Trophée plastique

La cabane d’Étienne Bossut

[In cat. de l’exposition Étienne Bossut. Ma cabane (15 novembre 1997-4 janvier 1998), Montbéliard, Le 19, centre régional d’art contemporain, 1997. « Plastic Trophy. Étienne Bossut’s Cabin », trad. en anglais par Simon Pleasance, ibidem, p. 43-55. — « Trophaë in Plastik. Die Hütte von Étienne Bossut », trad. en allemand par Hubertus von Gemmingen, ibidem, mêmes pages.]

« But the world, mind, is, was and will be writing its own wrunes for ever, man, on all matters that fall under the ban of our infrarational senses. [1] »
James Joyce, Finnegans Wake

Le projet de Ma cabane remonte à mars 1996. Conçu par Étienne Bossut, cet ensemble de moulages de polyester a pour pièce maîtresse un abri de chantier préfabriqué. Tous les éléments, teintés dans la masse, en sont du même rouge coquelicot. Si l’on excepte un canoë, que je suspecte d’être là en raison de la chanson Ma cabane au Canada, la plupart des objets disposés autour de l’édicule appartiennent à des séries déjà réalisées précédemment par l’artiste : le petit monochrome remontant à 1979, le grand ainsi que le bidon à 1980, le réfrigérateur à 1981, les capots de Volkswagen à 1985, les panneaux de la cabane de chantier à 1988, les trois fauteuils et les gamelles à 1992, les pots à 1995 et les skis à 1996. En tant que collection d’objets de plastique, réalisés à partir d’autres objets moulés — les moules étant tapissés de fibre de verre, puis enduits d’un polymère vierge thermodurci au moyen d’un adjuvant —, il est comme l’épitomé de près de vingt ans de plastomanie.

Dès 1986, se remarquait la disponibilité du même objet aux fins d’œuvres différentes :

« Depuis quelques temps, déclarait Étienne Bossut, je cherche moins d’objets à mouler, car j’ai déjà des moules de beaucoup de choses. Cela devient absolument abstrait, car j’utilise les moules sans avoir à les fabriquer.
« […] C’est comme un dictionnaire avec les mots. Je n’ai plus qu’à trouver les idées et écrire. [2] »

La logique de l’écriture personnelle entraîne donc l’ensemble de l’œuvre, non seulement vers une diversification des champs d’investigation, mais aussi vers une combinatoire interne. Est accentué de la sorte le caractère idiomatique de l’œuvre : comme chez tout artiste digne de ce nom, sans doute, le lent passage de celle-ci du féminin pluriel au masculin singulier. Étienne Bossut sans y prendre garde a forgé un vocabulaire et, par corollaire, ne saurait se dispenser d’une grammaire. De son vocabulaire, on dira qu’il l’emprunte à celui des objets quotidiens. On le rapprochera du Pop Art. On scrutera une fois de plus le puits sans fond du paradoxe des indiscernables — Leibniz en poche. On rappellera les propos voisins, de Warhol à Lavier.

Or, un assemblage comme celui de Ma cabane constitue un tout. Dans plusieurs œuvres précédentes, l’artiste avait déjà allégué cette unité de second niveau : en moulant des modèles identiques juxtaposés — trois réfrigérateurs en biais pour Nègre (1988) ; deux toiles en quinconce pour M.O.N.O.B.L.O.C. (1989) — ou des objets différents — un pot sur un socle pour Modèle déposé (même année). Chaque fois, grâce à la monochromie, était mise en évidence, l’appartenance du tout à un même continuum matériel. Dans de telles œuvres, le caractère de clonage des objets réalisés, l’interrogation sur le double, prime moins me semble-t-il que le holisme de l’entreprise. Pour en rendre compte, il n’est pas suffisant de reproduire les réflexions des uns ou des autres sur l’objet, le moulage, le trouble inhérent au double, etc., même si celles-ci demeurent fort pertinentes. Le tout de Ma cabane est plus que la somme de ses parties. En tant qu’expression délimitée et structurée, il constitue à soi seul un texte [3], à lire comme tel.

Ironie du double exact

Revenons cependant un court instant sur le paradoxe du double. Souvenez-vous : les retours à la peinture, au métier, aux genres et techniques traditionnels, aux styles historiques en architecture, à que sais-je encore, avaient marqué l’air du temps (artistique) du début des années quatre-vingt. Le postmodernisme, un style, avait été annoncé comme une mutation qui ne signerait rien moins que la fin de l’histoire. On attendait que le mur de Berlin tombât. Le branché Hector Obalk lançait sur le marché un livre pour ceux qui ne l’étaient pas. Au détour des Mouvements de Mode expliqués aux parents [4], les auteurs faisaient un exposé sur « l’ironie du double exact », qu’illustraient selon eux deux stratégies parallèles : celle, artistique, d’un Gérard Garouste peignant à la manière des anciens, sans donner signe d’une quelconque distance, et celle, vestimentaire, des New-Waves hard remettant costume et cravate en simulant imperturbablement un personnage « hyperclean et hyperstraight ».

« Inventée vers la fin des années soixante-dix, l’ironie du double exact est une forme d’humour, une figure de rhétorique et peut-être un nouveau mode d’expression dont nous pensons qu’il a inspiré récemment la presse, l’art, la publicité, le cinéma, le monde intellectuel et même la politique. »

Cette « ironie dont aucun trait ne serait caricatural » était qualifiée de « stratégie hautement pince-sans-rire », de « pratique perverse et ambiguë ». À n’en pas douter, une telle ironie colore de part en part l’œuvre d’Étienne Bossut, avec la nuance insigne que le matériau qui la concrétise, ce plastique qui peut tout doubler, en démultiplie exponentiellement les effets, lui donne une sorte de portée cosmique.

Plasticité

La plasticité n’est pas le propre exclusif de ce que l’on appelle communément aujourd’hui les « plastiques ».

« On dit qu’une substance est “plastique” lorsqu’elle peut se déformer sous l’action d’une force extérieure, puis conserver la forme acquise, lorsque la force aura cessé d’agir. [5] »

Dès qu’un auteur rédige un compendium sur le sujet, il commence par rappeler qu’en la matière, l’artificiel rejoint le naturel. La glaise du modeleur est plastique, mais aussi beaucoup d’autres substances à des températures variables. Pris dans cette acception traditionnelle, le plastique, ou plutôt la plastique, ressortit moins à la chimie qu’à l’histoire de l’art, voire à la métaphysique. Chez Platon, le dieu du Timée est un grand plasmateur. Il ne crée pas sans moule, appliquant son empreinte selon l’usage des sculpteurs. Le plastique, matériau moderne, possède donc une propriété qui remonte loin dans le temps, quand l’artiste et l’artisan ne faisaient qu’un. Il est bien difficile de savoir ce qui, du modelage ou de la taille, eut la précellence historique. Aussi dans la plastique peut se supputer, sinon l’origine, l’une des origines des artefacts.

La voie de la plastique est elle-même double : l’art du sculpteur utilisant un moule et celui du potier, dont la forme naît autour d’un vide, s’opposent dans cette spéculation sur les origines qui fait de la création tantôt la copie d’une idée, tantôt une production ex nihilo. Les deux se confondent cependant dans l’imaginaire de la plastique, puisqu’aussi bien le moule, une fois retiré, laisse place à un vide. C’est ce qu’Étienne Souriau appelait joliment la « métaphysique du potier ». Cette métaphysique de la plastique — continuons de prendre le terme au féminin — a d’ailleurs eu un avatar dans le terme d’« art plastique » qui, en prétendant englober peinture et sculpture, trahit le rêve moderniste démiurgique de refaire le monde. En ce sens, le plastique — au masculin cette fois —, qui possède en lui la potentialité d’une duplication totale du monde, est le dernier avatar de la vieille métaphysique platonicienne. Puisqu’il n’y a pas de plastique sans moule, sans modèle, sans assujettissement à une forme préconçue, celui-ci n’inventerait rien, il reproduirait un ordre déjà là, des formes et des fonctions dont une société a hérité et qu’elle se dispense d’interroger. Conclusion hâtive à laquelle le pas, pris par les moyens sur les fins, a fait grâce : les doubles en proliférant imposent leur propre univers dont l’ancien ne suffit pas à rendre compte.

Roland Barthes avait consacré une de ses mythologies au plastique [6]. Il en retenait la puissance de transformation, le caractère alchimique, miraculeux des procédés de fabrication : « le miracle est toujours une conversion brusque de la nature ». Il en concluait que, si de l’adaptabilité du plastique aux formes existantes naissait un sentiment de merveilleux, ce même plastique n’existait cependant pas vraiment comme substance, que c’était plutôt une « substance négative », une « substance qui les résume toutes ». Contrairement au simili qui mime le luxe, le plastique déniait à ses yeux la hiérarchie des substances, puisqu’il imitait aussi bien les objets fonctionnels les plus communs.

« Ce que je trouve fabuleux avec ce matériau, dit Étienne Bossut, c’est que je peux faire du bois, du fer, de la terre glaise, du béton… [7] »

Aussi peut-il mouler un objet quotidien fabriqué en série, comme une œuvre d’art unique (un monochrome blanc, par exemple), sans qu’aucune contradiction n’entache l’entreprise. Le paradoxe de la plasticité n’est pas vraiment celui des jumeaux. Le changement d’échelle propre au clone suppose une prolifération indéfinie du double. Il ne s’agit plus de gérer les rapports d’un individu à son frère, mais d’aligner des populations en série, ou encore de les métisser au sein d’ensembles d’où naisse le récit de leur cohabitation.

Liturgie

Un tel récit est avant tout liturgique. Le livre phare de Baudrillard sur La société de consommation, paru en 1970, reprenait les termes de l’économie généralisée de Georges Bataille : il interprétait la profusion des objets, leur rapide obsolescence, leur caractère jetable (Vance Packard désignait déjà la poubelle comme leur destin [8]), comme le fruit d’une pratique de l’ordre du potlatch — de la consommation somptuaire en pure perte. Une telle interprétation anti-fonctionnaliste du phénomène ressortit en définitive à l’anthropologie des religions plus qu’à l’histoire du progrès technique. Le premier chapitre, portait ainsi sur la « liturgie de l’objet ». Baudrillard s’y arrêtait sur la forme donnée à la profusion dans l’amoncellement des étalages, puis notait la logique qui enchaînait les objets entre eux :

« Au-delà de l’entassement, qui est la forme la plus rudimentaire, mais la plus prégnante de l’abondance, les objets s’organisent en panoplie, ou en collection. Presque tous les magasins d’habillement, d’électro-ménager, etc., offrent une gamme d’objets différenciés qui s’appellent, se répondent et se déclinent les uns les autres […] Peu d’objets sont aujourd’hui offerts seuls sans un contexte qui les parle. Et la relation du consommateur à l’objet en est changée : il ne se réfère plus à tel objet dans son utilité spécifique, mais à un ensemble d’objets dans sa signification totale. La vitrine, l’annonce publicitaire, la firme productrice et la marque, qui joue ici un rôle essentiel, en imposent la vision cohérente, collective comme d’un tout presque indissociable, comme d’une chaîne, qui est alors non plus un enchaînement de simples objets, mais un enchaînement de signifiants, dans la meure où ils se signifient l’un l’autre comme super-objet plus complexe et entraînant le consommateur dans une série de motivations plus complexes. [9] »

Les objets constituent ainsi des sortes de « filières » : ils suscitent le désir du consommateur qui, allant logiquement de l’un à l’autre, est pris dans un « calcul d’objet » ; le magasin réalisant le mieux cet idéal est le drugstore qui juxtapose moins des catégories de marchandises qu’il ne pratique « l’amalgame de signes, de toutes les catégories de biens considérés comme champ potentiel d’une totalité consommatrice de signes ». Dans le drugstore, dit enfin Baudrillard, toute les activités sont « résumées, systématiquement combinées et centrées autour du concept fondamental d’ambiance ».

Panoplie

La sophistication de ces ensembles interviendra au cours des années soixante-dix, où les publicitaires vont affiner leur approche des phénomènes de consommation, la segmenter en intégrant des facteurs de relativisme culturel. Les études sur les « styles de vie », auxquelles ils s’abreuvent depuis, sont nées de là [10]. Ainsi chaque collection d’objets interpelle en vous un profil particulier, vous fait croire à la singularité de votre choix, qui semble n’appartenir qu’à vous, alors qu’il est le pur produit d’une étude de marketing.

Le terme panoplie, utilisé par Baudrillard, forgé à partir du grec, désigne étymologiquement l’ensemble des armes d’un guerrier. C’est une façon somme toute imagée, pour lui, de mettre l’accent sur le caractère holistique de l’objet, qui n’existe que pris dans un ensemble, de nous indiquer aussi que le tout de la collection est fait pour être vu. Car la panoplie (guerrière [11]) est moins un ensemble fonctionnel qu’un tout désaffecté — réformé ou en attente d’utilisation — reversé dans l’univers des signes, composé et disposé frontalement pour l’œil, au mur. Une telle désaffection émane de la disposition générale des objets appuyés autour de la cabane, autant que de celle-ci. Hors de l’usage, qui ne dispose jamais, mais plutôt dérange, figés par le rouge coquelicot dans l’attente infinie de leur disponibilité perdue, ils sont moins là pour un improbable service que dans l’attente du regard et de l’interprétation du spectateur.

De la panoplie, Ma cabane possède aussi les traits qui sont ceux d’un ensemble destiné à l’enfance. Tout ludique, promis à je ne sais quel investissement imaginaire, il appartient à la fois au genre du jeu d’imitation, que les psychologues disent culminer vers l’âge de trois ans, et à celui de nos modernes jeux de rôles, prisés par les adolescents, et dont on sait combien la limite d’âge supérieure est floue ! « Et si on jouait au trappeur. On dirait que le canoë est celui de… Le bidon ça serait… ». Pure spéculation ! car il devient difficile, dès lors que, penché sur la question, on veut construire un récit plausible, de trouver une situation dont feraient partie tous les objets réunis. Ou alors faudrait-il, avec beaucoup d’imagination, concevoir quelque pêcheur en terre sauvage, ayant laissé son réfrigérateur à l’extérieur pour effrayer le grizzli, et se servant de skis comme canne à pêche ? Ma cabane, à n’en pas douter, peut se prêter sans difficulté à beaucoup d’autres récits aussi délirants ! Sa disponibilité ludique n’est pas seul fruit d’enfantillage, mais trait d’époque, juste observation sociologique. La faculté qu’ont les objets réunis en collection marchande d’être des supports de rôles au sein d’un même jeu est toujours latente. Les styles de vie induits par les objets réunis en panoplie ne renvoient pas à des réalités socialement données, intangibles. Ils sont construits par le commerce, suscités comme autant de jeux de rôles possibles. La ligne d’objets « créée » par Étienne Bossut a cela de bouffon qu’aucun designer n’en imaginera de telle.

Monument

Entre la panoplie et le trophée la différence est bien mince. Ce dernier est devenu pour nous un simple motif de décoration. Ce sont les Romains qui lui donnèrent cette forme de panoplie, d’arrangement d’armes. Avant d’être un amoncellement plus ou moins ordonné des dépouilles de l’ennemi sur le champ de bataille, il consista d’abord en une simple armure de l’ennemi vaincu dressée contre un arbre. Offrande aux dieux, il devint par extension monument commémoratif de la victoire (comme à la Turbie), et même un synonyme de souvenir. Le terme latin tropæum vient lui-même du verbe grec tropaion, dont la racine mérite un petite digression. Trepw signifie tourner, métamorphoser, et aussi métaphoriquement, mettre en fuite (faire se retourner l’ennemi). Deux substantifs correspondent à cette triple acception : troph, à la fois le tour et la fuite d’une armée, et tropos, le tour au sens rhétorique. De la même façon que le trope substitue un tour à une forme primitive directe, le trophée substitue la dépouille du guerrier aux armes en service ; il en tourne l’usage, en fait une représentation.

En reproduisant par thermoplastie des objets dont certains étaient déjà de plastique, Étienne Bossut court-circuite leur obsolescence intrinsèque. Il exécute une sorte de trophée militaire à l’envers, de la même façon que l’art, depuis longtemps, fomente des monuments sur les lieux de bataille désertés de toute trace réelle. Il substitue aux dépouilles de la société de consommation leur représentation conforme. En dépit du caractère moderne du matériau utilisé, Ma cabane, est donc un monument, et comme tel commémore un passé, même si celui-ci est récent. Bossut le sait bien, lui si attaché aux objets des années cinquante et soixante, à cet âge d’or de la société de consommation qui s’éloigne chaque jour un peu plus.

Mélancolie

En totalisant un ensemble d’objets-fonctions et d’activités afférentes, Ma cabane condense une image de la vie, d’une vie possible. Comparer ce type de totalisation, on l’a vu parfaitement utopique, à la totalisation réelle du même type d’objets dans l’univers de l’hypermarché auquel ils appartiennent, met en lumière la nature de l’écart introduit par l’artiste. L’hypermarché est en effet, comme le souligne Jean Baudrillard, la « retotalisation en un espace-temps homogène de toutes les fonctions du corps et de la vie sociale [12] », Ma cabane, à cet égard, se singularise par l’anachronisme de son rêve rousseauiste. Il n’y a qu’un artiste, tel un don Quichotte, pour substituer au lieu « naturel » de l’hypermarché (espace-temps dominant d’où proviennent les objets modèles) celui d’une robinsonade. De la même façon que des artistes travaillent in situ, qu’on les invite à des « séjours », à l’heure même où le pouvoir économique est complètement déterritorialisé, Étienne Bossut donne une version de la panoplie d’objets et du style de vie tout empreinte de nostalgie autarcique, quand en réalité, en sortant de l’hypermarché, ils sortent de quelque zone périurbaine. La totalité à vivre que veut induire le style de vie, ne peut se donner que dans le simulacre d’une autonomie sans âge et sans attache, de la vie librement composée de quelque Paradis perdu. Mais rendre le plastique bucolique, les industriels l’on déjà fait. N’ont-ils pas, comme l’a épinglé Roland Barthes, donné à leurs produits des noms de bergers grecs [13] ? Ce qui sauve Ma cabane du jeu bien connu de la dénégation simple — dans le genre de celui de ces résidences appelées « Les Pins », parce que construites là où on a abattus les dits arbres aux trois quart —, c’est la non résolution de l’espace utopique dans lequel se situent tous les récits qu’elle peut engendrer, le caractère improbable de la juxtaposition, de la panoplie.

Écologie

En dépassant le jeu d’esprit sur l’objet et son double Ma cabane accède à cette région rare où le jeu de l’art se fait inquiétude. Le souci des objets en est le point de départ, quand Ma cabane en réalise l’ambition. Ce souci se laisse entendre, chez Étienne Bossut, quand il dit son amour du plastique, quand il explique comment il vit sans rupture le travail de l’artisan et celui de l’artiste.

Ezio Manzini appelait de ses vœux, au début de la décennie, une « nouvelle écologie de l’environnement artificiel ». Qu’une telle interrogation naisse sous la plume d’un designer chargé à l’ordinaire de renouveler les formes, bref d’un agent de la prolifération envahissante des objets, en dit long sur l’urgence de problèmes que l’on feignait d’ignorer, il y a peu.

« Prendre soin des objets, peut être une manière de prendre soin de cet “objet” plus grand qu’est notre planète. [14] »

Aussi Ma cabane ne fait pas que construire la fiction d’un style de vie. En mettant en scène l’utopie d’un assemblage inouï, elle donne l’ambiance générale, l’environnement, comme la question même. C’est la disposition des objets appuyés, présentés autour de Ma cabane, leur désaffection, leur état de latence déjà remarqué, qui les rend disponibles à la question. Question du pourquoi de l’être ensemble des objets. Dès lors l’installation de Ma cabane, dans tout ce qu’elle comporte de suspensif, est l’ouverture d’une question dont l’échelle n’est rien moins que terrestre. Métaphore de la prolifération et de l’arrangement des choses, elle figure dans la comédie de son petit monde, la tragédie du plus grand.

Notes

[1]. « Mais le monde, l’esprit, écrit, écrivait, écrira toujours ses propres ru(i)nes, homme, sur tous les sujets qui tombent sous la coupe de nos sens infrarationnels. »

[2]. Entretien avec Philippe Cyroulnik, in catalogue Art français : positions, Paris, AFAA, 1986.

[3]. Pour une définition du texte, cf. Iouri Lotman, Struktura khudozˇestvenogo teksta [1973], trad. franç., La structure du texte artistique, Paris, Gallimard, 1973, p. 91 sq.

[4]. Hector Obalk, Alain Soral, Alexandre Pasche, Les Mouvements de Mode expliqués aux parents, Paris, Laffont, 1984, p. 265-271.

[5]. Premières lignes du Que sais-je : Les plastiques, par Jean Vène (Paris, PUF, 1948).

[6]. Paris, Le Seuil, 1957, p. 194.

[7]. Propos recueilli par Gilles Arnould, in catalogue Dedans… /Dehors… /Proposition… 4, Bretigny-sur-Orge, Centre culturel, 1985.

[8]. The Waste Makers [1960], trad. franç. L’art du gaspillage, Paris, Calmann-Levy, 1962.

[9]. Jean Baudrillard, La société de consommation, Paris, Denoël, 1970, p. 20.

[10]. Cf. Armand Mattelard, L’internationale publicitaire, Paris, La Découverte, 1989, p. 200 sq.

[11]. Étienne Bossut, après avoir lu ces lignes, m’avoue qu’il a été dans sa jeunesse un collectionneur d’armes passionné.

[12]. Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981, p. 115.

[13]. op. cit., ibidem.

[14]. Ezio Manzini, Aretefacts — Vers une nouvelle écologie de l’environnement artificiel [1990] : posface à la trad. franç., Paris, Centre Georges Pompidou, 1991, p. 247.