du marchand d’art strasbourgeois Ernest Rott ; en 1931, celui, spacieux, de Theodor et Woty Werner ; à Berlin, en 1935, la maison construite par le professeur d’architecture Ludwig Hilberseimer… Pour sa propre maison, elle conçoit des meubles modulaires (bibliothèque, rangement) ; on peu en voir certains, aujourd’hui, à la fondation Arp, à Clamart. Démissionnaire du Werkbund suisse en 1932, elle adhèrera en 1937 à la Vereinigung Moderner Schweizer Künstler Allianz fondée par Max Bill et Theo Leuppi. (C’est dans l’atelier de Max Bill – lui-même, comme Sophie, artiste complet, peintre, sculpteur, designer et architecte – qu’elle mourra accidentellement, dans la nuit du 12 au 13 janvier 1943.)

(Non) reconnaissance

Après la mort de Sophie Taeuber, Arp écrira plusieurs textes ou poèmes pour la faire reconnaître ; il s’insurgera contre le mépris dans lequel sont tenues les œuvres d’art appliqué. Greta Stroeh (1989) résume assez bien les raisons de cette difficile reconnaissance dont le nom propre est un indice – pour qui veut l’entendre :

« L’œuvre de Sophie Taeuber a été longtemps minimisée, plusieurs raisons à cela : la déconsidération du travail des femmes en général, et des femmes d’artistes en particulier ; le mépris pour le caractère utilitaire des arts appliqués persistant malgré la percée de mouvements comme celui du Jugendstil ; une mort prématurée en 1943, l’ombre du travail d’Arp… Pourquoi n’a-t-elle jamais exposé avec les dadaïstes qu’elle fréquentait ? Pourquoi Carola Giedion-Welcker (la première exégète d’Arp) ne lui consacre-t-elle jamais une seule ligne ? Pouquoi Tristan Tzara, Sonia Delaunay et Nelly va Doesburg reprochent-ils à Seuphor de l’inclure dans son [catalogue d’exposition] L’Art abstrait, ses origines, ses premiers maîtres, en 1949 ? ».

Post sciptum

Sa maison à Clamart accueille la fondation Arp. L’élégance, pour le moins, aurait été qu’elle s’appela fondation Arp-Taeuber !

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